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Re: [rue] Cahier à charges


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  • From: "Franck Halimi" ( via rue Mailing List) < >
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  • Subject: Re: [rue] Cahier à charges
  • Date: Sun, 25 Mar 2018 13:47:38 +0200

Salut, c'est Franck de Bourgogne.

Merci pour ce très beau texte
(un de plus de Camus !)​
que je ne connaissais pas, Julie de Franche-Comté.

Ceci étant, je ne sais pas si c'est dans la rue que ça "se joue le mieux", comme tu l'écris.

Mais, ce que
​ma lucidité et ​
mon expérience me di
​sen​
t, c'est que je sais que je participe à la "paix sociale" et que nos actions sur le terrain sont récupérées par des "politiques"
 qui n'en ont
​,​
en réalité
​,​
rien à foutre.

Mais, ce que je sais surtout, c'est que ce que nous apportons aux humains avec lesquels nous partageons de vrais moments de vie -que ce soit en tôle, en HP, en maison de quartier, en centre social ou dans des écoles- et ce que eux nous apportent, dans nos échanges ô combien justes, sincères, riches et équilibrés, ça dépasse, ça déborde, ça ensevelit et ça rend dérisoire toute autre considération (et surtout celle du "statut de l'artiste").

Ce qui ne m'empêche de mettre et de remettre la question politique et sociale du positionnement des arts et des cultures (avec des minucules et au pluriel) -et de celles et ceux qui les servent et les utilisent- au centre des questionnements et du jeu, à chaque fois que je peux le faire vis-à-vis des "responsables politiques", qui détiennent les cordons de notre bourse collective et qui président à nos destinées (putain, elle est trop longue, cette phrase
​ !​
)
.

Mais, au fil du temps, j'ai appris
​ à relativiser et à privilégier ce qui compte vraiment => pour ce qui me concerne, c'est l'échange et le partage -dans le respect et le plaisir mutuels- avec celles et ceux avec qui nous partageons notre quotidien...

Voili.

Ami calmant.

@+ Franck de B.​
​------------------------------

Le 23 mars 2018 à 11:31, La grosse entreprise < " target="_blank">administration. > a écrit :

On est toujours dans cette tension dont parlait Albert Camus dans le texte "L'artiste et son temps" dont je ne me lasse pas :

(...) « L’obéissance d’un homme à son propre génie, a dit magnifiquement
Emerson, c’est la foi par excellence. » Et un autre écrivain américain du XIXe
siècle ajoutait : « Tant qu’un homme reste fidèle à lui-même, tout abonde
dans son sens, gouvernement, société, le soleil même, la lune et les étoiles.
» Ce prodigieux optimisme semble mort aujourd’hui. L’artiste, dans la
plupart des cas, a honte de lui-même et de ses privilèges, s’il en a. Il doit
répondre avant toute chose à la question qu’il se pose : l’art est-il un luxe
mensonger ?

La première réponse honnête que l’on puisse faire est celle-ci : il arrive en
effet que l’art soit un luxe mensonger. Sur la dunette des galères, on peut,
toujours et partout, nous le savons, chanter les constellations pendant que
les forçats rament et s’exténuent dans la cale ; on peut toujours enregistrer
la conversation mondaine qui se poursuit sur les gradins du cirque pendant
que la victime craque sous la dent du lion. Et il est bien difficile d’objecter
quelque chose à cet art qui a connu de grandes réussites dans le passé.
Sinon ceci que les choses ont un peu changé, et qu’en particulier le nombre
des forçats et des martyrs a prodigieusement augmenté sur la surface du
globe. Devant tant de misère, cet art, s’il veut continuer d’être un luxe, doit
accepter aujourd’hui d’être aussi un mensonge.
De quoi parlerait-il en effet ? S’il se conforme à ce que demande notre
société, dans sa majorité, il sera divertissement sans portée. S’il la refuse
aveuglement, si l’artiste décide de s’isoler dans son rêve, il n’exprimera rien
d’autre qu’un refus. Nous aurons ainsi une production d’amuseurs ou de
grammairiens de la forme, qui, dans les deux cas, aboutit à un art coupé de
la réalité vivante. (...)" ah, mais il faut le lire tout en entier, ce texte.

