Liste arts de la rue

Archives de la liste Aide


[rue] Epilogue d'une fin de résidence brutale


Chronologique Discussions 
  • From: Théâtre du voyage intérieur < >
  • To: " " < >, Cie < >
  • Subject: [rue] Epilogue d'une fin de résidence brutale
  • Date: Tue, 6 Jan 2015 14:43:42 +0000 (UTC)
  • Domainkey-signature: a=rsa-sha1; q=dns; c=nofws; s=s2048; d=yahoo.fr; b=C+B4Y0p+AX9o6iCVKrWybwvBFiH3FHCwUTGmpRYTKKGYk31CROfrNqcsHSe5Zj/tG2/AFeAcEG2lpCx286C3ccOsRFHX33+lGvA/95nb2/gcbyaVepEImi0lHc4XXtj+z/8KsRChpmxqJv14YnkELariHKD9u7tqr6QFND4k9s2tOxuIQ0D5+I23BwsbFz6ZdiUV++3lfq+LPut6m9YstBbcQYI5CCIUU0FdjrgT1Iz56g1wxybvLzBuSY8lIP5OjNnhuwZwQGSC/m7uhDjX78RViWu5e1baytRgSDhrMd6WNBFkBs5gfExRkOhFmt5UQFhyoW6grfQTDjXzBg9Nsw==;

Bonjour à tous,

en ces temps moroses pour la culture (entre autres), je tenais à rendre public un rebondissement qui m'a littéralement fait tomber des nues mais qui somme toute est dans l'air du temps, cela n'en reste pas moins proche de la farce.
Pour ceux qui avaient suivi et pris connaissance de mon témoignage sur la fin de la résidence d'implantation de ma Compagnie (le Théâtre du voyage intérieur) à Eaubonne (95) en Ile de France, dont je joins de nouveau ci-dessous le texte. Voici la suite et la fin. Ce témoignage avait été rendu public via le site de Cassandre, l'Insatiable en juillet dernier.
Or un dernier rebondissement venant de cette municipalité a clôt nos relations avec la commune : le cabinet du maire a porté plainte contre moi, pour diffamation.
C'est à dire que non seulement nous nous sommes fait éjecter dans le non-respect du cadre légal, avec un manque à gagner financier conséquent et dépités de ne pouvoir clore notre résidence auprès des habitants... mais en plus... Une plainte a été brandie et agitée sous notre nez, suite à la publication de ce témoignage, pour que nous quittions au plus vite la commune qui nous avait concédé un local à titre gracieux pour les quelques mois restants de 2014! 
Il nous a été fermement dit que si nous renoncions au local (il était déjà vide), à notre dette et que nous retirions cet article du domaine public, la plainte ne serait pas déposée.
Cette manière de faire n'a fait que confirmer ce que j'avais déjà compris et même le commissaire qui m'a reçu pour m'interroger s'est excusé de cette affaire, qu'il a jugé féodale (ce sont ses termes).
Je ne sais pas encore si je passerai devant un procureur, qui à mon avis à bien d'autres chats à fouetter.
Ce que je sais, c'est que la liberté que nous prenons, en tant qu'artistes, de refléter le monde, fait de plus en plus peur et que les temps à venir me paraissent bien sombres. 
La censure prend différentes formes et parfois ne dit pas son nom dans ce pays "démocratique".
Je ne me tairais pas, jamais.
Nous devons nous serrer les coudes et êtres solidaires.
Bon courage à tous,

et bonne année, malgré tout, l'avenir est devant nous,

Léa Dant
Théâtre du voyage intérieur


Paris, le 8 juillet 2014

Témoignage d’une fin de résidence brutale et 
non démocratique en Ile de France
Par Léa Dant, directrice artistique de la Compagnie Théâtre du voyage intérieur

Je prends rarement la parole publiquement, car cela veut dire s’exposer, à des critiques parfois si agressives que cela n’en vaut pas la chandelle. Je ne suis pas douée de rhétorique comme certains et je préfère en général m’exposer à travers mes spectacles. Mais là je ne peux pas me taire, alors je vais le faire avec des mots simples. Je ne peux pas me taire, il me semble nécessaire de témoigner de quelque chose que j’estime grave, qui vient de se passer pour ma Compagnie.

