Salut Céline,
Tout d'abord, j'espère que tes problèmes de contrats se sont (au moins un peu) arrangés.
Concernant le problème de Yoann, il a raison de s'inquiéter et de nous interpeler (attention, il faut être prudent et se garder de sauter aux conclusions définitives avec le peu d'éléments qu'apporte Yoann).
C'est de l'exercice d'un métier dont il est question, et le système d'indemnisation chômage fait partie des conditions d'exercice de ce métier. Un métier, pour en vivre il faut gagner de l'argent et cela ne corrompt en rien la pratique artistique.
Je me place maintenant du côté de l'employeur: Tous les mois, je fais à PE un chèque de 3000 à 6500 euros (ça varie d'un mois à l'autre mais tu peux calculer, ça fait pas mal en cachets). Ce n'est pas tout: je paie aussi pour l'assurance maladie, la maternité, la retraite, la formation professionnelle, les congés (le système français des congés spectacles tel qu'il est géré est un véritable scandale soit dit en passant), les risques d'accidents du travail (ce qui m'inquiétait le plus dans ton histoire si tu te souviens de notre échange d'il y a quelques mois)... Que sais-je encore.
Toutes ces cotisations servent (en principe) à ouvrir des droits. Du coup, ça me choque profondément de savoir qu'un artiste (qui est aussi un salarié) n'accède pas aux droits pour lesquels je paie en tant qu'employeur.
On oublie trop souvent d'où viennent ces droits. Depuis des années, on a volontairement sorti de l'enseignement cette partie de notre histoire. Si tu ne sais pas ce que signifie un droit, tu ne sauras pas le défendre. Il suffit alors de stigmatiser les uns ou les autres, de dresser l'opinion sur telle ou telle part de notre corps social et c'est fini, on recule et on finit par trouver cela normal.
Je ne vais pas refaire l'Histoire de la protection sociale en France (une autre fois peut-être), mais je te donne juste un truc sur lequel réfléchir: Sur mes plus anciennes fiches de payes, là où il est marqué aujourd'hui "charges sociales", il était écrit à l'époque "salaire indirect". Ce tout petit glissement sémantique que le CNPF (le MEDEF de l'époque) a introduit vers 1984 (je n'ai plus la date exacte) a précipité la régression sociales que nous subissons aujourd'hui.
Oui il faut de l'argent non seulement pour vivre, mais aussi pour créer. Il faut réclamer des subventions pour ton festival, car il représente un travail, il a une valeur et il contribue à la société où nous vivons. Ca ne nuira ni à la légitimité de ton engagement, ni à sa générosité. Le tout est que l'argent réclamé soit en cohérence avec le projet et les dépenses. La gratuité est parfois un mal nécessaire pour mettre en route un projet. Elle est une erreur si on s'y enferme ou pire, une faute si on la revendique.
On est dans une société folle qui a perdu le sens de la valeur des choses, et tu proposes de faire tout gratuit? Le simple bon sens te dira que dans un monde marchand, si c'est gratuit c'est que ça ne vaut rien . Tu peux rejeter ce modèle social, tu en seras la seule victime et je ne suis pas certain que tu tiennes bien longtemps.
Je reviens à Yoann. Il ne pinaille pas sur son statut, il défend un droit qu'il paye (c'est un système d'assurance) et qui est nécessaire. Oui on a de la chance en France que l'intermittence existe. Sans doute on pourrait l'améliorer si les réunions paritaires n'étaient pas un mélange de bal des hypocrites et de réunion de marchands de tapis. Mais ce "monde qui a les fesses qui brulent" ne se portera pas mieux si on appelle un droit privilège pour le détruire.
On vit dans un monde de vampire et tout ce qu'on prend au monde du travail et à l'économie ne sert qu'à groiffrer des spéculateurs qui en veulent plus et plus encore. Rien ne les arrêtera, ni la destruction d'un système social, ni celui de notre planète. C'est en préservant la valeur de notre travail que tu les freines le mieux. Ce fric là, ils ne te le prendront pas et tu en fera meilleur usage qu'eux.
La vrai révolution, c'est celle qui permet aux jeunes d'accéder à l'éducation, et aux plus agés de ne pas crever au travail. C'est celle qui offre à tous l'accès à la santé et celui qui se retrouve privé d'emploi de ne pas mourrir de faim. C'est celle qui ne donne pas à une classe dirigeante le monopole de l'accès à la culture... L'indépendance dont on nous fait la propagande jusqu'à la nausée ne vise qu'à détruire cela, les charognards n'aiment pas les sociétés justes et bien ordonnées.
La vraie révolution, c'est celle qui permet à tout à chacun d'avoir le droit d'essayer de devenir artiste et d'en vivre, pour peu qu'il ait la créativité, le talent, le courage et la chance. Nul besoin d'un diplôme, d'un titre de naissance ou de noblesse pour y parvenir. Ca s'appelle l'intermittence. C'est un système cruel, mais qui offre sa chance à chacun.
Bats-toi pour celui qui défend ses droits, tu te battras pour améliorer le monde.
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Thierry
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