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[rue] Fils du feu


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  • From: François Mary < >
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  • Subject: [rue] Fils du feu
  • Date: Thu, 19 Dec 2019 11:44:03 +0100

Avaler du Kerdane, un pétrole corrosif au goût affreux, risquer sa peau et ses cheveux, se méfier du vent… Être cracheur de feu n’est pas de tout repos et demande un contrôle et une habileté rares. Un art de rue presque disparu mais qui s’apprend encore !

Qui n’a jamais été captivé par les arabesques d’une flamme ondoyante lors d’une fête de village ? Happé par la lumière surgie de la bouche d’un homme, au détour d’une rue ? On crache le feu depuis la nuit des temps, enfin depuis que l’homme maîtrise cet élément qui le fascine et l’effraie. Et c’est bien ce rapport ambigu qui attire la foule.

« Y a pas à discuter, entre les jongleurs, les fakirs ou les acrobates, c’est nous qui prenons tout le public ! » plastronne Lionel Le Prévost, vingt-cinq ans de métier. Qu’il a appris sur le tard. Pas d’école, cracher le feu est un art de la rue, et non du cirque. Un métier qu’on apprend seul ou aux côtés d’un cracheur émérite. « J’ai été chauffeur-livreur, coursier… Je suis tombé dedans par hasard, et je suis resté par erreur », s’amuse Lionel Le Prévost. « Moi, je viens du théâtre de marionnettes, raconte Guy Boley, cracheur de feu pendant une dizaine d’années, aujourd’hui romancier 1. Mon rapport au feu est très ancien, mon père était forgeron. » Frédéric Bontemps, 44 ans, a été initié par une copine de fac. « D’abord, j’étais poète, raconte-t-il. J’ai donné mes premiers spectacles dans les rues, les bars, puis au festival d’Aurillac. Aujourd’hui j’ai une compagnie, Freddo & Co. »

“J’ai mis deux ou trois ans à faire une belle flamme. Cracher le feu sollicite beaucoup de muscles (zygomatiques, pectoraux, abdominaux, diaphragme... ), c’est épuisant.” Guy Boley

Pour débuter dans le métier, on s’entraîne en crachant… de l’eau. « J’ai commencé à m’exercer dans ma baignoire à l’adolescence, se souvient Pascualito Voinet, ancien d’Archaos, quarante-cinq ans de pratique. Cracher le feu, c’est en fait vaporiser avec sa bouche. Il faut faire des gouttelettes les plus fines possible en pinçant un maximum les lèvres. » Quand on maîtrise le geste, on peut passer à des produits plus inflammables. Le plus souvent du Kerdane, du pétrole désaromatisé d’abord destiné à… nettoyer les outils, très corrosif et au goût infect. « On en bouffe pendant trois jours après avoir craché », résume Lionel Le Prévost. Apparue il y a une vingtaine d’années, l’« eau de feu » améliore le quotidien : moins irritante, sans goût ni odeur, elle ne tache pas non plus les vêtements. Sauf qu’elle est bien plus chère… ce qui fait que beaucoup travaillent encore au Kerdane — l’essence est à proscrire, elle explose au visage. Tout l’art du cracheur consiste à contrôler la flamme. Alterner longues et courtes. Jouer sur l’intensité et la durée du jet. Certains parviennent à faire des figures, type boule de feu. Chacun son style, sa patte. « J’ai mis deux ou trois ans à faire une belle flamme, confie Guy Boley. Cracher le feu sollicite beaucoup de muscles (zygomatiques, pectoraux, abdominaux, diaphragme... ), c’est épuisant. » Une performance dépasse rarement le quart d’heure.

L’ennemi juré est le vent. Un retour de flamme, et vous pouvez y laisser une partie de vos cheveux, voire du visage. Tous les professionnels se sont déjà brûlés, mais sans gravité. Astuces : garder un œil sur la torche pour vérifier le sens du vent et avoir toujours de bons appuis, pour changer rapidement de position. Éviter moustaches et cheveux longs, tout comme les vêtements synthétiques, très inflammables — raison pour laquelle les cracheurs évoluent souvent torse nu. Et puis il y a les risques liés au produit lui-même. Cancérigène, le Kerdane abîme aussi la bouche et les gencives. Et ses vapeurs peuvent être dangereuses. « Un jour de grosse chaleur, j’ai inhalé le gaz qui s’était formé dans ma bouteille, confie Frédéric Bontemps. Cela m’a valu une infection pulmonaire et une semaine d’hôpital. » Pour se préserver, certains boivent de l’huile d’olive afin de protéger les muqueuses, se badigeonnent le visage de crème hydratante ou le corps d’huile d’amande douce… « On est des cracheurs d’étoiles, mais on est un peu fêlés », résume Guy Bouley.

1 Le titre de son premier livre est Fils du feu, éd. Grasset, 2016

https://www.telerama.fr/scenes/les-cracheurs-de-feu%2C-ces-hommes-volcans-qui-nous-fascinent%2Cn6574776.php?fbclid=IwAR1U6XeM-4fE1IKHDk4Vqx2sOdInM9TrFmbuPgDSxDPldqTPoZmVKEkhdgs

 



  • [rue] Fils du feu, François Mary, 19/12/2019
    • Re: [rue] Fils du feu, via rue Mailing List, 19/12/2019

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