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Re: Manolo - Re: [rue] Elodie


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  • Subject: Re: Manolo - Re: [rue] Elodie
  • Date: Wed, 22 Jan 2014 18:01:33 -0500 (EST)
  • Full-name: Racontart

Bravo Fanny et merci !
J'aime beaucoup la forme humoristique en clin d'oeil à Chtou.
Effectivement "le statut juste et honnête"(je cite) semble être encore à des années lumières ...
 
En France il y a beaucoup de travail dans notre secteur mais aucun argent pour le financer. On est tous d'accord.
Comment faire pour partager les fruits du travail? Comment faire pour trouver une justice et une équité de statut?
 
 
 
 
Dans un e-mail daté du 28/11/2013 10:43:36 Paris, Madrid, a écrit :
Merci Fanny, merci beaucoup



Le 27 novembre 2013 12:17, Fanny Minetti < href="mailto: " target=_blank> > a écrit :

Manolo, il était un peu comme dans mon rêve!
J'ai grandi près des salles de spectacles, j'ai connu enfant la joie de me cacher dans les coulisses; l'odeur de la scène et des rideaux poussiéreux sont mes madeleines!
Tout ça m'a mené vers le monde du spectacle… Je veux en être! je veux être au coeur de la création artistique qui interroge le monde.
Alors j'ai fait des études, un bac littéraire option théâtre. Un Deug Médiation culturelle Paris puis un IUP Métiers des Arts et de la Culture à Lyon.
Oh des grands idéaux y'en a eu… Oui l'art peut faire changer le monde! Oui l'Art apporte ce sentiment d'appartenance commune! Oui l'Art t'amène à décaler ton regard pour voir ce que tu ne pouvais pas voir avant! Et le théâtre… la forme artistique la plus vraie selon moi, la plus en lien avec les gens et le réel…
Alors j'ai commencé à travailler pour des artistes. Bénévolement car je me "faisait la main".

J'ai rencontré Manolo, Manuel de son vrai nom. Il faisait un spectacle de rue, un monologue époustouflant. J'avais la 20aine et il m'a secoué! On a discuté, on s'est marré et c'est avec lui que j'ai commencé.
Je croyais en son spectacle, en son projet! Je me suis mise à la recherche de subventions pour développer la création, d'un lieu pour qu'il puisse répéter, j'ai commencé à faire le tour des salles pour promouvoir mon Manolo. Lui était tout prêt d'obtenir son statut d'intermittent, moi j’étais étudiante et motivée!

Manolo à commencé à tourner. J'étais fière! Mon compte en banque l'était un peu moins! Je suis partie faire mon stage de fin d'études ailleurs et sur un autre poste.
Quand je lui ai dit, il a fait la gueule... ça m'a émue.

A la fin du stage j'ai été embauchée en CAE-CUI (dire que j'ai fait la grève contre le CPE…). Je gagnais 1042 euros net à l'époque. ça allait, j'étais jeune et en coloc, j'avais pas besoin de beaucoup. Et surtout je me plaisais dans ce que je faisais! Je ne comptais pas les heures, l'investissement, la disponibilité…J'avais le feu et la passion!!
Je continuais à suivre Manolo, à lui filer des coups de main. Je lui ai même trouvé une chargée de diff'.

Au sein de lasso où je travaillais, il y avait des tensions… L'artiste "associée au projet", Erica, voulait que le fonctionnement de l'asso soit revu, elle voulait être payée d'avantage. Elle râlait, elle râlait; elle venait de moins en moins au bureau. Avec le coordinateur on devait s'occuper de la prod de ses projets mais elle, elle râlait encore et toujours. Un jours j'ai demandé au coordinateur combien elle était payée puisque c'était un tel sujet de discorde! 1500 net en statut d'intermit'.
Ça m'a stupéfaite.
Le monde des bisounours venait de se crasher sur la terre.
Ah bon on est pas tous dans le même sac? On partage pas les galères?
Le coordinateur et moi on cumulait 2200 à nous deux…
Elle a continué à râler, j'en ai parlé avec d'autres collègues qui s'étonnait de ne pas connaitre le salaire des artistes avec qui ils bossaient… Mon contrat s'est terminé, et grâce à la magie du CAE-CUI j'ai vite été remplacée par une jeune diplômée motivée.

