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Re: [rue] Les yeux noirs et les mains rouges


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  • From: Thierry Decocq < >
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  • Subject: Re: [rue] Les yeux noirs et les mains rouges
  • Date: Fri, 01 Mar 2013 10:31:45 +0100

Mon cher Zad,

A lire ton propos enthousiaste, j'ai bien sûr envie de voter pour toi. Le fait que tu sois né comme toute une belle galerie de personnage de la plume de Chtou n'est sans doute pas étranger au talent que l'on sent en toi. Tu ferais sans doute un bon président pour la Fédé.

Mais avant de prendre la décision de te donner ma voix, je veux te rappeler que cet enthousiasme de la jeunesse ne doit pas te faire oublier que la Fédé n'est pas l'alpha et l'oméga des Arts de la Rue. Parmi tout ce que la Fédé n'a pas fait et que tu cites dans un inventaire de Prévert en colère, il y a certes des manquements, mais aussi des choses qui ne lui incombent pas.

Sa vraie mission, c'est de donner une visibilité aux Arts de la Rue et même ce n'est pas toujours parfait, cette mission là est remplie. Ce que tu appelles réunionite, c'est le moyen de dialoguer avec un environnement complexe, flou et mouvant. Nous sommes une petite niche d'un petit secteur d'une activité que la crise fait passer pour secondaire. Difficile de revendiquer le droit d'exister dans ces conditions. Et pourtant, nous existons et tous les projets que tu cites, où la Fédé a été inutile, ont pu peut-être un peu voir le jour parce que la petite voix de la Fédé est arrivée un jour dans les oreilles d'un ministre ou d'un conseiller.

Ce n'est pas dans les réunions où nous sommes allés mais dans celles que nous avons raté que nous sommes les plus fragiles. Les compagnies qui - comme la tienne - ne savent pas dépenser un temps inutile à la recherche de subventions anémiques vont le réaliser avec l'extension de la Convention collective du privé qui ignore magnifiquement notre secteur. Tu appliqueras les règles des tourneurs, et je ne suis pas sûr que cela colle au fonctionnement et aux moyens de ta compagnie. Tu paieras une contribution pour que tes salariés puissent être représentés par des syndicats et tu CASCeras pour un fonds social qui ne sera pas le FNAS, ce qui fait que les artistes qui travaillent à la fois pour le public et le privés verront leurs droits se partager au lieu de se cumuler...

Je suis aussi très circonspect sur la capacité de la Fédé d'anticiper la révision de la convention UNEDIC. Des réseaux plus militants commencent à se mobiliser et je sens que nous sommes à la traîne, pris peut-être dans l'angoisse naturelle de voir un conflit éclater en sachant que les compagnies de Rue seront sans doute les premières et les plus durement touchées.

Je suis comme toi Zad, enthousiaste, mais mon enthousiasme va sur des choses qui semblent ne pas passionner grand monde. Je passe parfois pour un radoteur un peu monomaniaque, mais que veux-tu, on ne se refait pas! Jean-Luc qui m'aime bien dit que je suis un prêcheur et non un radoteur, ça préserve au moins ma dignité :)

Nous sommes tellement prêts du guidon que nous ne rendons plus compte de ce qui se passe. Ce sont nos voisins qui nous l'ont rappelé lors de la dernière UB au Boulon. En France, les Arts de la Rue ont une légitimité qui n'a pas d'égal ailleurs. Ici, on a des festivals, des lieux de fabriques. Les compagnies peuvent créer et se produire sans jouer à cache-cache avec la maréchaussée... Elles arrivent à financer des projets - difficilement, mais ça reste possible. Nous vivons - je l'ai entendu avec stupéfaction - dans le paradis des Arts de la Rue.

Il y a un point où je te donne entièrement raison: la Fédé ne sait pas faire le lien entre la voix qu'elle doit porter au niveau national et ce qui se passe en région. Même s'il y a volonté de bien faire (avec - heureusement pour nous - Julie et Thomas qui s'investissent énormément), on ne sait pas faire vivre ce lien indispensable. Du coup, la Fédé semble distante et écartées des préoccupations du terrain. Le vieux soupçon de jacobinisme plane toujours. Il n'est pas toujours infondé sans doute, mais tellement exagéré vu de nos provinces! Est-ce d'ailleurs la responsabilité du national ou des régions? Le débat sera sans doute remis une fois de plus sur la table lors de la prochaine AG.

Bref, je compte sur toi Zad pour mettre le feu et réveiller la Fédé qui peut sans doute faire mieux. Mais je veux aussi te mettre en garde: il est toujours dangereux pour un révolutionnaire de prétendre "Je représente notre profession". Car cette profession est tellement diverse dans ses formes, ses activités, ses expressions, ses générations même... que si tu cherches à l'appréhender à l'aune de ta seule jeune expérience, tu cours à l'échec. Soit tu es très fort et tu deviendras un vil dictateur, soit tu es trop faible pour tenir la barque seul et tu nous feras tous courir à la catastrophe.

