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[rue] Street art et Web en étroite connexion


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  • Subject: [rue] Street art et Web en étroite connexion
  • Date: Sun, 8 Sep 2013 12:17:54 +0200

Bonjour à tous,

A la suite un article paru dans Libé avant-hier, que vous pouvez retrouver sur le web ici : http://www.liberation.fr/culture/2013/09/06/street-art-et-web-en-etroite-connexion_929972

Bonne lecture,

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Martin Julhès
38 rue Colin
69100 Villeurbanne
+336.68.41.92.43


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Street art et Web en étroite connexion

MARIE LECHNER 6 SEPTEMBRE 2013 À 19:06
La frontière s’estompe entre artistes urbains et numériques, dont les pratiques se complètent et se répondent de plus en plus. Un dialogue fructueux entre deux contre-cultures qui partagent une même revendication de l’espace public.

«Tag Clouds», à Rennes. L'artiste Mathieu Tremblin joue de l'analogie entre tags physiques et virtuels.«Tag Clouds», à Rennes. L’artiste Mathieu Tremblin joue de l’analogie entre tags physiques et virtuels. © Mathieu tremblin.

L’artiste urbain parisien Invader est sans doute l’un des premiers à avoir extrait un élément de jeu vidéo pour le disséminer dans l’espace public. Ses petits vaisseaux carrelés à l’effigie du mythique jeu vidéo Space Invaders (1978) prolifèrent aux angles des rues, sous les ponts et sur les trottoirs, de Paris à New York, de Katmandou à São Paulo. Le 20 août 2012, il a même envoyé l’une de ses créatures en mosaïque dans la stratosphère, accrochée à un ballon. «Tout mon programme se résume dans ces deux mots : envahisseurs de l’espace ou d’espace», expliquait àLibération l’artiste né en 1969, qui se revendique «enfant du computer» plutôt que de la télévision. Ses vaisseaux reproduisent l’esthétique des aliens en gros pixels inspiré du jeu de tir japonais Taito, l’un des premiers hits sur borne d’arcade. Mais contrairement à leurs homologues électroniques, ceux d’Invader sont faits de matériaux basiques, des mosaïques de salle de bain préassemblées prêtes à être collées avec une glu faite maison. Des objets futuristes réalisés selon une technique archaïque, comme un pied de nez à la technologie et à la rapidité.

La jeune génération baigne, elle, depuis toujours dans la marmite technologique et le Web est sa deuxième maison. Les pratiques online et offline ont désormais tendance à converger, à se répondre ou à se compléter l’une l’autre, à mesure qu’Internet quitte l’écran pour le cloud et que la ville elle-même devient l’interface. Le street art partage un certain nombre de points communs avec les contre-cultures du Net : revendication de l’espace public, critique de sa privatisation, pratique à la frontière de la légalité, rejet du droit d’auteur, gratuité, anonymat, facilité de création et de partage.

DU GRAFFITI AU «GIF-ITI»

Pour les artistes urbains, la Toile est devenue un showroom permanent, permettant d’exposer leurs éphémères faits d’armes à une audience planétaire, au point que la trace électronique devient aussi importante que le graffiti in situ. Face à ce constat un peu déprimant, Insa, graffiti artiste londonien, a radicalisé la tendance en inventant un graffiti fait pour être vu exclusivement sur le Web sous la forme d’un GIF animé. Il le baptise le «GIF-iti », contraction de GIF - format fétiche du folklore digital - et de graffiti. Emboîtant le pas de Blu (le grapheur italien auteur desomptueuses animations peintes patiemment sur les murs des villes), Insa peint et repeint les façades avec de légères modifications. Puis les photographie, image par image, avant d’en faire une boucle animée qu’il poste sur son site. Il a passé ainsi une semaine à suer sous le soleil de Los Angeles pour repeindre un bâtiment de fond en combles plusieurs fois d’affilée. Un travail titanesque qui finit systématiquement en un GIF animé de 600 pixels de large.