Manolo lui, il s'en sortait plutôt bien. Je lui faisait profiter de mon réseau et il commençait à avoir sa petite notoriété. Il voulait que je bosse avec lui mais je n'étais pas encore prête à quitter le lieu où je vivais.

Grâce au réseau, j'ai rencontré d'autres artistes, qui m'ont remuée avec leur création. Est ce que ça te dis de travailler avec nous? on a trouvé un bureau dans un lieu culturel, on te fera un statut d'intermit… que  pense-tu de 1200 net comme salaire? wow 1200! carrément le luxe! Alors il faudra environ 3 mois pour que tu ais ton statut. En attendant on compte sur les assédics de ton ancien travail pour te faire vivre… et on attends de toi que tu fasses des horaires de bureau hein? Oh et est ce que tu peux venir ce soir pour la créa? est ce que tu peux apporter la voiture à la salle de répet ce dimanche? Au fait pour les vacances de noel, nous on ne prends que deux jours.. alors on attends que tu fasse de même!

Ca bossait dur mais c'était un bon projet, des créations avec du sens. Et puis au bout d'un moment… recevoir des ordres, être au service des changements d'humeurs, être "polyvamorphe"… est ce que ça en valait la peine? J'ai finis par changer d'avis et je n'ai plus eu envie d'être l'esclave de service. Je suis partie sans avoir pu faire de statut. J'ai travaillé presque 2 mois avec eux et j'ai du gagner 1200 environ. Avant de partir j'ai appris combien ils gagnaient… Presque 3000 euros par mois. La nausée. Le dégout. Je ne pensais pas être attachée à l'argent?
En fait j'ai compris que le salaire, c'est aussi une reconnaissance du travail et des efforts fournis par une personne!

Après cela je suis revenue vers Manolo. Mon cher Manolo avec qui j'ai commencé.
Enfin j'étais dispo pour travailler avec lui.
J'avais un début de statut intermit', lui un début de gloire.
Nous avons défini une manière de travailler, j'ai joué franc jeu en expliquant ce qui s'était passé lors de ma précédente expérience.
Je me suis trouvé un bureau dans une friche. J'ai rencontré une certaine Elodie qui s'occupait de plusieurs compagnies. On parlait beaucoup elle et moi. Statut, budgets, création, rôle de l'art dans la société, qu'est ce qu'un artiste? Qu'est ce qui distingue une création artistique d'une branlette intellectuelle? On rigolait en comparant nos cernes.
Un jour elle est partie, j'étais heureuse pour elle car elle se faisait vraiment sucer la moelle.
Manolo n'a pas compris… Il observait le dégât de son départ et jetais sur moi un œil attendri. "J'ai de la chance, disait t'il, toi et moi on est amis, tu ne me ferais pas un coup de p… comme ça!" Je l'ai regardé, surprise par le fait qu'il n'avait pas compris pourquoi Elodie était partie.
Un soir je suis tombée sur les fiches de paies de Manolo. Dans ma naïveté, je n'imaginais rien de spécial.
Son statut lui rapportait près de 2500 par mois.
Une moyenne pouvant aller jusqu'à 4000 les périodes de festivals. Ça faisait près de 8 ans qu'il gagnait cette somme.
8 ans où pendant ce temps là, je bossais pour lui gratis pour "l'aider à démarrer".
1 an que je travaille pour lui et je n'ai gagné mon statut qu'il y a 5 mois. avant c'était mes assédics.
Ça m'a dégoutée, faut dire qu'à la base je ne supporte pas l'injustice et j'ai une certaine intolérance aux processus de domination, dans le travail par exemple (merci la fac de m'avoir ouvert l'esprit!).
Manolo, mon cher Manolo, avec qui tout s'est terminé.

Aujourd'hui j'approche de la 30aine. 1100 euros ne me suffisent plus pour vivre. Je regarde les offres d'emplois et j'ai envie de devenir plombier!
CAE-CUI soit éligible!
Service civique, soit jeune et chez tes parents!
Directeur d'epcc, ait envie de diriger!
Si je suis éligible, je me bats avec 50 candidats pour un poste à 800e par mois. Un poste à 24h mais où on devra en faire plus car vous savez ce que c'est, quand on travaille par passion... heureusement pour la création artistique française que les écoles et facs produisent chaque année un lot de jeunes diplômés motivées et éligibles aux contrats précaires.

