- From: Marie-do Freval <
>
- To: francoismary <
>
- Cc:
- Subject: Re: [rue] le plein emploi
- Date: Wed, 16 Jan 2019 09:04:42 +0100
Très beau texte / belle analyse !
Bien d’accord pour ma part
Merci François
Marie Do Fréval
Directrice artistique de la Cie Bouche à Bouche
0687274847
www.cieboucheabouche.com
>
Le 15 janv. 2019 à 23:09, francoismary
>
<
>
>
a écrit :
>
>
A PARTAGER SI VOUS LE SOUHAITEZ
>
>
Réponse à Emmanuel Macron
>
Paris le 15 janvier 2019
>
>
Monsieur,
>
>
Vous m’avez écrit le 13 janvier dernier, il était donc tout à fait normal
>
que je vous réponde. Pour commencer et avant de développer plus amplement,
>
je tenais à préciser que je ne me sens pas faisant partie de « votre peuple
>
». En effet, et il me semble que cela est peu relevé, vous employez souvent
>
l’expression « mon peuple » pour parler des habitants de France. Si je ne
>
conteste pas mon appartenance au peuple, je revendique le fait de ne pas
>
faire partie du vôtre. D’ailleurs faudrait-il se poser la question : aussi
>
qu’entendez-vous par « mon peuple » ?
>
Cette précision faite, je voudrais essentiellement vous répondre sur un
>
sujet qui devrait à mon avis être au cœur du débat : celui de l’emploi à
>
tout prix et de la valeur travail dont vous parlez tant. Votre phrase «
>
tous les français n’ont pas le sens de l’effort » en est une parfaite
>
illustration. S’il est vrai que le mépris dont vous faites preuve
>
régulièrement envers celles et ceux qui sont au chômage n’est pas partagé
>
par tous, l’hypothèse jamais remise en cause de « l’emploi à tout prix et
>
sa valeur travail » fait l’unanimité dans la classe politique. L’emploi à
>
tout prix est même une obsession chez vous puisqu’il est au cœur de toutes
>
les phrases pleines de morgues, devenues célèbres, prononcées du haut de
>
votre grandeur sur un piédestal devenu bien fragile. Pour rappel, car les
>
mots ont un sens et la parole est performative :
>
« Le meilleur moyen de se payer un costard, c’est de travailler » (Ecole
>
numérique de Lunel dans l’Hérault, 27 mai 2016)
>
« Une gare, c’est un lieu où l’on croise les gens qui réussissent et les
>
gens qui ne sont rien » (Halle Freyssinet Paris, 29 juin 2017)
>
« Je ne cèderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes »
>
(Ecole française d’Athènes, 8 septembre 2017)
>
« Certains, au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d’aller regarder
>
s’ils ne peuvent pas avoir des postes là-bas » (Corrèze, 4 oct. 2017)
>
« Je traverse la rue et je vous en trouve » (à propos du travail, adressé à
>
un chômeur, jardin de l’Elysées, 16 sept 2018)
>
Et ajoutons sur les « migrants » :
>
« Le Kwassa-kwassas pêche peu, il amène du comorien » (Ethel, Morbihan, 1er
>
juin 2017)
>
Personne n’a relevé que derrière la violence inouïe de ces propos se
>
cachait une idéologie hélas partagée par une grande majorité. Cette
>
idéologie est posée comme hypothèse jamais remise en cause, elle est le
>
fondement de toutes les politiques et l’obsession des commentateurs :
>
rétablir le plein emploi afin que chaque citoyen s’épanouisse.
>
Tout d’abord monsieur, le plein emploi n’existe pas et n’a jamais existé.
>
J’ose espérer que pendant vos nombreuses années d’études, vous n’avez pas
>
séché ce chapitre. En effet, vous n’êtes pas sans savoir que le plein
>
emploi que la France a connu était un plein emploi fictif : une époque
>
(années 50 et début années 60) où presque la moitié de la population
>
n’était pas employée à savoir les femmes. Et c’est d’abord une mise au
>
point à faire : si nous voulons comprendre l’enjeu de ce débat, il faut
>
impérativement différencier l’emploi et le travail. Ces deux termes ne se
>
recouvrent pas.
>
L’emploi est obligatoirement sanctionné par une fiche de paye. Après avoir
>
dit cela, on comprend parfaitement que bon nombre de personnes travaillent
>
sans être employées.
>
A commencer par l’immense majorité des femmes après-guerre qui ont
>
énormément travaillé (élever les enfants, tâches ménagères, etc. etc.) sans
>
être employées. En vous écrivant je travaille sans être employé. La liste
>
de celles et ceux qui travaillent sans être employés est immense, à
>
commencer par tous les étudiants.
