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Re: [rue] une lettre à Jean Marc Ayrault qui passe par là


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  • From: Franck Halimi < >
  • To: Liste Rue < >
  • Subject: Re: [rue] une lettre à Jean Marc Ayrault qui passe par là
  • Date: Wed, 6 Mar 2013 14:35:03 +0100

Salut, c'est Franck de Bourgogne.

Un grand merci pour avoir transmis cette lettre, Jacques !

Elle est d'une justesse exemplaire car elle correspond trait pour trait et caractère pour caractère à bien des choses que nous ressentons et vivons au quotidien, tant dans nos vies personnelles que dans nos métiers.

Et tu as raison, Jacques, outre ce sentiment de frapper au bon endroit, tout en délimitant bien les frontières qui nous divisent, elle est portée par un souffle de vérité qui l'autorise à espérer avoir une portée au-delà des idées et des mots. Pour bien faire comprendre à nos édiles que plus le fossé est creusé, plus le creuset est faussé...

Je ne sais pas si cette missive parviendra à celui à qui elle est initialement adressée (Jean-Marc Ayrault), mais ce qui est sûr, c'est que moi, je vais la transmettre à mon député PS de Dijon, afin que lui aussi puisse mettre le doigt (et le reste, j'espère...) sur nos incompréhensions et sur nos difficultés à parler ensemble...

Et je crois que ce serait une bonne idée que chacunE dans son coin en fasse de même avec ses élus locaux, porteurs de mandats nationaux.

Sans naïveté, mais avec espoir...

Voili.

Ami calmant.

@+ Franck de B. 
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Le 6 mars 2013 09:15, Livchine < " target="_blank"> > a écrit :
elle est très longue, elle n'est pas de moi, elle est de David Langlois Mallet, journaliste
mais elle a du souffle 



Cher Jean-Marc,

Tu m'écris ce matin au réveil et ta lettre me touche.

Parce que l'on sent la sincérité, mais aussi le désarrois derrière le volontarisme d'un homme bien qui essaie de faire quelque chose. On sent aussi derrière le « ça va aller... On va s'en sortir » que pourrait dire un père à ses enfants, quelque chose de très anxiogène pour le collectif (qui justifie que je laisse une paire d'heures mes occupations du jour). Bref, tu ne nous dis pas à quel point nous sommes devant une situation dangereuse.

Comme dans les familles des années 60, le dialogue est difficile avec vous, décideurs politiques. Parce qu'il part du présupposé que nous ne pensons pas vraiment, que nous ne sommes pas assez adultes pour comprendre la situation. Si nous l'étions, pensez-vous, vous vous sentiriez plus soutenus... Alors que le seul mode de dialogue permis justement par la hiérarchie que vous mettez entre vous et nous est une certaine agressivité populaire contre les dirigeants. Celle à laquelle vous êtes blindés par les conflits de parti. Pas de dialogue donc.

Puisque tu t'adresses à moi, je m'adresse à toi. Et je m'étonne à l'avance que certains puissent y voir une insolence. Je prends simplement au sérieux le texte fondateur de notre République. Tu es citoyen premier ministre, je suis citoyen. J'écris et je m'efforce pas seulement de garder la langue bien pendue mais aussi les yeux et les oreilles ouverts sur ce pays où j'ai pas mal enquêté.

Ces présentations faites, le sens de mon message est le suivant. La crise est bien pire que tu nous le dis car ce n'est pas seulement une crise économique. C'est une crise écologique aussi, mais c'est une crise humaine surtout, donc une crise culturelle. Mais bonne nouvelle aussi, il y a des ressources que tu ne vois pas.

Ce qui ne va pas

Nous vivons (en plus dangereux) une époque comparable à la fin du moyen-âge, quand les grandes peurs n'avaient pas encore laissé place à la Renaissance. Un monde économique, fait d'industrialisation et de consommation s'effondre (et nous sommes dessous). Et nos structures institutionnelles pyramidales et désuètes nous fragilisent au lieu de nous protéger. Les comportements de nos dirigeants politiques, totalement dépendants de leur culture technocratique et des choix d'une technostructure qui leur échappe presque complètement ne sont plus adaptés à l'évolution du monde et des relations entre les gens. Vous avez tous été formés à une pensée des Trente Glorieuse qui ne correspond plus au monde.

Une part importante de la société française, mais aussi européenne s'enfonce dans un hiver inquiétant, mêlant replis identitaires de toutes natures et précarité, économique mais surtout culturelle. Sur un territoire désenchanté fait d'étalement urbain insignifiant et de centre commerciaux à perte de vue, c'est tout un monde ouvrier et de petits salaires qui se sent trahi et abandonné par la société de consommation qu'on lui avait vendue et qui n'existe plus que dans la violence du rêve télévisuel. On les abandonne comme hier les paysans.

Un agriculteur par jour au moins se suicide en France dans l'indifférence générale. On écoute encore (un peu) les suicides de salariés qui vont au bout d'une logique où on leur demande de se tuer au travail et maintenant c'est le tour des chômeurs que l'on considère comme des déviants à redresser, quand cassés, ils ne veulent pas partir à la guerre économique qui disloque les liens familiaux et les couples. Quelle vie ont les enfants de tous ces gens ? Quelle idée du monde adulte ? Quel avenir ont-ils ? Et on s'étonne maintenant de la violence des adolescents ? Violence tournée le plus souvent contre eux-mêmes d'ailleurs.

