Liste arts de la rue

Archives de la liste Aide


[rue] Préconisations du Sénat - décryptage perso.


Chronologique Discussions 
  • From: Thierry Decocq < >
  • To: François Mary < >,
  • Subject: [rue] Préconisations du Sénat - décryptage perso.
  • Date: Fri, 20 Dec 2013 13:25:03 +0100

Salut,

Les recommandations du Sénat viennent de tomber. Voici ce qu'il faut à mon avis en retenir.

Recommandation n° 1 : Appliquer un "choc de simplification" aux annexes 8 et 10 pour unifier et améliorer le traitement des dossiers par Pôle Emploi.

Je ne sais pas ce que c'est, un choc de simplification! Dans le meilleur des cas, ça pue l'élément de langage, la novlangue et la pure posture politique. On voit là la volonté de communiquer vers une opinion publique (et les nouveaux chiens de garde qui sauront relayer le message). Dans la pire interprétation, on appelle ici à une série de mesures arbitraires qui seront passées au forcing par le pouvoir politique dans le sens d'un recul des droits sociaux.

Que les recommandations sénatoriales commencent par cette proposition ne laisse rien présager de bon.

Recommandation n° 2 : Rétablir la "date anniversaire".

C'est LA mesure que nous exigeons depuis 2003. La période glissante est une catastrophe qui ne permet plus de construire une carrière, transformant un renouvellement en une loterie pour beaucoup. Comme la plupart des dispositions issues du rapport Roigt-Klein, la période glissante ne visait qu'à fragiliser les plus faibles tout en favorisant des abus que l'on prétend combattre (un permittent n'est pas gêné par le glissement). Le retour à la date anniversaire est non négociable! Attention toutefois à la recommandation 5.

Recommandation n° 3 : Déplafonner l’assiette des cotisations d’assurance chômage.

Cette mesure est apparemment frappée du coin du bon sens, puisqu'elle imposerait des cotisations plus élevées pour les plus gros cachets. Il faut cependant être très prudent et cela ne peut se faire qu'après avoir bien analysé l'économie souvent fragile des compagnies qui seront forcément impacté par de telles mesures. Il y a un risque de combattre l'emploi en pénalisant une partie les employeurs derrière une mesure apparemment juste.

Recommandation n° 4 : Plafonner le cumul mensuel des revenus d’activité et des allocations chômage à un niveau égal au montant maximal des indemnités d’allocation chômage pouvant être versées sur un mois au titre des annexes 8 et 10.

Proposition du comité de suivi depuis 10 ans pour lutter contre la permittence.

Recommandation n° 5 : Augmenter le nombre d’heures de travail requises pour une ouverture des droits à l’assurance chômage proportionnellement à l’augmentation de la durée de référence pour les artistes, soit 580 heures sur douze mois ; à 650 heures pour les techniciens.

A elle seule, cette mesure qui a 99% de chance d'être reprise par les partenaires sociaux comme corollaire du retour à la date anniversaire justifierait un énorme conflit social! C'est une horreur car elle ignore la notion d'effet de seuil (on ne fait pas arithmétiquement 1,2 fois plus d'heures en 12 mois qu'en 10) et la notion même d'intermittence (qui repose sur la discontinuité de l'emploi) qui est remise en cause. On reste dans la philosophie du rapport Roigt Klein qui vise le rééquilibrage du système par l'exclusion de ses bénéficiaires les plus fragiles. Ce sont ceux qui accèdent à l'intermittence qui seront les premiers frappés.
C'est donc une mesure qui hypothèque l'avenir. En empêchant l'accès aux professions artistiques, on se prépare un jour à voir monter des Roméo de 60 ans sur scène! (testez-le, cet argument fait généralement mouche quand je l'utilise).

A toutes fins utiles, je rappelle que les 507 heures ont été calculées sur la base d'une semaine à 39h: cela représente 3 mois à 39h. S'il faut lâcher du lest sur ce point - ce qui irait totalement à l'encontre de ce que je viens d'expliquer - j'imagine qu'il serait normal d'appliquer au préalable les 35h: on passerait de 507h à 455h comme base de calcul. Du coup il faudrait 520h  au lieu de 580 si on faisait une règle de 3. Il faudrait bien entendu renoncer à différencier artistes et techniciens, puisqu'on reviendrait à une date anniversaire réelle.
Je vous soumets ce petit calcul pour vous montrer la dérive des principes même de l'intermittence depuis 2003 et comment on a perverti le système sans toucher aux chiffres mais en aucun cas, il ne faut lâcher sur le maintien des 507h comme référence pour le renouvellement des droits (sauf à aller à 455 heures mais je n'y crois pas trop) !

Recommandation n° 6 : Permettre aux intermittents, artistes comme techniciens, de valoriser jusqu’à 90 heures d’enseignement et de médiation au cours de la période de référence.

Peut faire (beaucoup) mieux! C'est une vieille revendication et donc cela va dans le bon sens. A condition que ce ne soit pas là qu'une maigre contrepartie à d'autres mesures inacceptables. Il faut voir aussi comment cette mesure est appliquée: les conditions actuelles de prise en compte des heures d'enseignement sont beaucoup trop drastiques.