>
Pour comprendre l’aberration du plein emploi tant souhaité par beaucoup, il
>
suffit de poser les chiffres :
>
Il y a 6 millions de chômeurs dans ce pays (source les échos : chiffre au
>
plus bas si l’on considère uniquement les inscrits à Pôle Emploi). Même si
>
l’on arrivait à créer 1 million d’emplois (ce qui serait énorme), il
>
resterait encore au minimum 5 millions de personnes précarisées. On en fait
>
quoi ? On en parle ou elles sont quantités négligeables ?
>
En ce domaine, force est de reconnaître que vous n’avez pas l’exclusivité
>
des recettes à coups de baguettes magiques. Certains sur votre gauche
>
préconisent l’interdiction des licenciements et le partage du temps de
>
travail. Je n’ai rien contre ces propositions, mais elles sont mensongères
>
quand elles prétendent résoudre le « problème de l’emploi ». D’autres sur
>
votre droite avancent la funeste préférence nationale sur le thème « les
>
émigrés dehors, les français d’abord ». Inutile de dire à quel point les
>
défenseurs de cette thèse sont aussi dangereux que menteurs. Tous ces
>
programmes sont souvent résumés en une phrase : « Avec moi, le retour au
>
plein emploi ».
>
Ces promesses sont et seront toujours un mensonge. Mensonge aussi énorme
>
que de supprimer le remboursement des médicaments sous prétexte que
>
personne ne sera plus malade.
>
Ainsi pour vous et la plupart de vos collègues, le salarié proche du
>
licenciement est un « client », un sujet digne d’intérêt. Vous allez à
>
grands renforts de déclarations dénoncer la fermeture de certaines usines,
>
même si en tant que libéral votre religion vous interdit d’être trop
>
véhément. Mais quand ce même salarié se trouve au chômage, il passe à vos
>
yeux de victime à coupable ! Non seulement vous le négligez mais pire :
>
vous le méprisez, le contrôlez, le harcelez et le forcez à accepter
>
n’importe quel petit boulot à n’importe quel prix. Et cela au nom de la
>
sacro-sainte valeur « travail » qu’il faudrait d’ailleurs appeler « emploi
>
». Car voyez-vous la méprise est dans ce mot. La valeur travail dont vous
>
parlez, l’immense majorité des chômeurs la partage. Mais ils n’en ont pas
>
la même définition que vous. Lorsqu’ils sont autour des ronds-points à
>
parler politique, lorsqu’ils font des propositions sur une fiscalité juste
>
assortie de services publics renforcés et non dégradés, lorsqu’ils élèvent
>
leurs enfants, lorsqu’ils font partie d’une des milliers d’associations
>
sans lesquelles la France n’existerait pas, lorsqu’ils aident leurs amis,
>
lorsqu’ils participent au grand débat national que vous organisez, …, ILS
>
TRAVAILLENT.
>
Mais au fait, pourquoi la valeur travail ou plutôt la valeur emploi
>
serait-elle prioritaire ? Pourquoi serait-elle supérieure aux autres
>
valeurs ?
>
Voyez-vous, je revendique tout autant salutaires et indispensables les
>
valeurs repos, partager du temps avec ses amis, ses enfants, aller au
>
spectacle, au cinéma, lire un livre, écouter une chanson, regarder la télé,
>
manger un bon plat, aller en vacances, aller au musée, échanger, aimer … La
>
liste n’est évidemment pas exhaustive. Ce que vous appelez « valeur travail
>
» est souvent synonyme d’emploi pénible très mal payé, d’emploi à temps
>
partiel loin de chez soi, d’emploi subi et non choisi. En quoi la valeur de
>
ces boulots asservissants serait-elle supérieure à une seule des valeurs
>
citées ci-dessus ?
>
Et pourtant, au nom de cette sacro-sainte valeur, votre collègue et ami
>
Nicolas Sarkozy pouvait tranquillement humilier le « chômeur qui se lève
>
tard » et l’opposer au « smicard qui se lève tôt », Manuel Valls tout comme
>
Laurent Wauquiez pouvait surfer sur la rhétorique des « droits et des
>
devoirs », et vous pouvez maintenant fustiger le manque d’effort de
>
certains français autrement dit en langage courant des fainéants de
>
chômeurs.
>
C’est encore au nom de cette « valeur travail » que la France dépense plus
>
de 100 millions d’euros par an pour l’emploi à tout prix, allant même
>
jusqu’à financer Alstom pour des TGV qui ne serviront à rien puisque promis
>
à des lignes régionales non équipées. Cette folie de l’emploi a notamment
>
conduit au CICE, ce fameux plan d’aide aux entreprises qui devait créer 1
>
million d’emplois et qui n’a de fait eu pour conséquences que
>
l’augmentation obscène des marges des plus riches !