Tous ceux qui sont au côté de cette misère humaine ou au soin de proximité, fonctionnaires de terrain, enseignants, personnel des hôpitaux et des maisons de retraite (des mouroirs ?) sont méprisés, découragés souvent par leur hiérarchie, ses comportements féodaux et ses privilèges.

En haut, à la télé, protégée dans ses quartiers réservés en ville et par la chèreté foncière, la nouvelle noblesse de l'argent ne se sent liée aucunement à tous ceux-là. Aucun lien, aucune responsabilité. Seul compte s'enrichir et jouir dans la perspective généralement admise par une bonne part des élites (je ne la confonds pas avec une élite de gens de devoir comme vous) que nous vivons une certaine fin du monde et que c'est sans scrupule qu'il faut en jouir personnellement, autant que faire se peut. Malheureusement pour les gagnants du casino social, la vie humaine ne se résume pas à profiter. Alors leurs familles hantent les psy et les psycotropes. TF1 ou la coke, chaque niveau de la société à ses pilules d'oubli pour tenir. Mais tenir pour quoi ?

Je ne veux pas te déprimer, toi et ton équipe, dans votre difficile métier. Je t'écris pour vous dire qu'il faut miser sur l'humain en fait et sur ce peuple créatif de français-es de toutes origines.

Celles et ceux sur qui tu dois miser

Vos ressources humaines, vos alliés sont là où vous ne les voyez pas. Là où le politique ne comprend pas, là où il ne mise pas. Là où les gens investissent d'eux-mêmes au milieu du difficile. Là où l'on ne renonce pas à faire rimer le sens que l'on donne à sa vie et l'intérêt de la collectivité.

Ils vous demandent juste de modifier la stratégie d'une bataille qui ne peut plus être gagnée si l'Etat continue à miser d'abord sur les entreprises du CAC40 au lieu de s'investir au côté de la population. Privilégier une industrie qui délocalise revient à disperser nos ressources au vent de la mondialisation, quand c'est la richesse humaine de notre pays qui reste son moteur de relance. Pas seulement pour le PIB, mais aussi de son BIB (Bonheur Intérieur Brut).

Quelques pistes ?

Si notre crise est l'effondrement du monde industriel, soutenez d'urgence la créativité individuelle dans toutes les formes artisanales. Ils y les créateurs d'objet, les inventeurs, les artistes, les artisans, toute une classe d'intello qui se précarise parce qu'elle mise dans ses recherches, ses projets d'intérêt général, sa création d'emploi. Sans soutien autre parfois que le RSA. Faite confiance à la classe précaire-créative. Elle est en difficulté car elle ne renonce pas à l'intérêt général. Elle cherche juste le sens commun si nécessaire au travers de projets de vie. Donnez aux individus des outils de travail collectifs, pour s'épauler, sortir de la solitude et inventer ensemble. Faites-le en vous inspirant des inventeurs de services publics innovants comme Le CENT, l'établissement culturel solidaire, de Paris XIIe. Economiquement très légers, appuyés sur le tissu associatif, ils concilient les impératifs d'économie des ressources publiques et le développement de services à tous.

Si notre pays est dans une crise de citoyenneté ? Regardez du côté des nouveaux français-es. De ceux qui se battent pour venir sur notre territoire ou pour y trouver une place. Donnez de la voix aux immigrés et une pleine place à leurs enfants. C'est cela qui régénérera une France qui a le souffle court car elle ne croit plus elle-même à ses principes fondateurs. Ecoutez l'élite de votre jeunesse qui se mobilisent dans les friches artistiques, comme le 6B à St Denis ou l'Ambassade du Pérou à Ris-Orangis. Pourquoi, au lieu d'une vie confortable, promise par leurs études d'architectes et d'urbanistes, vont-ils au contact des plus méprisés du territoire, de ces intouchables que sont en France les Roms ? Parce qu'ils sentent que c'est à l'extrême qu'il faut témoigner. Que le sang neuf de la République coule dans les veines des sans-papiers.

 Si vous voyez qu'un système de pensée ne fonctionne plus, il faut en changer. Ayez le courage d'accompagner la libération de la parole, qui explose partout depuis Internet. Au lieu de conforter les hiérarchies disqualifiées, confortez la responsabilisation et la prise d'initiative de chacun à son poste. Misez sur le travail en équipe, sur la responsabilisation individuelle des enseignants dans leur démarche pédagogique, des infirmières dans leur expertise. Reconstruisez le tissu entrepreneurial en misant sur les micros et les petites entreprises. Soutenez les dynamiques nouvelles de mutualisation.

