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[rue] La vie en jeu


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  • From: Chtou Qualité Street < >
  • To: Liste Rue < >
  • Subject: [rue] La vie en jeu
  • Date: Mon, 17 Apr 2017 21:48:06 +0200

Le soleil s'éveillait sur les Monts du Lyonnais, la lumière métamorphosant à chaque seconde les vallons boisés, drapés  de teintes bleutées et d'écharpes de brume.
Tout à son habitude, Chantal était installée sous sa véranda, une tasse de café fumant sur les genoux. 
Elle appréciait cette véranda. Toutes les tomettes n'étaient pas collées, toujours pas. Son fauteuil était une antiquité à la tapisserie hors d'âge, mais il était d'un confort douillet. Sa retraite anticipée d'institutrice lui aurait permis de se lever plus tard, et d'avoir un fauteuil neuf, mais elle était exactement là où elle voulait être, ici, et à cet instant.
C'était un beau moment pour rassembler ses esprits. 

Aujourd'hui, c'était les Mardis de l'été.
Le programme reposait sur le guéridon en merisier, mais elle le connaissait par coeur. Elle savait qui elle allait voir. Comme tous les ans, elle se proposait d'héberger les artistes, mais ils avaient demandé l'hôtel. Ce n'était pourtant pas cela qui la rendait un peu triste, non. La compagnie était bonne, elle allait surement passer un beau moment. Insidieusement, une mélancolie subsistait. Ayant pour habitude de faire face à ses émotions, elle entrepris de débusquer ce qui lui valait cette tristesse pastel, un jour où tout devait aller pour le mieux… quelque chose clochait dans ces Mardis de l'été, sans doute. Oui, ces Mardis de l'été. Ils avaient une pâleur d'enjeu, là où ils auraient dû saturer des couleurs des arts de la rue.

Se laissant guider par son instinct, elle alla chercher trois de ses albums. Des souvenirs de famille, albums intimes où l'on voyait ses deux fils grandir, son mari, ses amis. Des photos, des bouts de programmes découpés, des extraits de textes tirés des spectacles, et notés à la main.
Le camping, quel souvenir cette année 1999 à Chalon, ils avaient planté leur tente sans le savoir au milieu des artistes! C'était l'année avec l'affiche des tournesols sur une pellicule de cinéma. Les petits déjeuners avec l'équipe des Jean Louis 2000 lui revinrent en mémoire. Simon devait avoir 10 ans…
Toutes les vacances, ils avaient fait les festivals avec les garçons. Que de moments uniques. Quels artistes, quelles découvertes! 
Tiens, les Kalderas… ils la faisaient toujours penser à la Soucarane, avec qui ils avaient vécu un Aurillac inoubliable, le long de la Jordane, quand ce n'était pas encore un parking mais que tentes, camelots et artistes y étaient entremêlés. La lourdeur d'une nuit, un enfant le visage couvert de peinture à nettoyer, debout sur son sac de couchage,  à l'heure où il était plus que temps qu'il se couche.
Cette chaleur, c'était la même que celle de ce festival près de Rouillac… Un festival incroyable, des plasticiens avaient monté des installations partout, sur les murs du village, dans les garages, dans de petites cours intérieures, on serpentait au milieu de sculptures de sable, pour finalement tomber par hasard sur un gradin, alors on discutait avec les voisins, on échangeait du saucisson, un verre de vin rouge, sans même savoir ce qu'on allait voir. Ils en avaient gardé de bons amis.
D'ailleurs, les Hachet ne loupaient plus un Nombril du Monde. Quelle aventure aussi, celui-ci. Ce spectacle à 4h30 du matin, et aussi quand ils avaient découvert Générik Vapeur à Brest, à la même heure, dans un fortin improbable… ces moments les plus forts, leur premier festival de la Manche à Annonay, tous ces moments devenus familiaux ou intimes…
Soudain tout lui apparut, sereinement, mais avec une clarté subite.

Ce n'est pas du théâtre de rue, ces Mardis de l'été. 
Le théâtre de rue, ce n'est pas seulement des artistes. C'est vivre des moments de fièvre collective, des moments ou la nuit vibre, des rendez-vous iconoclastes, des fous rires en famille sous la tente en rejouant la journée, alors que celle qui va suivre nous attend dans la même couleur que la précédente. 
C'est la connivence dans le public qui se crée entre nous, les spectateurs, dans nos regards complices avant ou après un spectacle exceptionnel. 
Ces moments où adultes et enfants mangent, dorment, vivent ensemble. Ou nous repeignons le réel, ou les petits villages plongent dans des journées alternatives, disruptives, utopiques. 
Ce sont ces moments qui fabriquent du commun…
Le théâtre de rue, c'est incarner un rêve avec les autres, artistes, équipes organisatrices, public, c'est les instants où tous les citoyens font de la vie ce qu'elle a de meilleur à offrir à la collectivité humaine, dans la surprise, le plaisir et la beauté. 
C'est quand toute la rue est devenue belle, comme un théâtre. 
Oui, pour elle le vrai théâtre de rue, c'est quand toute la vie est en jeu.

Chantal referme l'album, et sa main caresse doucement sa couverture élimée.
Le soleil est levé à présent, et la verdure du printemps se découpe sous le bleu du ciel, dans un éclat de fraîcheur.





 





  • [rue] La vie en jeu, Chtou Qualité Street, 17/04/2017

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