Nous étions sur le port de Cherbourg
avec mon bon pote Yohann, un actif militant anti-nucléiare.
Nous quittions, le temps d'une bière de retrouvailles, le
cortège des plus de 10000 manifestants, qui réclamaient l'arrêt
immédiat de toute activité nucléaire, en France et ailleurs.
L'accident de Tchernobyl avait 20 ans, nous 10 de plus.
A la terrasse du bistrot un type au teint de pêcheur nous
interpelle : "Vous n'avez rien d'autre à foutre que de nous
pousser au chômage !". Ce gars était responsable syndicale de la
CGT à la Hague.
Selon lui, nous n'avions rien compris, nous luttions, non pour
un monde meilleur, mais contre la classe ouvrière, contre les
travailleurs de sa région et de leur secteur d'activité. Il
était fier de faire parti d'une grande famille à la pointe de
l'innovation technique, d'être un maillon du dynamisme local,
d'être un élément de la création d'une richesse partagée sur
tout le territoire : sans la Cogéma, pas d'équipements sportifs
ou culturels, rien pour l'enfance, leurs enfants...
Ils étaient fils de pêcheurs ou de paysans, leurs enfants sont
fils d'ouvriers d'une des dernières industries françaises qui
joue encore sur les premières lignes, qui embauche et se
développe encore, et pour encore un moment. Ils n'ont pas le
choix d'y croire ou pas, comme une question de survie.
Nous avions alors rétorqué que nous étions désolé de le lui
dire, mais qu'il nous semblait absurde de continuer ainsi à
construire l'équilibre social local sur la destruction de
l'humanité, que c'était une mauvaise voie, comme l'était
l'industrialisation de la pêche et l'intensification de
l'agriculture. Nous n'avons pas pu lui dire qu'il nous semblait
plus juste et plus durable, d'investir dans l'éolien, le local,
le circuit court, le coopératif, que la décroissance était
positive. Il avait rougit d'avantage et éclata dans une noire
colère : "Mais vous, que faîtes vous de si bon, et si on venait
vous dire que vous ne servez à rien de bon, et d'abord, vous
faîtes quoi dans la vie ?!".
Mon pote étant slameur et moi artiste de rue, tout deux alors en
état de figues sèches, n'avons pas voulu en rajouter. Nous
sommes parti tout les deux, une boule dans la gorge, à nous dire
"On ne supporte pas que les autres pensent que financer la
culture, c'est jeté de l'argent par les fenêtres. Nous sommes
indignés quand on nous dit fainéants. Nous ne voulons pas
absolument être utiles, et nous voyons bien que nous ne sommes
pas indispensables. Que ferions nous si l'art tel que nous le
pratiquons était décrété inutile ou contre-productif pour la
transformation sociale ?"
Nous avons réussi à nous convaincre que nous étions dans la
bonne direction, tournés vers les gens, attachés au sens et à
l'analyse des fictions sociales, que nous jouions le jeu de la
contradiction, que nous apportions des rêves et des utopies, que
nous étions des graines d'espoir et d'indignation.
Pouvons nous défendre des métiers qui réclament des financements
publics, s'ils ne sont pas reconnus, par un arbitrage et un
référentiel humanistes, d'intérêt général ? Que sommes-nous prêt
à mettre sur la table pour faire gagner les personnes d'un
peuple ? Notre survie peut elle se faire aux dépends de
l'émancipation de nos concitoyens ?
Nous sommes allés réfléchir à tout ça dans un café rempli de
militants anti-nucléaire où passait des chants de partisans : " Le peuple au collier
de misère Sera-t-il donc toujours rivé ? Jusques à
quand les gens de guerre Tiendront-ils le haut du pavé ?
Jusques à quand la Sainte Clique Nous croira-t-elle un
vil bétail ? À quand enfin la République De la Justice
et du Travail ? Oui mais ! Ça branle dans le
manche, Les mauvais jours finiront. Et gare ! à la
revanche, Quand tous les pauvres s’y mettront. Quand
tous les pauvres s’y mettront..."
Accoudés au comptoir, nous avons pu nous pleurire l'un
sur l'autre en inventant notre plaidoyer de l'art et de la
culture, et nous sommes quitté convaincus de percer-rêver tant
que nous le pourrons.
Bien à vous !
Bouèb
les grands moyens
Le 23/02/2013 13:18, Lacaille Michel a écrit :
"
type="cite">
J aime ta réponse elle me plaît beaucoup et peut être
serait il bien d être un amateur ( celui qui aime )
professionnel ( qui est rétribué ) merci à toi
www.ciesdf.fr
Le 23 févr. 2013 à 12:14, Bouèb Rue <
">
>
a écrit :
Bonjour Michel,
et salut aux autres.
