Bordeaux

Lettre d'adieu à une idée de la culture

Après l'annonce de son départ du TNT, Éric Chevance, son directeur historique, a tenu à en expliciter les raisons.

Éric Chevance, co-fondateur et directeur jusqu'à cette année du TNT-Manufacture de chaussures. Photo Archives Fabien Cottereau

Co-fondateur du TNT-Manufacture de chaussure, théâtre de recherche et de création situé à la frontière de Bordeaux et de Bègles, boulevard Albert-1er, Éric Chevance a annoncé qu'il passait la main, suite aux restrictions de budget annoncées par la Drac et à l'échec de sa proposition d'un nouveau projet. Son successeur, le metteur en scène Frédéric Maragnani, en a été désigné la semaine dernière par le conseil d'administration du théâtre (voir notre édition du 26 mai dernier).

Dans une lettre à ses contacts, amis et partenaires, Éric Chevance revient sur les causes de son départ, et ses sentiments, teintés d'amertume, à ce sujet.

« Une catastrophe »

« La principale raison est que les conditions d'exercice de notre projet sont devenues impossibles », écrit-il. « Notre financement est jugé "particulièrement élevé pour une structure ne bénéficiant pas d'un label national". C'est une catastrophe pour tous les projets indépendants, singuliers, différents, nés non pas de la volonté des pouvoirs en place, mais d'initiatives de la société civile. C'est un appauvrissement grave de la vie artistique et culturelle de notre pays, et c'est un pas de plus vers une culture officielle, conventionnelle, consensuelle, voire pire ! »

Évoquant sa tentative de présenter un nouveau projet, moins cher, assorti d'un moratoire sur les baisses de subventions de l'État, il constate : « La réponse de l'État fut sèche, et non dénuée de cynisme (je cite) : "Vous pourriez avoir le meilleur projet qui soit, cela ne changera rien à nos décisions." Même si sans y croire il souhaite que la Drac revienne sur sa position, il déclare « quoi qu'il en soit, ce sera sans moi ».

Et ajoute : « Ces derniers mois m'ont totalement usé. Après quinze ans de combats sans discontinuer - parce que piloter une aventure comme celle du TNT, c'est un combat permanent - je suis épuisé. »

Saluant les témoignages d'amitiés et de solidarités de ceux qui trouvaient dans le TNT le fer de lance d'une création contemporaine (pas uniquement théâtrale) exigeante et militante, il signale avec amertume le silence de ses partenaires d'hier, institutions labellisées par l'État, stigmatisant « une telle indifférence. Ou un tel dédain. Ou un tel mépris. »

Sentiment d'impuissance

Il défend le choix du conseil d'administration du TNT, saluant en Frédéric Maragnani « un artiste de grande qualité, qui pense de façon très pertinente l'art et l'action culturelle. Ildispose de réseaux et de soutiens, et d'une solide reconnaissance ».

Dans un addendum, Éric Chevance fait part de ses inquiétudes de son sentiment d'impuissance et même de sa « peur » quant à la situation générale de la culture, du service public, et de notre société en général.

La lettre d’Eric Chevance est en ligne sur : http://www.letnt.com/index.php?id=194