Nos métiers impliquent implicitement le plaisir et la motivation. Mais si on travaille pour une professionnalisation de nos métiers, il faut dépasser cette notion des années 80 "tu le fais parce que tu aimes ton métier donc tu peux vivre avec 800e". A un moment il faut arrêter. Nous, chargé(e)s de mission(ssss), de prod, de diff, d'administration-production, chargé(e)s des relations publiques... devons exiger un statut juste et honnête.

Artistes, Créateurs, croyez-vous réellement que quelqu'un puisse vivre avec ce montant? (ou faites vous semblant de ne pas le voir!)
Croyez vous que l'on puisse se sentir digne dans son travail avec un tel salaire? Cela ne vous dérange pas d'avoir un employé qui porte votre structure et de le payer des clopinettes?

Je suis dure avec vous, Artistes, mais vous vous "grand-capitalisez" Vous exploitez de la main d’œuvre bon marché pour augmenter vos rendements.

En France il y a beaucoup de travail dans notre secteur mais aucun argent pour le financer. On est tous d'accord.
Comment faire pour partager les fruits du travail? Comment faire pour trouver une justice et une équité de statut?

PS: CETTE HISTOIRE N'EST PAS TOUT A FAIT VRAIE, NI TOUT A FAIT FAUSSE D'AILLEURS


 


Le 20 novembre 2013 09:37, Chtou < href="mailto: " target=_blank> > a écrit :
Elodie était la meilleure chose qui puisse nous arriver.
Notre "compagnie" s'il faut appeler cela comme ça, avait trois ans déjà, et nous décollions à peine.
Nous étions tous les quatre potes depuis bien longtemps, mais il nous avait fallu passer de la bouine au travail, apprendre la jongle pour Matt, que Bruno se sente enfin à l'aise dans le rôle du présentateur, et que Marco et moi bossions le main à main. On y croyait à peine au début, mais on a vu de telles merdes dans des festivals, qu'on s'est dit qu'on en était capables.
On a monté le spectacle, honnêtement rien de franchement nouveau, mais on a eu de vrais succès publics dès la première année.
On avait la patate, la fraîcheur, on en voulait. On en valait bien d'autres.
La deuxième année on s'est mis sérieusement au boulot, avec l'espoir noué au corps. 
Bruno et Marco ont lâché la fac, Matt et moi on a commencé à vivre en caravane sur le terrain d'un cirque de potes. On bossait tous les jours ensemble. Pure période. 
Le spectacle a vachement progressé, l'été on a manché, eu une dizaine de dates payées, et ça c'est presque toujours très bien passé.
Et puis la troisième année était là, et notre tournée était la même que l'année passée: quelques dates, de la manche quand il fait beau... c'était rarement le cas. 
On n'était toujours pas intermittent. Et tout le monde était en bonne galère de thunes.

C'était comme si on avait loupé une marche. 
La motivation commençait à descendre en flèche. Nos espoirs fous nous semblaient enfantins, on commençait à douter.
Et on a trouvé notre chargée de diff: Elodie.

Elle était jeune, éligible aux emplois aidés, sortait de la fac d'art et spectacles, maîtrisait l'informatique, savait faire la compta, les subs, tout en fait.
Bien sûr elle n'avait pas d'expérience, mais elle avait fait plusieurs Aurillac, elle avait un petit réseau, et surtout elle avait la motivation.
Si on lui faisait confiance, elle allait apprendre, et se donner à fond.
Elle a fait ses preuves dès le début en réunissant une dizaine de compagnies émergentes du coin.
Personne ne tournait vraiment là-dedans, personne n'avait de quoi se payer une chargée de diff.
Alors quand elle a proposé de mutualiser son salaire, avec un pourcentage sur les dates qu'elle nous obtiendrait, on a tous foncé!

