« Beaucoup trop de productions culturelles mettent en avant des discours de haine, diffusent des stéréotypes sur les femmes , représentent des dangers pour les enfants ou partagent de la désinformation. » Pionnière de la responsabilité sociétale des industries culturelles, distinguée par The Economist et enseignante à Sciences-Po, Pascale Thumerelle explique pourquoi certaines productions peuvent nuire à notre cerveau. Et comment il faut mieux responsabiliser ceux qui les font.
« Films, livres, médias, musique, cinéma, séries, spectacles, réseaux sociaux, jeux vidéo, expositions… : ils éveillent notre joie, notre curiosité, notre réflexion mais ils peuvent aussi induire un effet de serre périlleux pour nos cerveaux. » Dans un épatant et exigeant ouvrage paru le 10 janvier 2024 chez Actes-Sud (Réchauffement des esprits. la responsabilité sociétale des entreprises culturelles, 210 pages, 21 €), Pascale Thumerelle nous explique les dangers pour le vivre-ensemble que ces créateurs de contenus peuvent générer.
Cette diplômée et enseignante de Sciences Po, ancienne directrice RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) du groupe Vivendi, nommée dans le Top 50 Diversity Professionals in Industry de The Economist, devenue cheffe d’entreprise en créant Respethica, un cabinet de conseil en RSE tire la sonnette d’alarme
Pourquoi faites-vous un parallèle entre réchauffement climatique et réchauffement des esprits ?
Pour susciter une prise de conscience et proposer des moyens d’action. Le réchauffement climatique est un enjeu essentiel, urgent ; il est de mieux en mieux appréhendé par les citoyens, les ONG, les décideurs publics et privés. Et les entreprises sont interrogées et jugées sur leurs actions en la matière. Le secteur des industries culturelles, lui, est peu questionné sur ses responsabilités sociétales. Pourtant, il exerce un impact très fort sur les cerveaux des citoyens. Films, livres, médias, musique, cinéma, séries, spectacles, réseaux sociaux, jeux vidéo, expositions… : ils éveillent notre joie, notre curiosité, notre réflexion mais ils peuvent aussi induire un effet de serre périlleux pour nos cerveaux. Le réchauffement des esprits est, lui aussi, dangereux.
L’influence exercée par ceux qui créent, produisent et distribuent des biens et des services culturels n’est pas neutre.
Vous parlez d’empreinte cérébrale comme on parle d’empreinte carbone…
Oui, l’influence exercée par ceux qui créent, produisent et distribuent des biens et des services culturels n’est pas neutre. Ils sont susceptibles de transmettre des idées, de semer des représentations, de façonner des imaginaires, modelant nos pensées, affaiblissant notre résistance à la mise sous tutelle de notre libre arbitre ou bien au contraire renforçant notre capacité de jugement. Cette emprise peut affecter notre vie quotidienne.
Comment ?
Beaucoup trop de productions culturelles mettent en avant des discours de haine, diffusent des stéréotypes sur les femmes notamment, représentent des dangers pour les enfants ou encore partagent de la désinformation. Ces polluants nuisent à l’épanouissement personnel et à la cohésion sociale. Alors que la culture doit permettre de mieux comprendre les sensibilités artistiques, de favoriser le croisement des savoirs, des imaginaires, de remédier au repli sur soi.
Le secteur culturel est pourtant très important…
C’est l’un des moteurs de développement les plus puissants du monde avec 48 millions d’emplois et plus de 3 % du PIB. Et il attire les plus jeunes. Il est hybride avec des milliers de microentreprises mais aussi des géants. Parmi les dix-sept plus grandes capitalisations boursières mondiales en 2022, six entreprises consacrent une part croissante à la création, production ou distribution de contenus. Les trois premières places sont occupées par Apple, Microsoft et Alphabet (Google). Suivent d’autres américains comme Amazon, Meta (Facebook) et le chinois Tencent qui investit de plus en dans les jeux vidéo.
Vous parlez de « formatage des esprits » ?
Prenons l’exemple de la représentation des femmes dans des médias, dans des publicités, dans des émissions de téléréalité, dans les jeux vidéo. On oscille entre dévalorisation, sexualisation, invisibilité… Ces représentations autorisent une forme de violence dans les propos et dans les actes. YouTube, par exemple, exacerbe ces stéréotypes. Par ailleurs, les femmes restent très peu présentes dans les postes de décisions du secteur culturel notamment dans les médias. Elles ont aussi moins de pouvoir et sont moins rémunérées. Selon l’Unesco, seuls 53 % des pays collectent et partagent régulièrement des données pour faire le suivi de l’égalité des genres dans les industries culturelles...
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