Le Théâtre du voyage intérieur, compagnie parisienne que j’ai créée en 1999, a posé ses valises pour une résidence d’implantation triennale dans la commune d’Eaubonne (95) depuis 2009. J’étais mue par un désir profond de mener un travail de long cours sur un territoire. J’avais pu avoir un avant-goût de cela quand ma Compagnie a été associée à l’Atelier 231, Centre National des Arts de la Rue de Sotteville-lès-Rouen, pendant une saison (2003-04). 
Après cette expérience j’ai souhaité aller plus loin et devenir artiste dans une cité, y apporter un regard sur ce qui s’y vivait : un regard sensible, humain, révélant l’intime, dans une démarche tant citoyenne qu’artistique. A mon modeste niveau cela signifiait contribuer à faire bouger les consciences, à ouvrir des espaces-temps d’_expression_, de dialogue, créer la rencontre, éveiller l’empathie entre habitants et me faire révélateur des émotions de personnes vivant dans sur un territoire donné. 

Ce dispositif de résidence d’implantation, en totale adéquation avec ce désir, nous avait été suggéré par notre conseillère DRAC, Edith Rappoport, dès 2005. 
Une aubaine en plus pour une compagnie parisienne, qui n’avait ni bureau, ni lieu à elle et qui fonctionnait au projet depuis neuf ans déjà. La mise en oeuvre de la résidence a été grandement rendue possible par Julien Rosemberg - travaillant alors à l’ADIAM 95, désormais directeur d’Hors les Murs - qui dans son rôle de mise en relation d’acteurs culturels du territoire nous a permis de faire la bonne rencontre : nous étions en parfaite adéquation avec le désir d’accueil d’une Compagnie que souhaitait la ville d’Eaubonne, dans le Val d’Oise, commune particulièrement proche de ses habitants.

Le maillage financier et institutionnel d’une telle résidence est quadripartite : ville (qui est pilote en quelque sorte), état (DRAC), région (ici le Festival Théâtral du Val d’Oise) et département (CG95). Le principe est que chaque partenaire apporte un quart de la subvention. En Ile de France cela représente environ 23000 euros par partenaire. La Compagnie elle, a un cahier des charges précis : un travail artistique à l’échelle locale et dans le même temps le développement de ses créations à une échelle nationale. 
La subvention sert aux deux. 
En ce qui nous concerne, cette dernière dynamique, nationale, a été difficile pour moi personnellement à tenir, tant je me suis investie dans la dynamique locale, créant ainsi sept spectacles en cinq ans de résidence, entre 2009 et fin 2013. 
Cinq ans oui, car le bilan de la première résidence a été tellement positif, que celle-ci a été reconduite une seconde fois.

L’énergie que m’ont demandé ces sept créations m’ont éloignée d’un réseau plus vaste, national, qui m’avait pourtant accueillie et soutenue pour dans mon développement d’artiste dès mes débuts. J’ai quand même réussi dans les cinq ans à faire trois créations au-delà d’Eaubonne, dont une au Brésil. Dix spectacles en cinq ans, nous n’avons pas chômé.

Mais ma priorité a été cette résidence, une aventure magnifique, dans la rencontre avec les eaubonnais, y compris les élus, les directions de services de la mairie, et avec les comédiens qui m’ont entourée et auxquels j’ai été fidèle tout le temps de la résidence. Certains d’entre eux sont des comédiens de longue date de théâtre de rue comme Marie-Pascale Grenier (Cies Kumulus, Entre Chien et Loup), Frank Baruk (Cies Kumulus, Bonheur Intérieur Brut) et Isabelle Saudubray (Cie Lakaal Dukrick). Je dois aussi citer Estelle Kerkor, Magali Serra et Laurent Savalle, comédiens avec lesquels j’ai fait équipe. Ça a été une aventure magnifique : humaine, citoyenne et artistique, qui marque une vie à jamais.

