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[rue] Grande soirée comique


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  • From: Chtou < >
  • To: Liste Rue < >
  • Subject: [rue] Grande soirée comique
  • Date: Tue, 10 Jan 2012 22:38:41 +0100

Les programmateurs ont souvent des noms qui sonnent.
Yvglizière. Gérarboukar. Pascalroigno. Dominikbaili ...    
Ils ignorent sans doute que les jeunes compagnies invoquent leur nom comme des mantras durant de nombreuses années. Seule la chargée de diff sait alors de qui elle parle, et le reste de l'équipe lui, écoute avec respect et naïveté lorsqu'elle évoque avec gourmandise les Danielandrieu, les Clodmorizur, les Janclodbarens...
Les programmateurs font vraiment partie du roman de nos vies, souriait Dom au volant.
Le soleil brillait, la route était belle, et il se sentait bien.

Celui-ci, Filipfoumandier, n'échappait pas à la règle, et il se l'imaginait tout en conduisant vers le sud.
Probablement un beau parleur, passé d'une jeunesse tumultueuse à une maturité constructive et républicaine, plutôt la cinquantaine, les cheveux grisonnants et une belle chemise... mais à part cela tout était imaginable, bien sur.
L'homme quoi qu'il en soit avait su monter un très gros festival d'humour.
Il avait repéré son solo à Aurillac, le vendredi. La meilleure des quatre.
La foule était hilare, ivre de soleil et d'envie.
Tout, absolument tout passait, il suffisait qu'il lève le bras pour qu'ils se marrent.
21h30, une chaude nuit tombait doucement, les lumières magnifiaient la pierre de la cour, le succès était grisant, les applaudissements interminables...
Quand vous vivez cela en solo, c'est vertigineux, indescriptible à qui ne l'a pas vécu.
On existe en y croyant à peine, on est un peu impermanent, comme une image de soi-même ...

Arrivé dans l'immense salle de sport gradinée, Dom chercha à se signaler.
Les bénévoles se saluaient par petits groupes, tous passé la cinquantaine, et ça sentait la campagne sur son 31.
Pour faire bonne figure et imiter un rougeaud en chemise à carreau, il s'élança plein d'allant serrer les mains d'un petit groupe de bénévoles.
Ils avaient des pognes de paysans, et il se sentit, coup à coup, plus petit, seul et foncièrement différent à mesure que ses phalanges s'écrasaient sous la corne de leurs poignées massives. 
Les dames, papotant entre elles, le regardaient de travers, marquant leur territoire.
Sur un panneau derrière elles, des dizaines d'affiches donnaient le ton de la programmation.
Un vent glaçé le refroidi. Un festival d'humoristes.

Gradin 800 places. Equipe technique ultra pro. Quelques mots du programmateur passionné qui t'explique qu'il a envie de prendre un risque avec des spectacles comme le tien, qu'il défend tous les styles d'humour, qu'il voudrait son festival plus engagé. 
Le brouhaha n'est pas celui de la rue. Il y a des gens dans la salle que tu n'as jamais vus nulle part, dans aucun théâtre, à aucun concert, dans aucun festival, tu ne les vois même pas au ciné ces gens là. Un public de télé. 
Merde.
Dom attaque le premier quart d'heure, au rythme lent, volontairement déroutant, sensé comprimer l'ambiance pour poser l'univers et pouvoir monter plus haut crescendo ensuite.
Perdu. Au bout de 4 min30, Paul regarde sa femme en haussant les sourcils avec une moue qui tranche clairement: il ne nous a toujours pas fait marrer, on va se faire chier.
Il arrache quelques gloussements. Il se débat, il se démène, il donne tout, il vous emmerde bande de gros ploucs, il vous aime putain regardez il y va à fond, au secours, bientôt celle qui marche tout le temps, putain quelle galère quand ça s'arrête, rien à foutre après tout, putain mais qu'est ce qui lui arrive de s'analyser sur scène, enfin quelques applaudissements soulagés, il s'effondre en loge...

Talalalalalalal... "Ollé!!!!" hurle la foule en réponse aux notes de trompette, avant même que le comique attendu en deuxième partie ne rentre en scène. 
Il est déguisé en cycliste, claudique avec un air benêt, il n'a pas encore dit un mot et les gens rient aux larmes.
Seul, dans le noir, backstage, Dom se sert un grand gobelet de rouge.
Quand vous vivez cela en solo, c'est vertigineux, indescriptible à qui ne l'a pas vécu.
On existe en y croyant à peine, on est un peu impermanent, comme une image de soi-même ...

Au retour, les essuie glaces ne chassent pas ses larmes.
Ses pensées battent au rythme de son coeur.
La qualité de l'artiste en lui même n'existe pas. 
Sa qualité, c'est d'être excellent dans ce que son public attend.
Dom pense, Dom rit, Dom pleure, Dom est tout seul dans sa bagnole.
Foutu métier.










  • [rue] Grande soirée comique, Chtou, 10/01/2012

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