Recommandation n° 7 : Clarifier le régime de solidarité dont peuvent bénéficier les intermittents.

Je ne comprends pas ou j'ai peur de comprendre: c'est l'accès au RSA pour ceux qui ne renouvellent pas leur intermittence qui est sur la sellette derrière cette _expression_ sibylline.

Recommandation n° 8 : Obliger l’État et ses établissements publics à un devoir d’exemplarité pour lutter contre le recours abusif à des contrats à durée déterminée (CDD) d’usage.

C'est bien de le rappeler, c'est dommage de devoir le rappeler!

Recommandation n° 9 : Moduler les cotisations d’assurance chômage employeur en fonction du taux de recours au CDD d’usage, en veillant à tenir compte des situations particulières où ce recours s’impose.

Inacceptable pour deux raisons, l'une de fond, l'une de réalité économique. Sur le fond, c'est admettre qu'il faut punir les entreprises non vertueuses qui recourent au CDDU, comme si celui qui signe ce type de contrat était fautif. On est tous assimilés à des grosses boites de prod audio-visuel alors que nous sommes dans des réalités de compagnies de spectacle vivant où l'effectif est par définition avant tout constitué d'intermittents. Les troupes qui pourraient (et devraient) passer leurs artistes et techniciens en permanents existent, mais pour paraphraser Michel Audiard, il y a aussi des poissons volants mais ce ne sont pas la majorité des espèces! Sur le plan de la réalité économique, cela va frapper le plus durement les structures les plus faibles au profit de ceux qui ont les reins suffisamment solides pour encaisser. On est en plein dans le modèle darwinien du néolibéralisme, avec des règles supposées justes mais qui n'éliminent que les plus faibles. Compte-tenu du paysage (l'offre artistique est largement portée par de petites structures), c'est un principe qui aboutit à de la destruction d'employeurs donc de la destruction d'emplois. 

Recommandation n° 10 : Inviter les partenaires sociaux à ouvrir une négociation interprofessionnelle nationale et des négociations de branche sur les règles d’utilisation du CDD d’usage.

Ca s'appelle la négociation UNEDIC, les sénateurs se foutent de nous en proposant cela!

Recommandation n° 11 : Expérimenter la conclusion de contrats à durée indéterminée intermittents (CDII) dans le secteur du spectacle.

Là, les bras m'en tombent! On veut lutter contre l'emploi précaire en expérimentant de l'emploi précaire non protégé. Allez jeter un coup d'œil dans le code du travail pour comprendre ce qu'est ce bel oxymore de contrat à durée indéterminée intermittent pour comprendre.

Recommandation n° 12 : Dans le secteur de l’audiovisuel, inciter les partenaires sociaux à fixer un seuil au-delà duquel l’employeur doit proposer un contrat à durée indéterminée (CDI), ou, à défaut, fixer dans le code du travail un dispositif de requalification automatique en CDI des CDD d’usage au-delà d’un certain seuil.

C'est une recommandation partagée par le comité de suivi et la mission parlementaire JP Gille.

Voila pour ce qui est des recommandation du Sénat. Un mot quand même sur la frilosité de sénateurs, sans doute tellement superstitieux qu'ils n'ont pas osé affronter le nombre 13. Il manque en effet deux choses fondamentales.

La première est la fusion des annexes qui est non seulement un principe socialement juste puis qu'on est dans les mêmes conditions d'emploi que l'on soit artiste ou technicien mais encore la prise en compte d'une réalité puisqu'une carrière se construit aussi à cheval entre les annexes soit du fait de la profession exercée soit par nécessité. La seconde est la prise en compte de la lutte des matermittentes (qui concerne aussi l'arrêt maladie prolongé ou pour cause d'accident du travail).La réforme de 2007 est nettement insuffisante sur ce point.

Les sénateurs, par une prise en compte très partielle des travaux de leurs collègues députés qui ont planché sur la question de l'emploi artistique (dépassant largement le cadre de l'intermittence). Ils ont dessiné sans prendre de risque ce qui sera adopté par les partenaires sociaux en février ou mars. Les quelques avancées par exemple le retour à la date anniversaire sont immédiatement assorties d'un recul encore plus grand avec cette application totalement idiote d'une règle de trois pour définir le nombre d'heures à déclarer sur un an.

Pour le reste, les sénateurs collent dans l'esprit à la position de la cour des comptes qui voit l'intermittence comme un problème, au mieux un mal nécessaire qu'il faut combattre au lieu de la situer dans une perspective économique plus large et reconnaître son apport à l'économie globale du pays (pour ne pas parler de la richesse et la diversité culturelle et artistique), un dispositif qu'il faut certes réformer pour limiter les abus, mais qu'il faut aussi préserver et en renforcer ses aspects positifs.

Pour ceux qui doutaient encore de la nécessiter de se battre, le Sénat nous a montré quel sera le champ de bataille.

@+

Thierry









_______________________________________________
Comitedesuivi mailing list
">
https://listes.domainepublic.net/listinfo/comitedesuivi

 

François





Archives gérées par MHonArc 2.6.19+.

Top of page