C’était le cas de l’un de ses récents projets, en collaboration avec Stanley Donwood, auteur de la pochette d’Atoms for Peace (le nouveau groupe de Thom Yorke). Insa anime les scènes en noir et blanc dépeignant la destruction d’Hollywood sous une pluie de météorites sur les façades de XL Recordings à Los Angeles. Les gigantesques peintures murales ne prennent vie que lorsqu’elles sont mises en ligne. Un effort qui paraît disproportionné, mais «l’œuvre sera vue par des centaines de milliers d’internautes, et pas seulement les quelque milliers de promeneurs qui longent le mur avant qu’il ne soit repeint», dit-il dans une interview au blog The Creators Project. Pour l’artiste britannique, qui faisait du graffiti avant l’ère Banksy, c’est aussi une manière de protester contre la marchandisation du street art qui a migré des murs lépreux de la ville à ceux immaculés des galeries. «Le graffiti était une forme artistique libre dont tout le monde pouvait profiter, mais il a été transformé en bien de consommation, vendu au plus offrant.Mes GIF-itis ne peuvent être accrochés au mur d’une galerie. Une fois téléchargés, ils sont libres de voyager et d’être vus par le plus grand nombre.»

D’autres artistes réalisent le même genre d’hybridation, mais à rebours cette fois, déversant le Web dans la rue. Ils téléchargent l’online vers l’offline, recodent les univers numériques en dur. A New York, Jilly Ballistic appose des messages d’erreur informatique sur les publicités pour les ridiculiser. Mathieu Tremblin, artiste urbain français, joue, lui, avec l’analogie entre les tags physiques, ces signatures griffonnées sur les murs, et les tags virtuels, ces mots-clés associés à des images, et remplace les calligraphies anonymes par des nuages de mots-clés («Tag Clouds»). Ou décline le principe de l’hyperlien en «Hypertag», un tag qui mène à un autre qui mène à un autre, etc., transposant la serendipité (1) du Net dans son équivalent urbain, la dérive.

Quant au Berlinois Aram Bartholl (2), dans Are You Human, il dissémine au milieu des tags de la ville des Captcha, ces suites de lettres et chiffres aléatoires générées automatiquement et difficiles à déchiffrer, utilisées sur le Web pour vérifier que vous êtes un humain et non un script automatique. Comme les Captcha, les tags sont une forme de langage codé, compréhensible par les seuls initiés. Issu des arts numériques, Bartholl s’emploie à rematérialiser les bits en atomes, en faisant migrer par exemple des signes familiers du Web dans l’espace physique des villes, comme planter en leur centre le marqueur géant de Google Maps. Une manière de questionner les frictions entre espace informationnel numérique et espace public, à une époque où la perception de la ville est de plus en plus influencée par les services de géolocalisation.

La ville elle-même est désormais recouverte de multiples couches d’informations invisibles auxquelles on se connecte via son smartphone. N’importe qui peut, à l’aide d’une application adéquate, «taguer» des commentaires sur un restaurant, épingler un mot à l’endroit d’un premier baiser, une photo souvenir ou une vidéo… Au XIXe siècle déjà, les hobos, travailleurs migrants aux Etats-Unis, laissaient sur le pavé des messages dessinés à la craie ou au charbon, destinés à ceux qui suivraient leurs pas. Ils avaient développé leurs propres hiéroglyphes codés, pour signaler une gentille dame, un chien méchant ou un endroit peu sûr. L’artiste numérique Golan Levin a réactualisé cette signalétique à l’ère du nomadisme 2.0 en mettant au point une série de pochoirs permettant de dessiner des QR codes (codes-barres en 2D) indiquant toutes sortes d’informations pratiques décryptables à l’aide de n’importe quel téléphone portable : un propriétaire désagréable, des caméras de surveillance ou encore un bon café.

Les œuvres du Berlinois Sweza se dissimulent également derrière des QR codes. Avec lui, le street art devient interactif et nécessite un smartphone pour y jouer. Ainsi de son cimetière des graffitis, Graffyard. Sweza les photographie avant leur disparition, puis colle un QR code à l’endroit exact où ils se trouvaient afin que le promeneur qui flashe le code puisse voir le graffiti effacé, comme un voyage dans le temps. Ces codes, qui sont censés fournir des suppléments d’informations aux consommateurs, pullulent sur les publicités que Sweza s’amuse à hacker, substituant aux codes commerciaux ses propres codes humoristiques. Intéressé par ces signes abstraits qui permettent de lier espaces virtuel et réel, il les a également intégrés dans un autre symbole de la culture hip-hop, le ghetto-blaster («QRadio»), où le QR code renvoie vers une cassette diffusant sa playlist.