Là encore Zad, regarde ce qui s'est passé à l'UB: non seulement il y avait du monde, mais aussi des gens de toutes les générations, de toute la France et de tous métiers. C'est à cela que devra ressembler le prochain CA.

Zad président? Pourquoi pas! Mais réfléchit bien à la responsabilité que tu veux prendre et ce qu'elle implique. Y compris cette faculté si dure à acquérir chez les plus jeune et qui est nécessaire à chaque bon dirigeant: la capacité d'accommoder de mille manières les couleuvres que l'on doit régulièrement avaler.

Bien à toi

Thierry


Le 28/02/13 22:26, Chtou a écrit :
Salut, vous ne me connaissez pas, on m'appelle Zad.
J'ai 25 ans. J'ai la patate. J'ai une putain d'envie de tout détruire qui me
brûle le bide et me donne le sourire.
Et de tout reconstruire, en mieux, aussi.
Et j'ai décidé de me présenter à la présidence de la fédé.

Je représente notre profession.
Je la représente parce que je n'ai pas cinquante ans, que ma jeune compagnie
est quasiment inconnue.
Que je ne rentre pas dans les cases de ces demandes de subventions qui me
saoulent.
Que je dois acheter des gusos à mes potes pour terminer mon intermittence.
Et que l'avenir, devant moi, je vais lui sauter dessus, l'étreindre
l'embrasser et m'enfuir avec lui.
La rue pour moi, c'est faire de l'art dehors, mais c'est aussi esquiver le
pilonnage des carabiniers de la normalité, et lever d'un même défi l'étendard
de la poésie et le doigt de la rébellion.
Je ne suis pas directeur artistique, je n'ai pas d'amis bien placés.
Je ne suis qu'un saltimbanque en cavale.
Qu'un prince des évadés.
Comme vous, peut-être.

La fédé m'apparaît molle et inutile.
Individuellement j'y vois des gens sympas, mais ensemble, c'est réunionite,
luttes de pouvoir, prudence, impuissance.
Est-ce qu'Opposito a eu besoin de l'avis de la fédé pour construire avec
l'argent public son école des arts de la rue?
Non.
Est-ce que la fédé a été au coeur de la création de la Cité des arts de la
rue à Marseille?
Non.
Est-ce que la fédé a le pouvoir d'influer même sur l'accueil des compagnies
off à Aurillac?
Non.
Le pouvoir est ailleurs, gérant les subs de notre secteur, ou ce qui nous
concerne vraiment.
Les enjeux de la fédé sont bénins.
Et pourtant la fédé c'est le peuple, c'est la démocratie, non?
Une fois encore, des puissants nous ignorent, nous contournent, nous niquent,
s'estiment plus compétents, plus légitimes.
Foutons leur le feu aux granges.

Je serais votre président, si vous voulez foutre le bordel.
Si vous êtes prêt à mettre votre grain de sel dans un élan participatif
majeur, nouveau, puissant.
Je n'habiterai pas à Paris.
Je n'irai pas à toutes leurs réunions acronymes, les Ufisc, les Syndeac, les
sacd et les afdas, l'opulent directeur des CS n'aura pas l'honneur de me
croiser dans les couloirs dorés de l'entre soi.
A quoi bon, qu'est-ce qui avance, quelle victoire, quelles mains se tendent,
dans ces réunions convenues, qui ne profitent aux cnars mais aux compagnies?

Les Arts de la rue sont en province, dans les villages, dans les bourgs, dans
les régions, les arts de la rue se foutent bien de l'état centralisé.
Je veux réunir les milliers d'individus qui nous composent, la horde hirsute
des ploucs, de leurs fêtes populaires, avec leur gouaille haute, un poing
levé et un pavé dans l'autre.
Et nous nous organiserons ensemble, de chez nous, par cellules autonomes et
solidaires. Par communes.
Paris tremblera, les peureux crieront au gâchis, les raisonnables nous feront
la chasse.
Mais les yeux noirs et les mains rouges, nous renverserons le vieil âge.

Nous ne chercherons plus à être adoubés par les nantis, nous créerons nos
richesses propres.
Nous ne chercherons plus à être conformes aux esthétiques, nous aurons la
beauté vraie.
Nous ne chercherons plus à avoir.
Nous serons.

Choisissez le nouveau président d'une fédé qui compterait ses jours.
Le dernier président, un jour durant.
Et puis, soudain, la fédé nous appartiendrait, mes frères.












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  • Re: [rue] Les yeux noirs et les mains rouges, Thierry Decocq, 01/03/2013

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