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Hello chers autrices, auteures, auteurs de l’Espace
public
voici un magnifique petit texte de Corinne Klomp,
Autrice, vice Présidente de la SACD
qui met en jeu, en question, la terminologie
d'autrice et d’auteure
j’adore
FRED M
Ma part d’autrice
Longtemps je me suis appelée auteure, avec un e. Je
voulais revendiquer mon métier au
féminin, je trouvais qu’auteure sonnait bien. Et
pour cause puisqu’à l’oral, e muet oblige,
il ne sonne pas. Il n’écorche pas les oreilles.
C’est un féminin discret, en retrait, de bon
goût. A l’écrit, certes, il se voit. Un peu. Je
n’étais pas 100% convaincue, mais bon.
J’entendais quelques consoeurs se qualifier
d’autrices, je trouvais ça… moche.
J’avais raison, c’est moche. Mais je sais pourquoi
: parce que depuis ma plus tendre
enfance je n’ai pas été bercée par ce mot. Mes
oreilles n’y sont pas habituées, encore que,
il me semble qu’elles sont en progrès. En revanche,
actrice, directrice, institutrice,
traductrice, rédactrice, interlocutrice,
instigatrice, créatrice, éditrice, spectatrice,
réalisatrice, productrice et j’en passe, tous ces
noms ne me choquent pas à l’oral. Je suis
née avec eux. De même, lorsque l’on parle d’une
écrivaine, beaucoup disent entendre
principalement l’adjectif vaine. Exact. Mais il est
aussi présent dans écrivain. Or dans
écrivain, on ne l’entend pas. Enfin si, mais pas
indépendamment du nom lui-même, il ne
ressort pas. Simplement parce que depuis toujours
le métier d’écrivain nous est familier,
du moins à l’oreille. Ce qui n’est pas encore le
cas de celui d’écrivaine.
En clair, c’est une question d’accoutumance. Les
enfants qui naissent aujourd’hui
n’auront aucun problème demain à évoquer les
écrivaines et les autrices, comme ceux
d’hier ne grimacent pas en prononçant les termes
d’actrices, d’administratrices, ou
d’impératrice.
Parlons maintenant du fond. Lorsque j’ai découvert
les travaux d’Aurore Evain sur le
sujet, j’ai basculé, sans hésiter, en faveur du mot
autrice. Car il n’est pas un néologisme,
encore moins une invention barbare émanant du
cerveau malade d’une poignée de
féministes du XXIème siècle. Il existait avant. Dès
l’Antiquité. Je saute quelques pans
d’histoire mais il est intéressant de savoir qu’en
France, sous l’Ancien Régime, il y a 150
autrices, dont 17 au répertoire de la Comédie
Française. Sur le registre de Lagrange,
comédien de Molière, est inscrite la part d’auteur
pour les hommes, et la part d’autrice
pour les femmes.
C’est au XVIIème puis au XVIIIème siècle
que le ciel s’assombrit. L’Académie française,
menée par des hommes qui se réservent le prestige
de certaines fonctions, déclare la
guerre au mot autrice, l’accusant de déchirer
absolument les oreilles. Le vrai problème
réside ailleurs. Le XVIIème marque la naissance de
l’auteur, l’institutionnalisation de la
fonction qui revêt un sens plus fort, valorisant
socialement. Il est donc temps de bannir
le mot autrice, moins pour censurer le féminin d’un
nom que pour brocarder la femme
qui écrit. La preuve ? A cette même époque le terme
acteur possède un sens plus étendu,
allant jusqu’à signifier écrivain. Dès qu’il est
réduit au sens actuel de comédien, on
invente le mot actrice, qui n’existait pas
auparavant. Curieusement, la même Académie
Française ne se plaint pas d’avoir les tympans
déchirés par cette nouvelle sonorité,
pourtant si proche de celle d’autrice. En clair,
une femme peut interpréter la partition
d’un homme et diffuser sa pensée, mais elle ne
saurait être à l’origine de sa propre
parole. Le langage est politique, ne l’oublions
pas.
Il y a deux ans, quand je tentais d’écrire autrice
sur mon clavier, Word me proposait sur
l’écran : autruche, Autriche, actrice. J’insistais.
Word finissait par céder et me laissait
mon autrice, mais attention, soulignée de rouge,
pour insister sur ma faute, mon côté
mauvaise élève, mal éduquée. Aujourd’hui j’écris ce
billet et le mot autrice n’est ni
remplacé, ni souligné de rouge. Si un logiciel de
traitement de texte a su évoluer et
enterrer la hache de guerre, pourquoi pas nous ?
Corinne Klomp
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