UNE DÉESSE VIRTUELLE DE LA DÉMOCRATIE PLACE TIANANMEN

Mais ces QR codes sont déjà un peu old school face à la réalité augmentée, qui est, elle, totalement invisible à l’œil nu. A moins d’être pourvu des Googles Glasses ou, à défaut, d’un smartphone géolocalisé doté d’une application spécifique (genre Layar), impossible de lire ces données subliminales disposées dans votre périmètre, surimposées dans l’espace physique. Un collectif international d’artistes,Manifest.AR, a choisi d’occuper cet entre-deux, cette «substratosphère» entre online et offline ainsi qu’il la qualifie, posant des images fantomatiques ou déployant des architectures imaginaires sur le monde réel. Ces «tagueurs d’espaces» ont ainsi installé sur la place Tiananmen une version virtuelle de la statue de la déesse de la démocratie érigée par les étudiants révoltés en 1989. La statue de la démocratie a également été implantée place Tahrir au Caire. A Paris, ce sont des fûts de déchets toxiques que John Craig Freeman a entassés près de Beaubourg, de la tour Eiffel et du Louvre, déversant sa décharge dans les pays carburant à l’atome. A Lausanne, Lalie. S.Pascual a elle installé une station de métro fantôme qui permet de se téléporter dans une autre ville, et Mark Swarek a invité les gens à une «occupation augmentée» du district financier de New York.

Ces actions sont limitées techniquement à des images statiques s’alignant avec la topographie urbaine, pas vraiment de quoi soulever les foules. Mais le médium laisse entrevoir, d’après leurs promoteurs, de nouvelles manières d’infester et de remodeler la réalité qui nous entoure. «L’art AR [réalité augmentée] défie la gravité, il est caché et doit être trouvé. Il est instable et inconstant. Il est et devient réel et immatériel», écrivent les artistes dans leur manifeste.

De la même manière que les graffitis visent à modifier notre regard blasé sur l’environnement urbain, ces interventions sont une manière de «réclamer les rues»(«Reclaim the Streets») des villes, mais aussi de «réclamer les écrans»(«Reclaim the Screens»). L’espace public se recouvre d’écrans publicitaires numériques, et il devient difficile de rivaliser avec ces enseignes lumineuses. Dans ce combat de David contre Goliath, le collectif VR/Urban fourbit les armes avec son«SMSlingshot», un lance-pierre qui permet d’éclabousser les murs de la ville de SMS. Les messages peuvent être tapés sur le miniclavier qui équipe la fronde en bois. Une fois le message rédigé, il suffit de viser l’endroit où l’on veut l’envoyer, de tirer bien fort sur l’élastique et le texte apparaîtra dans une tache colorée. Une arme qu’ils ont mise entre les mains des passants, notamment ceux de la place Tahrir. Les éphémères éclaboussures de lumière, au même titre que les tags en réalité augmentée, ne salissent pas les murs, et sont par conséquent plus faciles à accepter que les dégueulis de peinture, ce qui amoindrit la radicalité véhiculée par ce geste frondeur.

Il n’empêche, la figure du writer et du hacker, du vandale et du pirate, de l’artiste urbain et de l’activiste du Réseau ont tendance à converger. Comme au sein du Graffiti Research Lab, fondé à New York en 2005 par les artistes James Powderly et Evan Roth, ce dernier vivant désormais à Paris. Pull à capuche, cheveux roux coupés ras et visage criblé de taches de rousseur, Roth, 35 ans, n’est pas un pro de la bombe, comme il l’admet volontiers, mais plutôt du clavier. Après des études d’architecture, suivies d’une thèse sur «Graffiti et Technologie» à Parsons, l’école new-yorkaise de design, il lance le Graffiti Research Lab, qui va renouveler cet art urbain en l’hybridant avec les technologies «pour faire des graff toujours plus hauts, toujours plus grands». Parmi ses inventions, les Throwies, loupiotes LED couplées à des aimants et à des piles, qu’on jette et qui se collent sur le mobilier urbain, ou le Laser Tag, qui permet des graffitis monumentaux au laser dans l’espace public.