Que tu n'aies pas envie de rentrer dans des cases, je le
conçois aisément. Que tu exerces et revendiques ta Liberté
et que tu offres de l'amour et du plaisir, je t'en
félicite.
Notre conseiller théâtre de la DRAC m'a lâché cette
semaine alors que je portais moi-même cette soif de
liberté et lui en faisais part : " Tu c'est Bouèb, le
seul artiste réellement libre, c'est l'artiste
amateur..." (je crois l'avoir déjà glissé dans un
message précédent). Je crois que le constat est juste,
mais il n'est pas acceptable. Comme tu le dis, soyons et
restons libre !
Ne change rien, ne changeons rien, ne nous mentons pas,
surtout pas, ne nous laissons pas corrompre ou pervertir,
ni par le marché, ni par les "diktats".
La question en jeu ici, est celle des politiques publiques
et donc de la répartition et l'attribution de l'argent
public, pas notre liberté (mais peut être notre
précarité).
Est-il bon que l’État et les collectivités favorisent
seulement l'accès à LA Culture (la politique du chiffre
vers les grandes œuvres de l'humanité) et hiérarchisent
dans la plus grande opacité (commission d'experts sous
secret) les bonnes créations et les futures grandes œuvres
?
Ne serait-il pas mieux, non pour nous, équipes artistiques
et culturelles, mais pour les personnes différentes qui
composent le peuple dans toute sa diversité ; ne serait il
pas mieux, donc, que les politiques publiques s'attachent,
elles, à faire grandir l'humanité, à s'approcher au plus
près des droits de l'homme ?
Nous ne sommes certainement pas fait pour entrer dans des
cases, mais pour les tordre, les ouvrir, les éclater, les
traverser, les dissoudre. Les politiques, elles, ne
devraient pas être là pour constituer des cases et nous
faire entrer dedans, leur rôle est par contre de favoriser
les directions, les mouvements, les démarches, les gestes,
qui vont dans le sens d'un intérêt général et durable.
Bonne continuation !
Bouèb
les grands moyens
Le 23/02/2013 12:17, Lacaille Michel a écrit :
"
type="cite">
Je n ai aucune envie de renter dans des cases seul le
fait d être un Être humain qui fait ce qu il a envie me
suffit suis je utile à la société ? sans doute pareil à
tout Être humain qui est , et si j ai quitté le théâtre
pour la rue c est pour ma liberté et offrir aux autres
de l inutile , du rire , de l amour de l autre , toi ,
non à ces diktats étatiques , soyons et restons libres
,
Le 22 févr. 2013 à 20:35, Bouèb Rue <
">
>
a écrit :
la réponse contributive du Doc' Kasimir :
Salut , Ok,
quand je lis
" Quand chacun aura compris comment remplir le
dossier, aura décrypter la nouvelle grille de
lecture, saura rentrer dans ces nouvelles cases,
se vantera d'être un acteur utile à l'humanité,
prouvera par quelques circonvolutions qu'il offre
de la dignité à des personnes, au lieu d'offrir,
comme avant, un produit artistique de qualité et
bon marché au plus grand nombre... Quand chacun
aura trouver sa liberté au sein de se cadre, somme
toute absolument souhaitable, quand on en sera là,
qu'inventerons-nous ?
Le défi c'est l'arbitrage, en continu."
C'est bien cela et c'est exactement la conclusion
de SEN : la permanence du débat démocratique à
toutes les échelles du vivre ensemble, pour une
société un peu moins injuste !!!
Mais voilà ! malgré la légion d'honneur , le
projet de loi qui circule sur la décentralisation
ne va pas du tout dans ce sens là . Il est encore
sur le béton des équipements culturels du 20 ème
siècle. .( et un tout petit peu sur les langues
régionales).
Autant dire que l'utopie va le rester encore dans
cette république qui, culturellement, ne change
pas dans ses pouvoirs (publics) alors qu'elle
change dans les pratiques de terrain.
ça pourrait être décourageant !!
Oui à 50 % , Non à 50 % !!!
mais les fédérations, c'est fait pour y croire !.
Bon courage aux collectifs !!!!!! .
Cordialement
JMLucas
/02/2013 11:20, Bouèb Rue a écrit :
"
type="cite">
Salut,
On ne peut que se réjouir de ces orientations.
Nous avons toujours tenté de nager dans le cadre
qui nous était donné, d'y trouver notre liberté
et de garantir notre survie. Ce cadre était LA
Culture, alors nous voulions leur prouver que
nous faisions de l'Art, des Œuvres. Ce cadre, se
faisant contraindre par le libéralisme et SA
Crise, nous tentons, en plus, de les convaincre
que nous sommes non seulement rentable, mais
créateurs de richesse, d'emplois, de retombées
fiscales, d'attractivités. Pour ne pas boire la
tasse, nous avons ajouter que nous étions utile,
pour l'urbanisme ou le commerce, pour panser les
plaies sociales, pour pacifier les révoltes
frémissantes, pour divertir sans discrimination.
