Deux jours après avoir pris ses distances avec la loi Hadopi sur le
téléchargement illégal, Nicolas Sarkozy
enterre une autre de ses rares initiatives en terrain culturel. L'Elysée a
annoncé la dissolution du Conseil de la création artistique, vendredi 29 avril,
au terme d'un déjeuner organisé à l'Elysée avec les douze membres de
l'équipe.
Lancé le 13 janvier 2009 par le chef de l'Etat afin de servir d'aiguillon et
de laboratoire pour l'administration culturelle, le Conseil aura donc tenu un
peu plus de deux ans. Pourquoi une interruption aussi rapide ?
A l'Elysée, on se refusait à tout commentaire avant l'annonce de décès
officielle. Marin Karmitz, chargé de piloter le Conseil, n'a pas non plus
souhaité réagir. Mais, selon nos informations, plusieurs arguments devraient
être avancés pour justifier cette décision. D'abord le fait que l'instance
n'était pas destinée à devenir une structure pérenne. Ensuite que le Conseil
avait pour mission d'expérimenter des projets et que cette phase serait achevée
à la fin de l'année.
Le Conseil devrait ainsi se réjouir de la réussite de plusieurs des dix
chantiers annoncés par Marin Karmitz en septembre 2009. Pour la généralisation,
et ce sera le troisième argument, il appartient désormais au ministère de la
culture et aux acteurs classiques du secteur de prendre le relais du travail de
défrichage entrepris par le Conseil. Voilà donc pour la version officielle.
La réalité est nettement plus contrastée. D'abord, à aucun moment il n'avait
été dit que la mission serait de si courte durée. Au contraire, l'Elysée avait
précisé, lors de la nomination de M. Karmitz, que sa mission ne serait pas
limitée dans le temps. Impulser de nouvelles idées, expérimenter des
dispositifs, dépasser les blocages de l'administration : de telles ambitions
nécessitaient du temps...
La réussite des chantiers annoncés, ensuite. Au sein même du Conseil, on
reconnaît aisément que tous les projets n'ont pas connu un même bonheur. Certes,
le festival Walls and Bridges, organisé en février afin de promouvoir la culture
française à New York, n'aurait pas
vu le jour sans le Conseil. Ni le projet Demos et son orchestre de jeunes issus
de quartiers sensibles, pour lequel un financement de trois ans est assuré. De
même, la manne supplémentaire apportée au Centre Pompidou
a dopé son programme de musée mobile...
Mais d'autres projets ont connu des échecs ou se sont encalminés. Ainsi la
"Colline des arts", autour de Chaillot, qui devait permettre de rapprocher le Quai
Branly, le Palais de
Tokyo, le Musée d'art moderne de la Ville de Paris, les Musées Guimet et
Galliera, a fait long feu.
Quant à l'initiative baptisée "Imaginez maintenant", celle pour laquelle le
Conseil avait investie tout à la fois le plus d'énergie et le plus grand effort
de communication, elle s'est soldée par un flop : peu de collectivités ont
accepté de jouer le jeu de la mise à disposition de lieux emblématiques pour de
jeunes créateurs. Et le public, convié du 1er au 4 juillet 2010, a
boudé les sites choisis. Comment annoncer qu'il n'y aurait pas de deuxième
édition ? La dissolution du Conseil dispense de le faire.
D'autant que le relais censé être pris par le ministère est resté un voeu
pieu. Jamais l'institution n'a réussi à dépasser l'hostilité affichée, dès son
origine, par la ministre de la culture de l'époque, Christine
Albanel. Celle-ci avait été placée, il est vrai, devant le fait accompli par
le chef de l'Etat.
En donnant à Marin Karmitz non seulement un pouvoir d'expérimentation mais
aussi celui de proposer des axes pour la politique culturelle, il rognait
clairement sur les plates-bandes de la locataire de la Rue de Valois.
Les services du ministère, que M. Sarkozy ne manquait jamais de critiquer, n'ont
donc rien fait pour soutenir les initiatives du "ministre bis". La nomination
quelques mois plus tard de Frédéric
Mitterrand au ministère de la culture, "connaissance de plus de trente
ans" de Marin Karmitz, a changé l'apparence, pas la réalité de
l'engagement.
Si la réaction de l'Etat culturel a été froide, celle des syndicats a été
polaire. Parler d'une tempête de glace serait plus juste. La CGT-spectacle a
dénoncé la privatisation rampante de la culture. Mais surtout le Syndeac,
organisation représentative des patrons de théâtres et de salles, a
littéralement pilonné la nouvelle institution : ses principes, assimilés à une
déréglementation générale ; son fonctionnement, qui privait le ministère de
ressources et les lieux de subventions ; ses membres, étiquetés traîtres à la
cause culturelle. Directrice du Théâtre de Chaillot et seule femme de l'équipe,
Dominique
Hervieu a ainsi essuyé des attaques d'une rare violence.
Si bien qu'au sein du Conseil chacun attendait la fin de partie. Un des
membres avait exprimé son intention de se retirer. L'annonce d'une sortie
collective l'en dispense et soulage tout le monde.
Nathaniel Herzberg Article paru dans l'édition du 30.04.11
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