«Ce que je préfère dans le graffiti, c’est le tag. C’est la forme la plus pure de graffiti, la plus abondante, mais aussi la plus mal-aimée», dit l’artiste hacker américain qui se passionne pour ces calligraphies, signatures express griffonnées sur les murs. Et plus précisément pour ce qu’on ne voit pas, c’est-à-dire le geste furtif du tagueur qu’il s’est mis en tête de capturer. Evan Roth développe la première version de «Graffiti Analysis», son analyseur de mouvements, en 2004. Il repère des tags familiers sur ses trajets et demande aux graffeurs de reproduire leur signature avec un marqueur surmonté d’une lumière, traquée par une caméra. Un logiciel de son cru récupère, analyse et enregistre les données de mouvement, archivées dans une base libre et ouverte à tous. Les graffeurs sont invités à partager leur style manuel, ce qu’ont déjà fait plusieurs stars comme Seen, Twist, Amaze et JonOne. Lors d’événements ou d’opérations guérilla avec groupe électrogène et projecteur, ces tags lumineux géants s’écrivent sur les murs entourés d’une nuée de particules qui pulsent en fonction des sons environnants et de l’architecture des façades.

LA PROPHÉTIE DE WARHOL

Dans un guide pour aider les gens à réaliser leur propre Graffiti Research Lab, dont le concept s’est propagé puisqu’il existe désormais des cellules à São Paulo, Vienne ou Paris (3), Roth, qui s’en est depuis désengagé, invite hackers et tagueurs à s’unir.«Les rues et le Net regorgent d’opportunités pour les petites gens d’altérer le cours des systèmes dominants. Les hackers ont assemblé l’Internet en partageant les idées, et les writers ont hacké un système de transport de milliards de dollars pour faire voyager leur art autour de la ville gratuitement.» Désobéissance créative, open source, partage des connaissances sont invoqués, ce qu’il résume dans la formule : «Pas de brevet, pas de copyright, pas de propriété… Juste la gloire.»

En 1986, interrogé sur le rôle que l’ordinateur pourrait jouer comme outil artistique par le magazine Amiga World, Andy Warhol, qui avait déjà prophétisé que chacun aurait son petit quart d’heure de célébrité (une banalité à l’ère de YouTube et des réseaux sociaux), déclarait alors : «Lorsque la machine sera assez rapide, les kids du graffiti s’en empareront sans aucun doute.» Les liens entre culture geek et graffiti sont en réalité plus anciens. Les premiers «graffitis numériques», on les trouve sur les disquettes piratées de jeux vidéo. Au début des années 80 sont apparus les groupes de cracking, qui rivalisaient à qui piraterait et ferait circuler le plus rapidement les nouveaux jeux vidéo. Ceux qui avaient fait sauter les verrous faisaient précéder le jeu d’une petite introduction où s’affichait leur pseudo, appeléecracktro ou crack intro, pour signer leur exploit. Tout comme le tagueur qui signe son nom à des endroits inaccessibles pour épater la galerie, le cracktro devait avoir de l’allure pour impressionner les joueurs, mais aussi les pairs. Les simples noms du début sont devenus des animations de plus en plus complexes, graffitis numériques laissés à l’intérieur du trafic des produits électroniques. Ces prouesses de codeurs, repoussant sans cesse les limites de la machine, ont fini par devenir un art en soi : les démos. Le graffiti s’est développé de manière similaire, du tag (où le nom de l’artiste devient un logo qui colonise la ville) aux calligraphies artistiques, fresques en 3D, jusqu’aux graffitis électroniques contemporains, où arts numérique et de rue s’imbriquent à l’image du Water Light Graffiti d’Antonin Fourneau, un mur constellé de LED sur lequel on peint avec des bombes à eau.

On peut néanmoins se demander si l’électrograffiti conserve le pouvoir de subversion de son illustre prédécesseur, lui-même largement récupéré par la publicité et entaché par sa compromission avec le marché. «Quand vous n’endommagez rien, vous intéressez un public beaucoup plus large. Vous parvenez à capter l’attention des gens qui sont contre le vandalisme. […] Notre travail consiste à fabriquer des outils qui permettront aux citoyens d’avoir une voix face aux annonceurs», estime Roth, qui présente son travail en ce moment à la galerie de l’école Parsons à Paris, qui vient d’ouvrir ses portes (4).

Membre de l’antenne française du Graffiti Research Lab,Benjamin Gaulon fait lui aussi partie de ces «bricodeurs» qui électrisent l’art urbain. Parmi ses créations, lePrintBall, robot grapheur armé d’un fusil de paintball qui mitraille les lettres dégoulinantes sur les murs ou encore un Pong géant projeté sur des façades et dont les balles ricochent avec les aspérités de l’architecture. Gaulon transmet son savoir-faire lors d’ateliers où l’on apprend à souder les composantes de LSD (Light to Sound Device). Ce graffiti sonore, grillon électronique strident plaqué sur les enseignes lumineuses, transforme la lumière en son et les écrans publicitaires ubiquitaires en symphonie bruitiste.