On est inondé de com' de festivals vantant la citoyenneté - culture pour tous - environnement - prévention" et autre "champ d'expérimentation innovante..." parfois de façon inversement proportionnelle aux nombres d'artistes commerciaux accueillis. Ce cynisme, cette récupération sont exaspérants ! Et que dire des projets en quartiers prioritaires, pilotés par des maisons de quartier pour qui l'artiste est au service de la paix sociale ?

Alors oui, pour l'artiste (comme pour le producteur), le danger est partout : dans le fait d'être utile, dans le fait d'être inutile !

On n'a pas des métiers faciles.

Et c'est pour ça que c'est dans la rue que ça se joue le mieux.

 
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Le 23/03/2018 à 10:48, Cie Acidu a écrit :

Quel fatras! Un retour du refoulé avec tout le vocabulaire affilié.  Ces pauvres artistes auxquels on demande d'être utiles alors que c'est leur génie, leur démarche perso qu'il faudrait arroser, encenser, glorifier!

On a vu ce que ça a donné pendant des années avec tous ces "grands" metteurs en scène tournant en rond dans leurs scènes nationales ou leurs CDN au profit une secte de thuriféraires abonnés.

"l'ART est public!", Simonot, Thibaudat, ça leur est passé à côté!

la question de la place de l'ART dans la cité, question impie, bien sûr. Sauf qu'on ne voit pas ce qu'elle a de "néo-libéral', qualificatif totalement abusif!

Je vous laisse avant de m'énerver

Pierre



Le 23/03/2018 à 10:30, François Mary a écrit :

 

Le manuel du parfait entrepreneur de spectacles néo-libéral - 23 mars 2018 Par Jean-Pierre Thibaudat Blog : Balagan, le blog de Jean-Pierre Thibaudat

 

Michel Simonot publie « La Langue retournée de la culture », un pertinent opuscule qui montre comment le langage de la culture a intégré la pensée néo-libérale dominante, depuis les élus jusqu’aux ministères en passant par les artistes et les directeurs souvent devenus des managers.

Ce qu’il y a d’ennuyeux dans une société comme la nôtre, c’est qu’il existe encore des artistes de théâtre irréductibles. Il ne pactisent pas avec le diable pour obtenir à n’importe quel prix un kilo de notoriété, ils ne sont pas prêts à signer un cahier des charges de compromissions pour obtenir des postes si possible bien rémunérés et durables. Ces artistes-là, la crème des irréductibles, n’écoutent que ce qui les travaille au corps, ils veulent en découdre avec les ombres, cherchent l’inconnu et entendent faire une œuvre. Non seulement pour eux-mêmes, leurs proches et amis, mais pour tous ceux qui voudront bien s’en approcher, s’en saisir.

Cahier à charges

Ces artistes-là sont imprévisibles, parfois inconstants, excessifs, toujours déterminés. Ils échouent parfois mais savent rebondir à partir de leurs échecs. Bref : ils emmerdent le monde libéral dans lequel nous évoluons. Autrefois, on les respectait voire on les craignait (ou on faisait semblant pour mieux les utiliser et les tromper). Aujourd’hui, on les traite d’élitaires, d’élitistes, de narcissiques, de gros prétentieux, de chieurs, de dépensiers, de vieux cons, de poids morts. On les brocarde, on les cloître dans un pré, on tourne la tête quand on les voit passer. Et, dernier argument du parfait néolibéral : ils sont trop chers (traduisez : trop entiers), on ne peut pas discuter avec eux (traduisez : réduire leur rêve à peau de zébu). Laissons croupir ces maudits dans leur coin et passons aux affaires courantes.

Vous avez un brin de fibre créatrice en vous que vous souhaitez manifester en toute indépendance mais en même temps pour avoir un poste, une subvention, vous êtes prêt à ce que votre fibre soit canalisée, déformée et instrumentalisée, qu’elle devienne un moyen et non une fin, vous êtes prêt à entrer dans une case et à répondre oui à toutes les lignes du cahier des charges qui vous a préalablement été remis avant de déposer votre candidature. Si c’est le cas, La Langue retournée de la culture de Michel Simonot vous aidera à ne pas commettre d’erreurs stratégiques, à employer les bons vocables, à parler la novlangue libérale et à en défendre les valeurs avec la foi du charbonnier. Bref : à retourner à votre profit tout ce que ce livre pointe, souligne, analyse et dénonce.

