Dimanche 20 août, 20 h 30 : c’est l’heure du « Journal parlé ». Porte-voix à la main, devant une assemblée attentive, François raconte les histoires et les anecdotes qu’il a collectées dans le cortège, à vélo, en discutant à bâtons rompus avec celles et ceux qui pédalaient à ses côtés. Il écoute, échange surtout, mais lorsqu’il leur pose une question, c’est toujours la même : « Pourquoi es-tu là ? »
Il évoque Céline, comédienne qui vit à Besançon et n’avait jamais entendu parler de la manifestation contre la bassine de Sainte-Soline avant que ses ami.e.s la lui racontent. Alors, elle a voulu « remonter à la source », aller chercher les informations elle-même. Sa prochaine création portera sur la lutte des ouvrier.e.s de l’usine Lip, il y a cinquante ans à Besançon.
Il parle aussi de Fro-Fro, un jeune étudiant en agronomie qui a décoré son vélo d’un fanion « il n’est jamais trop Tarn », en référence au combat contre l’A69. C’est là qu’il s’est « ressourcé » après les violents heurts de Sainte-Soline. Rouler au coeur du Convoi de l’eau paisiblement lui fait du bien, le « ressource » aussi.
François raconte sa rencontre avec Catherine, AESH, à la gare de Lusignan. Fatiguée après avoir monté une côte à vélo, elle s’est exclamée : « Toute ma vie, c’est ça que j’ai voulu faire ! »

François, lui, est venu de Poitiers. Conteur depuis 30 ans, il se souvient être monté sur scène dès l’enfance. « J’ai grandi au sein d’une communauté dans laquelle on faisait régulièrement des spectacles, des chansons, des sketches… explique-t-il. Ce n’était pas des professionnel.le.s, mais des gens qui n’avaient pas forcément le droit à la parole habituellement et qui ainsi, la prenaient. Je crois que c’est ce que je fais depuis cette période-là : je porte la parole de celleux qui ne la prennent pas. »
A ses débuts, en 1993, il transmettait des contes traditionnels puis des légendes, des mythes, des histoires merveilleuses. Dans les années 2000, il a créé une série de sept spectacles sur la Résistance de 1917 à nos jours, en actualisant régulièrement le dernier épisode pour qu’il colle à l’actualité. « C’est ce qui m’a amené à la collecte de témoignages », précise-t-il.

Se considère-t-il militant ? « J’ai baigné dans un milieu militant dès l’enfance, mais je n’étais pas actif parce que je ne croyais pas que ça pouvait faire bouger les lignes : le pouvoir laissait faire les militant.e.s entre elleux, ça n’affectait pas le système. Et puis, j’ai vu apparaître les Soulèvements de la Terre et je me suis dit qu’il se passait vraiment quelque chose. Quand le mouvement a été dissout, pour moi, c’était presqu’une bonne nouvelle parce que ça signifiait qu’enfin, quelque chose dérangeait, devenait dangereux. »
Il a participé à l’occupation du théâtre de Poitiers pour protester contre la réforme de l’Assurance chômage qui touche, notamment, les intermittent.e.s du spectacle. « Nous savions que c’était éphémère et que nous ne gagnerions sûrement pas. Mais durant ces deux mois, nous avons essayé de fabriquer un petit monde, dans lequel tous les courants devaient s’entendre. Je me suis plu à y jouer un rôle de médiation, j’ai rencontré des militants que je ne connaissais pas et rien que pour ça, c’était passionnant ! »

Et si nous lui posions la question qu’il pose à tou.te.s celleux qu’il croise sur le Convoi ? « Et toi, pourquoi es-tu là ? » « Parce que je cherche le point de bascule qui fera chuter le capitalisme et que je sens que c’est ici que ça se passe. Les anti-bassines ne feront pas la révolution à elleux-seul.e.s. Les luttes locales non plus. Les Soulèvements de la Terre non plus. Mais ensemble, oui ! »

Quelques jours avant le départ du Convoi, François a intégré le groupe « Traces » de l’organisation, qui imagine des formes de restitution multiples de cette aventure exceptionnelle. Par exemple, le collectif Bruit Contemporain invite les participant.e.s à réaliser une carte sensible, en y ajoutant chaque jour des éléments qui ont marqué le parcours. Une fresque collaborative reprenant l’histoire de la lutte anti-bassines et des mouvements qui s’y rapportent est aussi proposée. Des photographes et des documentaristes sont à l’oeuvre, ce blog a vu le jour, une feuille de chou est dans les cartons… et François a choisi le format du journal quotidien au porte-voix. Que fera-t-il de tous ces témoignages ? Peut-être en reprendra-t-il des bribes dans un prochain spectacle. Mais demain déjà, il rentrera chez lui. Devant la foule ce soir, l’idée a été lancée qu’un.e participant.e prenne le relais de son « Journal parlé ». Pour continuer à tracer les lignes de cette histoire commune, et singulière à la fois : « Et toi, pourquoi es-tu là ? »

Extrait du Journal de bord du convoi de l'eau

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Du 18 au 27 août, un convoi à vélos et en tracteurs de Sainte-Soline à Paris, pour défendre l'eau comme bien commun.

 

 

Photo : Pierre-Yves Lerayer

 

Bien à vous,

François

 

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