Alors, si les Droits Humains constituent la
nouvelle approche, le nouveau référentiel, nous
pouvons sauter de joie et nous rouler par terre
en riant, tellement c'est beau.
Mais, en effet, j'ai du mal à y croire. Hollande
et son gouvernement sont partis pour faire ce
que Sarkosy n'a pas osé faire. Le club Le Siècle
l'a peut être convaincu (probablement sans
peine) que c'était la dernière fois que le PS
gagnerait une présidence et une majorité
parlementaire. Alors, ils en profitent pour
sauver leur monde.
Pourtant, parmi eux, beaucoup, presque tous
probablement, sont animés par une grande soif de
Droits Humains, d'égalité, de liberté, de
fraternité, de dignité, d'émancipation... Que
leur éthique les guident à affirmer de belles
choses qui font grandir l'Humanité, et qu'ils le
fassent sincèrement, je veux le croire.
La difficulté c'est l'arbitrage.
Le risque c'est la perversité, la dérive des
volontés, la porosité des gardes fous, la
péremption du sens des mots, la densité de la
langue de bois.
Être républicain en 1900, c'était être de
gauche. Être libéral dans les années 20, c'était
l'égalité des droits et la liberté
d'entreprendre. Être socialiste dans les années
80, c'était être anti-capitaliste.
Inventer un nouveau référentiel, "Co-construire"
c'est indispensable, mais joie-perdue sans
co-gestion des nouveaux outils ainsi mis en
place.
Alors, qu'un nouveau cadrage, que de nouvelles
orientations apparaissent, nous devons y
contribuer et le célébrer.
Mais, quand chacun aura compris comment remplir
le dossier, aura décrypter la nouvelle grille de
lecture, saura rentrer dans ces nouvelles cases,
se vantera d'être un acteur utile à l'humanité,
prouvera par quelques circonvolutions qu'il
offre de la dignité à des personnes, au lieu
d'offrir, comme avant, un produit artistique de
qualité et bon marché au plus grand nombre...
Quand chacun aura trouver sa liberté au sein de
se cadre, somme toute absolument souhaitable,
quand on en sera là, qu'inventerons-nous ?
Le défi c'est l'arbitrage, en continu.
Bouèb,
PS : Je ne voulais pas réagir, puis j'ai voulu
faire court, garder du temps pour rappeler des
"distributeurs" pour "vendre" des spectacles
(euh, pardon, des camarades pour transformer la
société... euh, non... des partenaires pour agir
ensemble pour l'humanité... euh... des lieux de
diffusion pour jouer nos spectacles... j'en perd
mon latin)... Pfff... sur mon temps de travail,
je manque de moment pour inventer le monde, pas
vous ?
PPS : Il y a 1000 ans, en latin, "concurrens"
(qui a donné concurrence) signifiait : se
rejoindre, courir ensemble vers le même point...
puis prétendre à la même chose en même temps,
toujours dans une sens de convergence... puis,
aujourd'hui, une course sans pardon, ni merci,
où seul le premier est le meilleur et remporte
la mise.
PPS : Le pâté Henaff (leader finistérien du porc
en boite) avait comme slogan "seul le meilleur
est bon !", mais ça n'a rien à voir.
les grands moyens
Le 20/02/2013 19:50, Serge CALVIER a écrit :
Objet : Une bonne raison à valoriser !
Bonjour,
comme un twitt :
François Hollande a remis la légion
d'honneur à Amartya SEN.. La France honore
donc l'auteur de "L'idée de Justice". Le
Doc Kasimir Bisou (dont les lecteurs
savent l'attachement à l'approche par les
capabilités) se félicite de cette
initiative présidentielle. Le Doc en
déduit, en toute logique, que les projets
ABDH seront privilégiés partout dans la
République française et, notamment, au
ministère de la culture ( qui va devoir
apprendre rapidement ce que recouvre
"l'approche basée sur les droits de
l'homme en développement" !!!). La
"démocratisation" de LA culture devrait
ainsi disparaitre du langage ministériel
pour faire place au développement de
droits culturels de la personne ! ! !
Vous avez le droit de répondre que vous
n'y croyez pas du tout !!
Mais il faut bien vivre d'un peu d'utopie
dans ce monde diplomatique, si cruel aux
invendables.....
Bien cordialement à toutes et tous.
JM Lucas et Doc Kasimir Bisou
|