<!--[if !supportLists]-->o    <!--[endif]-->Misez sur des choses négligées. Prenez au moins la peine d'entendre les arguments de l'association Amelior, ceux qui soutiennent les biffins. Ils vous disent qu'il y a un gisement de richesse dans nos déchets et qu'il ne faut pas pourchasser (à grands frais pour la collectivité) les pauvres qui vident les poubelles. Mais au contraire entendre qu'il faut arrêter de s'empoisonner les bronches en incinérant chaque jour les matériaux qui vont nous manquer et que nous importons à grands frais. La sobriété écologique va avec un autre développement.

<!--[if !supportLists]-->o    <!--[endif]-->Si vous croyez que les gens vivent une terrible solitude individualiste . Misez sur la fête. Des peuples pauvres dansent ! Nous sommes un peuple en dépression plus encore qu'en déroute économique. Les français ont été connus dans l'histoire comme un peuple des plus joyeux. Les habitants de votre pays ne chantent plus monsieur Ayrault ! Soutenez, protégez toutes les initiatives locales entravées par la réglementation comme les cafés-culturels par l'empilement des lois liberticides comme la liberticide loi Voynet. Aidez des petits lieux de culture qui font un travail de créativité populaire et ont un potentiel extraordinaire dans les quartiers. Je pense au Lavoir Moderne en danger à la Goutte d'Or. A la Forge de Belleville stupidement abandonnée au marché par la Mairie de Paris. Et à des centaines d'autres en France.


Ce que je vais te dire ne te fera pas plaisir (mais on est pas là pour ça si je t'ai bien entendu) car cela peut passer pour personnel, le sujet te tient à cœur. Pardon par avance donc de te dire que c'est aussi ce qu'essaient de te dire des gens à Notre-Dame-des-Landes. Mais que l'on essaie de dire à Paris à Delanoë (sans succès) et un peu partout devant l'autisme du politique. On veut vivre par exemple dans un Grand Paname des Paris-villages, multiples, conviviaux et pas celui des superstructures déshumanisées. Les gens de la Nièvre veulent être en prise sur leur paysage, leur vie quotidienne pas voir les bois du Tronçay rasés pour une scierie géante. Là encore, au cœur de la Nièvre, le gisement n'est pas industriel. Il réside dans tout le potentiel d'échange et de rencontres qu'il y a autour de l'Abbaye du Jouïr et du TéATr'éPROUVèTe..

Le rêve des années 60 est mort un peu partout, on n'attend pas de vous politiques que vous le ressucitiez car il n'a pas donné forme au bonheur, mais objet à désespérance. Nous n'avons plus besoin de grands équipements que vous ne savez plus d'ailleurs comment financer. Arrêtez de croire que l'on attend du politique de grands travaux. Vous n'êtes pas et ne serez jamais Louis XIV. Et tant mieux ! Si la République a un sens, ce n'est pas d'élire le monarque et sa cour. C'est que le pouvoir politique soutienne l'initiative individuelle là où elle rencontre l'intérêt général. C'est là qu'est la réserve de ce dont a besoin une grande partie de la société : du sens, de la reconnaissance, des outils et du soutien, de la visibilité plus que de l'argent pour se retrouver avec une pauvre vie à consommer des séries télés.

Nous avons besoin que vous laissiez de la place aux initiatives des gens d'en-bas, des gens du lieu. Là, dans la vie locale, dans les initiatives non soutenues des quartiers, là se cache l'emploi que vous appelez. L'emploi durable et qui ne détruit pas le tissu des rapports sociaux mais participe à les construire. Car au plus proche, au local, est aussi la socialisation et l'humanisation des rapports plus nécessaires encore aux français-es de maintenant.

C'est dans cette approche ouverte de la culture qu'il y a de l'intérêt général, pas dans l'entre-soi et la distinction des évènements plus ou moins privés que favorise l'institution aujourd'hui. Les collectivités territoriales ont largement pris le relai de l'Etat dans le financement culturel. Malheureusement, sans repères du Ministère de la Culture depuis plus de 10 ans, elles limitent (a quelques exceptions près) par leur frilosité la culture à un outil de développement de l'industrie du tourisme quand ce n'est pas de simple image pour le politique. Monsieur le maire devenu tout puissant, choisi alors l'artiste instrumenté (au détriment de l'insolent) et l'invite alors à participer de cette fracture politique que nous connaissons et qui participe à la désespérance de ce territoire et à sa défiance envers ses élus. Il y a donc beaucoup à faire pour recoudre au plus proche, autour de l'intérêt des habitants, le lien entre culture et politique, mais cela passe aussi par une évolution de la culture politique. Chiche ?

Pardon d'avoir été beaucoup plus long que ta vidéo, mais je n'ai pas la vidéo. Tout cela on tente de te le dire, de vous le dire. On ne parvient pas à se faire entendre, même quand on passe par des canaux proches de toi, comme le Think-tank Altaïr qui a tout même dans ses travaux levé quelques lièvres. On se sait s'ils ont touché ton oreille ?

Voilà, tu m'as écrit sans me connaître, je te réponds en te connaissant de loin. Tu me liras peut-être si tu en as le temps, mais je crois que pas mal d'autres qui pensent comme moi en seront confortés. Et c'est cela le plus important.

Tous mes vœux de courage pour ton combat quotidien.

Chaleureusement à toi,

David Langlois-Mallet

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