Une résidence d’implantation comme celle-ci qui dure cinq ans, ce sont des centaines de rencontres, car nous avons créé des spectacles, les “Théâtre-miroir” à partir de la parole des habitants, pour eux, et joués chez eux, dans la rue. Du sur-mesure. 
J’ai rencontré des adolescents, des personnes très âgées, des parents d’enfants handicapés, des soignants de personnes âgées, des enfants de tous âges, des directeurs de services cherchant comment proposer des actions de proximité aux habitants, des élus curieux et désireux d’un vivre ensemble, des profs dynamiques, des personnes en souffrance, qui venaient de perdre des proches, des SDF, des mères de familles de six enfants… et des dizaines d’autres, des humains, tout simplement, qui m’ont fait part de leur vie, qui l’ont donnée en témoignage pour être partagé par tous.
Cela a suscité le débat, a permis la réflexion mise en commun et a eu pour certains cet effet que je recherchais : l’empathie. La capacité de rejoindre l’autre dans sa différence. D’être touché par l’autre face à soi.

Puis en mars dernier, un nouveau maire, Grégoire Dublineau, de droite, a été élu. Apparemment un vote de contestation du gouvernement Hollande, aux dires de certains eaubonnais.
Il restait neuf mois de notre résidence d’implantation, qui devait se terminer par un bouquet final, une rétrospective des créations faites pour Eaubonne, plébiscitée par les habitants et une soirée de fête et d’adieux.
Mais ce monsieur en a décidé autrement. Il a souhaité mettre fin à la résidence dès son élection (et le vote des budgets en avril pour être précise).
Nous en avons été informés formellement seulement la semaine dernière, le 1er juillet, par son élue à la culture, qui pourtant avait suivi la majeure partie des actions de la Compagnie dans sa ville et nous soutenait (semblait-il).
J’avais sollicité un rendez-vous pour la rencontrer juste après les élections, dès le 1er avril.
Ce rendez-vous a finalement eu lieu en juillet, suivi quelques jours plus tard d’un Comité de suivi en présence du maire et de tous les partenaires d’implantation : DRAC, Conseil Général, Festival Théâtral du Val d’Oise et en notre présence.

Ce qui s’est passé lors de ce Comité de suivi, nous a tous laissés littéralement estomaqués. 

Ce monsieur, plutôt que de simplement faire part de son désintérêt pour le travail que mène ma Compagnie, a entrepris stratégiquement et méthodiquement de nous mettre en défaut et de nous démolir point après point.

Il nous a été reproché :

- De ne pas avoir demandé de rendez-vous avec la nouvelle élue : 
Faux, j’ai fait un mail au DAC (directeur des affaires culturelles) le 1er avril 2014.

- De ne pas être venus présenter notre association et connaître ses orientations en termes de politique culturelle lorsqu’il faisait campagne, ni d’être venus à l’un des meetings de son parti, comme toutes les autres associations de la ville : 
Faux, j’ai parlé avec quelqu’un de l’opposition hier qui fait partie du bureau d’une des plus importantes associations de la ville, qui m’a affirmé que les associations eaubonnaises n’avaient pas toutes fait une démarche pareille, loin de là, en tous cas, pas la leur. 
De plus, ce n’était pas notre rôle, nous ne sommes pas une association eaubonnaise d’une part, d’autre part nous n’avions pas à convaincre étant dans le cadre de résidence déjà actée.

- De ne pas avoir travaillé (oui en ces termes exacts), car nous ne proposions pas une nouvelle création en 2014 : 
Faux, nous avions prévu une rétrospective de trois spectacles, cela représente au contraire beaucoup de travail.

- De ne pas avoir un taux de notoriété suffisamment important : 
je reste sans voix.
Oui en effet, nous ne passons pas sur TF1, par contre, nous sommes programmés dans le Festival International de Théâtre de rue d’Aurillac cet été, dans le IN. Pour 23000 euros annuels, obtenir une star connue du grand public me paraît assez improbable. De plus, et cela va sans dire, notoriété n’est pas nécessairement gage de qualité.