Elle s'est trouvé un tout petit bureau dans une friche. L'avantage c'est qu'il y avait du monde autour. Le désavantage, c'est que c'était un peu tous des freaks...
L'été c'était beau avec les tags, les vieilles carlos pourries et les barbecues urbains, mais l'hiver t'avais peur de marcher sur une seringue.
Et puis ça caillait grave. Son radiateur électrique (une antiquité qui faisait régulièrement sauter le jus) collé à ses jambes, elle avait froid.
On a commencé à tourner plus, comme presque tout le monde. Presque.
Du coup, avec ceux qui ne tournaient pas, c'était chaud pour elle. Surtout l'une des compagnies, avec un sacré connard dedans, qui lui mettait la pression grave.
Il y a eu quelques engueulades sévères, où il la traitait de tous les noms. Elle a même chialé dans le bureau une fois...

Elle bossait d'arrache-pied. Les dates suffisaient pas, alors elle a décidé de faire la compta mutualisée pour les compagnies, pour un petit pourcentage en plus.
Nous on était en tournée, on ne se rendait pas trop compte, et on trouvait ça normal de lui signaler quand on avait trouvé l'accueil limite. 
On lui demandait un jour de négocier mieux les hébergements, un autre d'insister pour qu'on soit programmé en soirée, rien de méchant.
Mais on était dix compagnies à le faire, c'est sur.
On a fait une fête pour sa première année de taf. C'est là que j'ai senti que les gens étaient globalement plutôt insatisfaits.
C'est normal, les artistes trouvent toujours qu'ils ne tournent pas assez... et la chargée de diff, ben c'est son boulot, à elle, de les faire tourner.

Sa deuxième année elle travaillait à corps perdu. Un truc de dingue. Tout le monde la félicitait d'être autant bosseuse, et plaisantait en lui disant qu'elle devrait s'aérer un peu.
Il fallait qu'elle pérennise son poste avant la fin des aides. C'était pas gagné, visiblement. Elle s'est mise à la production.
Elle montait les dossiers de subs, pour compléter les financements. Elle devenait grise. Toujours pas de mec. Mais des heures de taf à n'en plus finir.
On trouvait ça normal, ç'était sa nature.
Elle était devenue carrément indispensable. Elle avait tous les fichiers, tous les papiers administratifs, elle portait toutes les compagnies à bout de bras.
Dès que je pouvais je la félicitais mais elle répondait toujours en riant jaune, en disant que c'était quand même une grosse galère tout ce boulot.
Des compagnies ont splitté, en le lui reprochant amèrement.
L'hiver est arrivé, elle se faisait piller son sucre dans ce bureau gelé par d'autres bureaux de la friche, ça la rendait folle, et ça se passait hyper mal avec une compagnie, celle du connard de service.
Un jour de prise de tête, il lui a craché que quand on n'avait pas de talent, c'était normal qu'on s'occupe de la merde des autres.
Ca l'a fait basculer.

Elle n'arrêtait plus de pleurer, elle a craqué, tout lâché du jour au lendemain.
Elle n'avait rien, pas de passion, pas de petit copain, pas d'amis proches, plus de thunes, elle était épuisée, désespérée, sa vie était une impasse.
Plus de réponse au portable, juste un message disant qu'elle était en arrêt pour raisons médicales.

Toutes les compagnies ont plongé. Plus de compta, plus de tournée, plus personne pour l'administratif, plus d'existence légale, plus rien.
Les compagnies n'existaient plus sans elle.
Pour beaucoup d'entre nous ça a signé un arrêt de mort, par dégâts collatéraux.
Nous, on s'est retrouvé dans une merde noire.
On a perdu nos statuts, avec une tournée d'été ridicule, on a essayé de sauver les meubles à la manche, mais le spectacle n'était plus fait pour cela...
Matt a lâché pour un taf normal. 
On a hésité pour une reprise, mais c'est compliqué.
On a du abandonner le spectacle, et speeder pour en créer un nouveau à trois.
Mais à trois, c'est plus comme avant...

Aujourd'hui, je ne sais pas ce qu'Elodie est devenue.

Mais je sais qu'elle était la pire chose qui puisse nous arriver. 

























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Fanny Minetti
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  • Re: Manolo - Re: [rue] Elodie, Racontart, 23/01/2014

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