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[rue] A nos élites


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  • From: Chtou < >
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  • Subject: [rue] A nos élites
  • Date: Tue, 6 Mar 2012 09:53:23 +0100

J'ai quitté le monde des arts de la rue.

C'est un dernier festival, en septembre, qui a eu raison de moi.
Nous l'avions pourtant préparé avec coeur, et elle tournait bien, notre
déambulation, on était tous intermittents...
Une carriole à bras fleurie, juchée sur deux grandes roues, ornée de grands
tournesols et de vieux arrosoirs, et nous, déguisés en plantes vertes, qui
guérissions les maux écologiques de la ville...
Nous jouions tout près de Paris, et logiquement j'avais appelé mon pote Stan,
mon vieux pote d'enfance, le guitariste des fameux Demonium Fuckers.
Il est arrivé avec le chanteur, en plein après midi, et j'ai été foudroyé sur
place en les voyant arriver.
Dans un effroyable éclair de honte, j'ai subitement compris tout le ridicule
de la situation.
Ils nous regardaient l'ai gênés.
Dudu caressait un arbre avec ses dreads, cécile chantait en arrosant les
buissons municipaux, et moi sur la carriole en salopette de chantier je
battait la cadence sur des pots de fleurs retournés.

A l'époque, on avait un groupe avec Stan.
C'était pas le niveau des Demonium Fuckers, mais on s'éclatait bien, et on
était super respectés par toute notre bande de potes.
On avait un minimum de gloire.
Un minimum d'honneur.
Le soir, je lui ai bredouillé que je m'en foutais, que c'était pour crouter
cette compagnie, mais même ça, c'était pas une excuse...
On a pas le droit de faire ça quand on a eu 22 ans, qu'on a rêvé de devenir
quelqu'un de grand, une star, un vrai artiste.
Moi je l'ai rêvé, d'être le plus grand, je me suis aimé au point d'en être
saoulant, mais putain quelle ivresse!
Je me suis juré un grand destin. Et là je tapais sur des pots de fleurs
retournés, en salopette. Brûlé au coeur, j'ai tout lâché.

De retour à Rennes, j'ai remonté un groupe, avec la ferme intention de
produire tout un set dans l'hiver, et d'attaquer une tournée dès l'été
suivant.
J'ai profité des assedics pour bosser à fond la batterie, et j'ai assemblé
toute la formation.
J'ai même trouvé un pur chanteur avec des bons textes, une perle, et des
musiciens, des vrais, des bons, et disponibles.
Deux répés par semaine, tout est allé super vite. On s'est appelés les
Wadzefuck.
Franchement, ça sonnait, grave. De grave.
J'étais aux anges. Je retrouvais peu à peu le milieu musical, les check ça
papa, les tatouages lookés, les commentaires sur les tournées d'untel, les
anecdotes des roadies, l'ambiance de backstage.
Ca fumait de la clope, ça brillait de la chevelure, c'était un monde dur, ou
ça charriait sévère, mais c'était un monde de mecs, et je m'y sentais bien.
Et puis le groupe a été prêt, on avait une heure et demie de pure zique.
Le moment était venu de tourner.

La réalité m'a frappé le front: comment fait-on venir le public, quand on est
un groupe?
Parce que vous n'avez pas les thunes, pour placarder la ville d'affiches que
vous ne pouvez pas vous payer...
Et même si vous vous les payez... les gens, ils s'en foutent totalement d'une
affiche d'un groupe inconnu!
Je veux dire, si tu veux avoir du monde, remplir une salle, tout seul ou en
étant acheté par les mecs qui louent les salles...
Il faut être hyper connu, que des centaines de mecs adorent ce que tu fais
personnellement, qu'ils viennent te voir toi, pour qui tu es toi!!
Je badais. On jouait pour une salade de ris et trois consos dans des bars
vides.
Nos myspace soundcloud et facebook étaient inondés de groupes qui voulaient
être nos amis, c'est tout.
Les journaux étaient intouchables, les radios cliquaient sur corbeille, les
maisons de disques s'écroulaient, et les gens normaux se foutaient totalement
des jeunes groupes.
On était inconnus, on n'avait pas de dates, et pire, même en jouant gratos où
on pouvait, on n'avait pas de public.
Un soir, en remontant ma batterie à l'appart, boîte par boîte et marche par
marche, je me suis rappelé les pots de fleurs.
Sur le palier, en sueur, je me suis assis sur la grosse caisse, et là j'ai
compris.

Une affiche avec des noms de groupe inconnus ça n'attirera jamais personne.
Une affiche avec marqué "festival de plein de groupes", c'est foutu.
Et pourtant, une affiche "festival des arts de la rue", ça attire plein de
monde.
Grâce à qui? Aux dix compagnies dont les noms sont un peu connus, et qui font
des salles ou des gros événements?
Ou aux 700 qui sont tout à fait inconnus et qui ramènent à eux tant de public
qu'ils talonnent le cinéma?
L'énorme avantage, si énorme qu'on l'oublie quand on est dans ce milieu,
c'est qu'à chaque fois que tu vas quelque part, t'a rien à faire, et le
public est là. Par centaines.
Putain quel luxe comparé à l'autoprod!
Et ça grâce aux salopettes et aux pots de fleurs.
Cette masse de spectacles ne vous fait pas rêver, vous les artistes
carriéristes, vous la "haute" du milieu.
Pourtant cette masse si humble, si populaire qu'elle ne s'extraie jamais de
son milieu pour glisser sur les hautes orbes de la gloire, c'est à sa nature
même qu'on doit tout le succès des arts de la rue.

Parce que c'est ça que les gens sont venus voir, du divers, du varié, du
gratuit, du simple, du beau, de l'accessible, du franco de port, de la rue.
J'ai compris aujourd'hui, au RSA, fier et minable avec mes Wadzefuck, que mes
potes zicos pétaient plus haut que leur cul.
Que même dans le milieu des arts de la rue, tous ceux qui n'avaient pas
compris que c'était la masse des essais, des off, des compagnies pas
terrible, des facilités, des petits succès, qui faisaient la force d'âme de
la profession, que tous ceux qui n'avaient pas compris cela, n'étaient que
des aristocrates égocentriques et prétentieux.
Les arts de la rue doivent leur succès à leur peuple, pas à leurs élites.
Les "bonnes" compagnies, les grands noms historiques, les adoubés des
subventions, ne doivent leur succès qu'à ce qu'ils appartiennent à la masse
grouillante, qu'ils sont portés par les mains noires et graisseuses de leur
classe.
En art de la rue, tout élitisme est du révisionnisme.
A vous qui tenez le discours de l'excellence, de l'esthétisme, je vous dis
que vous êtes des traitres.

Je vais revenir à la rue. Cet hiver, on a bossé une nouvelle déambule.
On est couverts de glaise en hommes préhistoriques, et on se balade à pied en
découvrant les rues comme si on était des bêtes, en faisant des gags.
Ca casse pas des briques, mais on va bien se marrer, avec les gens.
Et ça, c'est le sommet de la gloire, mon pote.

Et j'espère que toute la profession nous considèrera avec respect pour ce que
nous sommes.

Son peuple.








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