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[rue] Le petit soutien


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  • From: "Chtou Gildas puget" ( via rue Mailing List) < >
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  • Subject: [rue] Le petit soutien
  • Date: Mon, 14 Aug 2023 09:02:18 +0200
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On était à ce moment de l’été où l’autoroute était pleine de ces gens qui ne la prennent qu’une fois l’an. 

Ceux qui décident brutalement de changer de voie à 50 m du péage, ne sachant pas trop s’ils peuvent payer par carte, avec ce logo, et qui surgissent devant toi dans la voie de télépéage, pour piler devant la machine et chercher partout leur CB.

Pire, c’était les vacances des Parisiens.

Ceux qui, quand ils voient que les deux voies n’en deviennent qu’une dans 400 m, au lieu de se rabattre à droite, poussent leur SUV au fond de la file pour gruger tout le monde tout au bout.

Encore pire, on approchait de Bordeaux.

Là où les types visiblement ultra-pressés d’enfin se détendre en vacances, font savoir à celui qui roule à gauche depuis bien trop longtemps, qu’ils veulent le doubler en roulant juste derrière lui parechoc contre parechoc.

On avait eu droit à des bouchons à Nantes sous un cagnard épouvantable, des trombes d’eau dantesques en Vendée, bref : la route était mauvaise.

Dans ces cas-là, je suis concentré, avec le camion et la remorque, il faut faire gaffe, et les yeux écarquillés, tendu en avant, je suis super calme. 

Quand on est enfin arrivés sur le site du festival, assez à la bourre, et après avoir survécu à 8 h de route, je souffle un grand coup quand je sors du camion. Les tekos, sourire aux lèvres, nous attendent.


C’est toujours un peu une fête d’arriver sur un événement, mais c’est vrai que parfois, hé bien tu n’es pas forcément hyper disponible. En fait, la conduite m’a demandé tellement de concentration que je me sens, en cet été déjà bien avancé, un peu impassible. Eux, ils sont au taquet. 

Yvan, un grand gaillard aux yeux gris clair, nous chambre sur le retard direct, en nous applaudissant lentement :

— « ha bha bravo, bravo les artistes ! »

J’adore me faire chambrer, mais là, crevé, un sourire pas franc aux lèvres, sans inspiration, je lâche :

— « hé ouais, la route était merdique… »

Greg, un petit trapu au bouc cendré, en rajoute aux applaudissements en prenant un air offusqué et drolatique :

— « Ha bha moi quand je vois le beau camion en plus, je rajoute : et félicitations ! »

Punaise ils sont super sympas, mais je ne suis pas au niveau. Je souris bêtement.


C’est méga pro, en 2/2 ils m’aident à garer le camion le cul à la scène, et je n’ai pas le temps de les rejoindre derrière qu’ils sont déjà dans la soute. 

En voilà trois de plus qui arrivent, goguenards, et vazy que ça te décharge le matos à toute vitesse. Moi, au milieu de cela, j’essaye de donner des indications précises, j’aimerais bien être aussi drôle qu’eux, mais je n’y arrive pas. Ils ont une patate d’enfer, les bons mots fusent dans tous les sens, au point qu’ils parlent parfois un peu en même temps sans avoir l’air de le saisir. 

Je surprends à la volée la mâchoire de Greg qui se serre. D’un coup j’ai le doute. 

Elle a un regard qui tue, la rasée sur les côtés, mais c’est peut-être dû à ses immenses pupilles noires, dans ses yeux noirs. Ils parlent super fort.

Ils vont super vite. Un tout petit peu trop vite…

OK. Il est là. 

Le petit soutien.

C’est pas que je sois contre, je ne juge pas, c’est juste que je me sens floué. 

J’aimerais bien avoir cette énergie, mais voilà, si elle vient de là, c’est bizarre de faire comme si elle était naturelle, et puis moi du coup, je me trouve tout fade.


Au montage, Greg me fait un petit gag sur le sujet. Une porte ouverte. Le fait que je ne saute pas sur l’occasion est suffisamment clair. Dans la compagnie, on n’en est pas. 

Plus personne n’évoquera le sujet devant nous.


On se fait une belle repré, souvent la fatigue cela t’amène de la maîtrise. Moins foufou, on arrive mieux à gérer les parties théâtrales, et on s’obtient un super succès. 

Je sors de la repré, la dopamine au plus haut niveau, je vais enfin pouvoir boire des coups !

Au pliage on a le temps de s’enfiler les trois demis de rigueur, pour la soif, et puis enfin on claque la porte du camion. 

On file au catering, où se termine la fête. 


C’est sympa, ça discute dans tous les sens, il y a de la zik, on est bien, en plus il y a du vin naturel. 

Ça c’est la vie.

Richard, le programmateur, passe nous féliciter. C’est super sympa, un programmateur qui te dit un mot gentil à la fin de ton spectacle, respect, c’est tellement simple, tellement humain, tellement nécessaire. 

Mais… Il est dithyrambique, lancé dans une logorrhée hyper drôle et sympathique, mais je n’arrive pas à en placer une. Quand il est clair qu’il a été brillant et que je n’ai pas eu le temps de faire autre chose que de balbutier, il me plante sur place pour accueillir les Cirqu'en plus. 

On se connait bien avec ces loulous, ça fait bien dix ans qu’on se croise sur les routes… Des sacrés fêtards, comme souvent les circassiens, ça fait du sport à block, et ça se défonce autant. 


Une fois de plus, au milieu de leurs exubérances, j’ai le moral dans les chaussettes.

Il est évident qu’ils l’ont aussi, le petit soutien. 

En fait, à part nous, les chiants, je vois bien que tout le monde l’a. 

D’ailleurs, tout le monde, dans toutes les strates du taf, l’a de plus en plus. 

J’en ai tellement vu, pour les chroniques radio, pour les numéros de cabaret, pour les représ importantes, pour les représ tout court, j’en ai vu des nez qu’on touche de trop, des manques d’écoute, des phrases débitées trop hâtivement. Des couples avec qui tu dînes en discussion croisée frénétique, sans qu’on partage tous la même discussion. 

Autour de moi, ça tchatche à bâtons rompus, ça rigole, ça fait les cons.

Et moi je me sens un peu crevé d’un coup, un peu trop normal.

Hors du coup.

Je m’enquille quelques gobelets de rouge, histoire de faire monter un peu l’excitation, c’était tellement bien tout à l’heure sur scène, je n’ai pas envie de redescendre. Mais je manque terriblement de panache.


Après tout, je le prendrai bien, moi aussi, le petit soutien, je sais ce que c’est, c’est tellement bon, tellement efficace.

Mais bon, déjà avec l’alcool, si je me regarde en face, alors je ne vais pas me rajouter cela en plus. N’empêche, ils devraient faire gaffe.

Dangereux, de vivre d’un métier de la fête.

Je vide mon gobelet d’un trait.

Boarf... c’est du vin naturel.


Ça ne peut pas faire de mal.






Chtou

[Tout est fiction]




  • [rue] Le petit soutien, Chtou Gildas puget, 14/08/2023

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