Dans des domaines comme la peinture, la musique et le cinéma où l’art est aussi une industrie, on s’en accommode plus aisément, on ruse, on suce, etc. Dans le monde plus retors et chimiquement déficitaire du théâtre, et plus généralement des arts dits vivants, c’est la plaie. D’où la privatisation rampante mais de plus en plus galopante du théâtre public, lequel prend tous les risques tandis que l’autre tire les cordons du par-ici-les-pépètes en cas de succès et donc de reprise dans le privé. L’échec au théâtre, surtout pour les plus jeunes, les plus fragiles, est un plat qui se mange des années durant, il peut être sans retour. Le néo-libéralisme au théâtre rechigne à repasser les plats et, face aux plus récalcitrants, il sait faire rendre gorge ne serait-ce qu’en culpabilisant.

De l’établissement à l’entreprise

Dans le monde néo-libéral, l’artiste n’est plus un artiste unique mais un artiste en responsabilité. Ce qu’il fait n’est pas la résultante de son jus de crâne mais répond à une commande sociale que doit illustrer son projet, lequel se doit de biffer son identité propre, ses visions, ses obsessions. L’artiste (un bien grand mot, vous en conviendrez) ne travaille plus pour être vu et reconnu, pas à pas, par ses contemporains voire par les siècles futurs, il travaille désormais pour l’immédiat, le saisonnier, le coup, le one shot, bref : il répond à des appels à projet. Abonné au discontinu, il accumule sans articuler. C’est un distributeur et non plus un constructeur. Ses spectacles doivent être aisément repérables, identifiables et classables (le néo-libéralisme adore mettre le monde en cases), ils doivent satisfaire aux normes, aux cahiers des charges des entreprises (anciennement établissements). L’artiste n’est plus en liberté, il est sous surveillance, il est de moins en moins un inventeur et de plus en plus un prestataire de services. 

C’est de cela, entre autres, que parle le livre de Michel Simonot. Tous les mots ci-dessus en italiques et bien d’autres y sont disséqués. Il sait de quoi il parle puisqu’il a dirigé et codirigé plusieurs établissements et qu’il est, par ailleurs, sociologue. Via les insidieux changements de vocabulaire, Simonot peint par petites touches l’âpre tableau d’un monde qui fut guerrier et qui aujourd’hui semble avoir rendu les armes (il existe toutefois quelques fortins qui résistent), hormis celles des mots, et encore. Il constate par exemple que le SYNDEAC a troqué son E de « Etablissements » pour le E de « Entreprises ». Ainsi le directeur tend à devenir un manager, la création artistique un produit (étiqueté), la subvention est de plus en plus supplantée par la recherche de financements, multiples ou dits croisés, etc. Des symptômes parmi d’autres.

Simonot montre comment l’art n’est plus au centre mais à la périphérie. C’est ce que l’on observe dans les processus de nominations : « dans la plupart des communiqués ministériels ou de collectivités annonçant les appels à candidature et nominations dans les organismes culturels, les formulations mettent principalement l’accent sur les objectifs sociaux, territoriaux, éducatifs et de moins en moins, ou à la marge, sur l’intérêt artistique des nominés et de leurs projets », note Simonot. La singularité de l’artiste? La force d’un collectif ? Peanuts. Ou encore ceci : « Le bon artiste subventionné se soucierait de la demande de la population, le mauvais artiste ne se préoccuperait que de son offre personnelle. Aujourd’hui, ce dernier serait, s’il est subventionné, un artiste irresponsable. »

Bon, je vous laisse, j’ai un dossier à rédiger pour un appel à projet. Et Machinette, qui parle couramment le néolibéral, est en congé maternité. Je vais relire le Simonot, ça devrait aller.

Michel Simonot, La Langue retournée de la culture, éditions Excès, 110 p., 10€.

 



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