A l’occasion du festival Mal au pixel, en novembre 2012 à Paris, Gaulon, armé d’un récepteur vidéo tel un sourcier des temps modernes, tentait d’intercepter les images des caméras de surveillance sans fil (2,4 GHz), produit électronique bon marché utilisé par les échoppes ou les particuliers. Sur le moniteur s’affiche une image neigeuse, qui devient plus nette à mesure qu’il se rapproche du signal : un intérieur d’appartement avec des hommes en train de repasser. Plus loin, c’est un couloir désert qui se dessine… Via ce petit jeu de passe-muraille, consistant à regarder ce que regardent les caméras, Gaulon tente de sensibiliser le public en organisant des promenades à la recherche de ces signaux. «La plupart des gens qui les utilisent pensent sécuriser leur domicile, ils ne se rendent pas compte qu’ils diffusent leur signal dans la rue. N’importe qui à l’extérieur peut le recevoir. Ce n’est pas très différent de Facebook, où les gens déballent leur vie en ligne.» Gaulon cartographie leurs emplacements, il réalise des boîtiers, qu’il fixe dans la rue pour révéler la présence de ces caméras et en exposer les vues au public.

CLÉS USB CIMENTÉES DANS LES MURS

Caméra, géolocalisation, capteurs, reconnaissance faciale… Le passant devient aussi traçable dans la ville que sur la Toile. Dernier bastion de liberté, le Web est comme les villes en voie de privatisation et sous haute surveillance. En réaction, Aram Bartholl a conçu le projet «Dead Drops», un réseau peer to peer de partage de fichiers, mais au lieu de se déployer en ligne, il se manifeste en dur dans l’espace public sous la forme de clés USB cimentées dans les murs où chacun peut déposer ou télécharger des fichiers en tout anonymat, en y branchant simplement son ordinateur portable. Depuis, des Dead Drops ont poussé dans les murs des villes du monde entier, se propageant comme une mauvaise herbe. A Toulouse, le collectif la Moustacherie a utilisé le dispositif pour y organiser une exposition de rue.

Avec «Street Ghosts», Paolo Cirio s’inquiète, lui, de la mise en données du monde par Google, notamment par son service de cartographie panoptique Street View. Le hacker italien a choisi 80 silhouettes de par le monde, au hasard de Google Street View, pour en faire des répliques à taille réelle sur des posters qu’il colle sur les murs des villes à l’endroit exact où l’objectif de la voiture Google les a saisies, silhouettes fantomatiques interrogeant la frontière entre privé et public et l’appropriation abusive d’informations privées par les mastodontes du Net, les quatre chevaliers de l'infocalypse, Apple, Google, Facebook et Amazon. «Etre sur Street View est bien pire que d’être sur un poster dans la rue, qui n’est pas permanent et peut toujours être retiré, estime l’artiste.Alors que nos fantômes vont hanter pour toujours les serveurs de Facebook, Google ou Twitter, toute l’info que nous laissons sur le Net est stockée et commercialisée.»

En exfiltrant ces silhouettes et en les dévirtualisant, il remet ces questions dérangeantes sur la place publique. «La notion de ce qui est public a beaucoup changé, les gens ne se préoccupent plus tellement de l’espace physique. Tous ont les yeux braqués sur les écrans de leur smartphone quand ils marchent dans les rues,déclarait Paolo Cirio à LibérationMon projet est devenu populaire et provocant, non parce que j’ai mis ces images dans les rues, où on les remarque à peine, mais parce que les images des interventions publiques ont été repostées online.»

(1) La serendipité est «l’art de trouver ce que l’on ne cherche pas en cherchant ce que l’on ne trouve pas». (2) Aram Bartholl expose actuellement en Allemagne. «Hello World !», jusqu’au 10 octobre. Kasseler Kunstverein, Cassel. Rens. : http://www.kasselerkunstverein.de/

(3) Conférence du GRL France à la Gaîté lyrique, le 24 septembre à 19 h 30, pour découvrir les imprimantes à graffiti.

(4) «Evan Roth : New York to Paris», jusqu’au 27 septembre, Galerie Parsons de Paris, 45, rue Saint-Roch (75001). Rens. : http://paris.parsons.edu/

Marie LECHNER


  • [rue] Street art et Web en étroite connexion, Martin JULHES, 08/09/2013

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