>
Voyez-vous monsieur Macron, je peux pardonner toutes celles et ceux qui
>
croient en ces âneries comme on croit en la théorie du complot ou en
>
d’autres sectes largement répandues, mais en ce qui vous concerne, je sais
>
que vous savez.
>
Je sais que vous savez que vous êtes en train de détruire toutes les
>
fondations mises en place par le Front Populaire et le Conseil National de
>
la Résistance, que votre but est notamment de participer au transfert de
>
fonds de la sécurité sociale vers les mutuelles, une sorte de privatisation
>
bien masquée, de piétiner le principe de retraite par répartition, de
>
continuer de détruire un à un les services publics en les privatisant (et
>
les gilets jaunes ont bien raison de pointer le scandale de la
>
privatisation des autoroutes, car vos prédécesseurs ont évidemment commencé
>
le travail).
>
Je sais que vous savez que le fameux « modèle social français » ne sera
>
bientôt plus qu’une ligne dans les livres d’histoire.
>
Je sais que vous savez que les petits boulots sont pénibles, non
>
attrayants, très mal payés, mais qu’ils sont nécessaires à votre politique.
>
Je sais que vous savez que lorsqu’on s’attaque au droit des chômeurs, des
>
plus précaires, on s’attaque aussi au droit des salariés à l’emploi
>
stable. En effet moins les chômeurs ont de droits, moins les salariés en
>
CDI ont le choix de dire « non ». Auquel cas on leur répond : « y’en a 200
>
qui attendent ta place ». L’attaque contre les chômeurs a des conséquences
>
directes sur les salaires et conditions de travail des autres travailleurs
>
: ils sont forcés d’accepter n’importe quel boulot à n’importe quel prix
>
pour ne pas vivre l’horreur du chômeur stigmatisé, méprisé et sans argent.
>
Je sais que vous savez qu’en organisant la guerre contre les chômeurs, vous
>
favorisez le dumping social et les employeurs peu scrupuleux qui soutenus
>
par vos réformes n’hésitent pas à pratiquer l’esclavage moderne.
>
Je sais enfin que vous savez qu’en pratiquant cette politique injuste, vous
>
contribuez à creuser le fossé entre les inclus et les exclus, entre vos
>
amis et les laissés pour compte de plus en plus nombreux, entre ceux qui
>
ont « amis bien placés » et ceux qui n’en ont pas, entre ceux qui auront
>
toujours des emplois attrayants et les autres, entre les centre villes et
>
les campagnes, entre les « bien nés » et les autres, je sais en effet que
>
vous savez que le ruissellement n’existe pas, que l’eau est croupie depuis
>
déjà longtemps et que vous n’avez aucune volonté de la renouveler.
>
Pour toutes ces raisons, je vous trouve immonde (vous comme dirigeant
>
politique pas comme homme) de vous attaquer encore aux plus faibles, d’oser
>
demander 4 milliards d’euros d’économies en 3 ans sur le dos des chômeurs
>
à temps partiel, et comble de tout de qualifier vos réformes de « justice
>
sociale ». Car, voyez-vous, il n’est pas de plus grande injustice que de
>
massacrer ceux dont vous pensez qu’ils seront incapables de se défendre.
>
Je terminerai cette lettre en répondant à votre appel. Vous me demandez de
>
participer au grand débat national, je ne ferai qu’une seule proposition :
>
Sur le principe du régime général de la sécurité sociale chère au Conseil
>
National de la Résistance donnant des droits inconditionnels attachés à la
>
personne, je propose une assurance chômage inconditionnelle. Cette réforme
>
permettrait à des millions de personnes de vivre dignement (au -dessus du
>
seuil de pauvreté) et entraînerait la revalorisation des emplois pénibles.
>
Cette réforme est tout aussi possible que la mise en place de la sécu. Ce
>
n’est pas une question de financement, vous vous évertuez à dilapider les
>
fonds publics pour des gens qui n’en ont pas besoin. C’est une question de
>
priorité absolue.
>
A bon entendeur
>
>
Samuel Churin
>
>
--
>
Pour gérer votre abonnement, c'est par ici :
>
http://www.cliclarue.info/#tabs-7
>
Pour consulter les archives, c'est par là :
>
http://listes.infini.fr/cliclarue.info/arc/rue
>
Et pour râler, c'est ici :
>
Archives gérées par MHonArc 2.6.19+.