Scène de jour, un banc, le soleil se lève sur une nouvelle journée, l'infirmière amène trois aigris et les installe sur le banc.
- Hier c'était nul...
- Oui, avant, c'était mieux...
- T'as raison, ils sont tous cons !
- Quand on était jeune on avait raison mais maintenant les jeunes ils sont nuls.
- Oui, t'as raison, je suis jeune et je confirme, ils sont tous cons.
- Et vous avez entendus les jeunes, le jeune là, il a dit que vous étiez tous nuls.
- Moi je trouve qu'avant c'était mieux.
- Oui moi aussi.
- Et la nouvelle directrice elle est moins bien que l'ancienne.
- Mais tu l'aimais pas l'ancienne.
- Oui mais avant c'était mieux.
- T'as raison, avant, on était jeunes.
- Et maintenant ils sont cons.
- Oui, avant c'était mieux...
Le soleil se couche, l'infirmière vient chercher les trois aigris, ça sent un peu la pisse...
Je pourrais m'arrêter là, mais comme je suis en colère, je continue...
Qu'est qu'on fait de ces discours là ? à quel moment ils servent à quelque chose ? ils nous donnent de la puissance ?
----------Attention, je vais parler de moi------
Oui, j'ai fait le choix de jouer le jeu, parce que j'ai envie de monter des grandes histoires, de développer des choses qui ont du sens, de créer du rêve, tout en trouvant de l'argent pour payer les gens avec qui je travaille.
Est-ce que pour autant je me plie aux règles des institutions ? Je suis un vendu ? Un mou ? Un tiède ? Certainement si j'en crois les mots de Solen... Mais il faudra tout regarder alors, et venir me le dire en face... Et à Marie-do Fréval aussi, et à Djamel Afnaï, puisqu'on a tous les trois eu la bourse Beaumarchais cette année... Et là je crois que t'es mal tombé, parce qu'il y a des sacrés caractères là....
Et au passage, c'est la première fois que j'avais une aide de ce type, et c'était la première fois que je faisais un dossier sous word, sans passer sous InDesign, et que je faisais le choix de vraiment parler d'écriture, de l'endroit où j'en étais, de mes doutes, etc...
En ce moment je suis en résidence d'écriture au cnar de La Rochelle, c'est super agréable, ça fait du bien, est-ce que j'ai dû vendre mon âme à Bruno de Beaufort ? Je n'ai pas l'impression...
Je me rappelle qu'en 94-95, les premières années où je suis allé à Aurillac, il y avait déjà cette jalousie recuite : "ceux qui sont dans le In ils ne prennent pas de risque, c'est des vendus..." Je me rappelle de spectacles bringuebalants, commerciaux, de vrais bouses et de choses magnifiques, est-ce que c'était vraiment mieux avant ? Est-ce que vous preniez plus de risque ? Je n'en suis pas certain... Je crois que pour une bonne part, vous avez reécrit votre "légende dorée", comme tout le monde, que vous en avez gardé les coups d'éclat et oublié les négociations, les arrangements, etc... C'est normal et humain...
Les temps ont changés, ils sont durs, c'est certain, cinq ans après avoir monté le Groupe ToNNe, je suis enfin intermittent depuis trois mois, grâce aux dates vendues, pas aux subs, et parce que ça a plu aux programmateurs, pas aux institutions, je répète, on n'a eu aucune sub sur la création de AE-les années...
Est-ce que pour autant il faut se tirer dans les pattes ? Critiquer ceux qui bossent pour s'en sortir, pour trouver des solutions ? Pour construire des choses ? Les traiter de "vendu", de "mou", de "pourri" ?
Il y a l'activité "visible" de la cie, et l'autre, locale.
Le 18 Mars on accueille dans mon village un violoniste de grind-core américain qui fait une tournée de 90 dates en 93 jours. Il passe par l'Irlande, le Portugal, la Roumanie et la Finlande, en solo et en moto... Il a monté cette tournée de chez lui à Pittsburgh... des solutions existent, d'autres réseaux, il faut être prêt à ça, c'est tout. Et c'est plus difficile que de raler sur la liste rue...
Le premier Avril on fait une lecture de l'intégral de "l'insurrection qui vient" sur le marché de Crest, à 6 comédiens et en trois heure, pour un festival d'art contemporain et de performance organisé par des copains...
Le 13 Mai on organise un mini-festival dans un village où on espère ouvrir un lieu de résidence en lien avec la municipalité. On a invité plein de cies qu'on aimait à venir expérimenter, tester, etc,il n'y a pas une thune, les cies pourront passer le chapeau, on va assurer repas, hébergement et frais de déplacement. (Pour la ligne des frais de déplacement, ils seront payés par le bar, mon administratrice à prévu qu'on allait se mette dedans...) Vous voulez venir, Jacques, Solen et Pascal ? Jacques il y a une superbe église désacralisée pour faire ta nuit artistique, Solen et Pascal, plein de ruelles, de placettes etc... Vous êtes les bienvenus, ça vous fera sortir de votre banc. Vous serez aux mêmes conditions que les autres. De nombreuses cies ont répondues qu'elles avaient envie de venir, par sympathie je pense, mais aussi parce qu'elles ont envie de jouer, de se retrouver, de faire des choses un peu absurdes ensemble...et ça me fait bien plaisir... ça va s'appeler le grand déballage...
Voilà, au milieu de ses activités "militantes" on va une semaine en résidence à Quelque p'arts, pour la prochaine création... est-ce que cette semaine là fait de nous des vendus ? des tièdes ? Ben merde alors....
Là on a une grosse dizaine de date pour la saison, c'est pas beaucoup, on serre les fesses, comme tout le monde, on va refaire Aurillac... On a eux 1500€ de sub de fonctionnement du département, c'est tout, rien de la région, rien de la drac, j'espère qu'on en aura un jours parce que sinon on va être dans la merde... J'ai eu Beaumarchais et je me dis "cool, on va pouvoir embaucher un CAE pour nous accompagner sur la création de notre lieu de résidence", et encore, il faut qu'on regarde les chiffres de près parce que c'est pas sur que ça suffise vraiment...
Malgré cette précarité, je ne me pose jamais la question de "est-ce que ce sera vendable ?
est-ce que j'ai raison économiquement de faire ou dire ça ? Est-ce que
ça va me griller ?" Je fais, c'est tout.
Ce qui est sur c'est que je ne peux rien faire si je ne me sens pas poil à gratter, je ne me juge légitime que lorsque je secoue les choses et repousse des limites.
Alors ça me dérange un petit peu ces discours à l'emporte pièce sur la fin de l'histoire...
Bises à tous
Mathurin