Lorsque l’un des partenaires institutionnels présents autour de la table a fait part à ce maire des conséquences de ses choix, à savoir notamment “des êtres humains qui ont des familles et vont perdre leur emploi” (et leur intermittence pour certains mais ça n’a pas été formulé). Ce maire a eu le toupet de riposter de la sorte :

“Je vous invite tous autant que vous êtes autour de cette table à prendre ma place de maire et vous verrez ce que ça veut dire que de faire des choix. En effet, quand nous avons 600 demandes de logements sociaux et que l’on ne peut en accorder seulement deux, on sait qu’on met 598 familles à la rue”.
J’ai sû hier, toujours en parlant à l’opposition, qu'il n'avait jamais voté "pour" les garanties d'emprunt qui permettent la construction ou la réhabilitation desdits logements.
Du mensonge, du mensonge et encore du mensonge. Nous avons été face à des personnes usant d’une stratégie odieuse qui consiste à écraser le plus faible (en l’occurrence nous, Compagnie de théâtre de rue) à force d’arguments mensongers et de rhétorique manipulatrice.
Devant des institutionnels totalement impuissants car rappelant un cadre moral en l’occurrence bafoué. Nous ne pouvons même pas attaquer la ville en justice car la convention avec la ville était bi-partite : Compagnie-ville, comme elle l’était avec chacun des partenaires, dans le but d’alléger le cadre conventionnel global.

Je ne peux qualifier de tels agissements que de despotiques. Cet élu s’est montré totalement fermé au dialogue, ce que les représentants de la DRAC n’ont pas manqué de lui rappeler. En effet, depuis les élections municipales, la DRAC Ile de France s’est déplacée dans de nombreuses communes où il y avait ce type de crise suite aux changements d’équipes. 
La DRAC nous a affirmé qu’à chaque rencontre, le dialogue avait pu être renoué et des solutions trouvées afin que les projets en cours - y compris des chantiers et communes très importantes comme Bobigny - puissent aboutir comme prévu. 
Cette ville, Eaubonne, est la seule commune en Ile de France à avoir refusé tout dialogue et à être restée sur ses positions.

Alors je m’interroge. Je m’interroge profondément sur l’état actuel de la politique et du vivre ensemble dans ce pays. Ce type d’agissements est il possible en démocratie ? 
Il me semble pour ma part, m’être trouvée face à un monarque agissant en toute impunité face à des institutions sans réel pouvoir d’action.
Quelle place la culture a-t-elle aujourd’hui dans ce pays ? Réellement ?
Nous souffrons en tant qu’intermittents, d’un état qui bafoue ses promesses électorales, ce qui nous laisse pour beaucoup, individuellement, dans une grande inquiétude.
Nous souffrons, collectivement, de voir détruites nos actions citoyennes, comme en l’occurrence ce qui se passe actuellement pour ma Compagnie, qui après avoir tant investi ne peut pas même dire au revoir aux habitants d’un territoire qui ont su lui être fidèles.

Ce qui est certain, c’est qu’en sortant de ce Comité de suivi avec ce maire, tous autant que nous étions : directeurs de théâtre, directeur des affaires culturelles, conseillers DRAC, conseillers théâtre, administrateurs et directrice artistique d’une Compagnie, nous étions estomaqués et nous avons eu besoin de parler une demi-heure ensemble sur un bout de trottoir. 
Je pense que nous nous sommes tous interrogés sur ce qui venait d’avoir lieu, que nous nous sommes tous interrogés sur nos manquements, nos erreurs dans cette situation et aussi quel pouvait bien être le sens profond de tout cela, d’une si grande incommunicabilité… 
Mais ça doit être la différence entre la démocratie et la dictature : nous nous sommes interrogés… et eux, honnêtement, je ne pense pas.

Léa Dant

Auteure, metteure en scène
Directrice artistique de la Compagnie Théâtre du voyage intérieur
www.theatreduvoyageinterieur.com /
 



  • [rue] Epilogue d'une fin de résidence brutale, Théâtre du voyage intérieur, 06/01/2015

Archives gérées par MHonArc 2.6.19+.

Top of page