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Re: [rue] Le temps nouveau


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  • From: Bulles de Zinc < >
  • To: Chtou < >, Liste Rue < >
  • Subject: Re: [rue] Le temps nouveau
  • Date: Mon, 4 Feb 2013 23:39:26 +0000 (GMT)
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Il est beau ton texte, Chtou.
manu



De : Chtou < >
À : Liste Rue < >
Envoyé le : Lundi 4 février 2013 11h00
Objet : [rue] Le temps nouveau

Au premier temps, tout était neuf. Une couleur chaude venait juste de neiger sur les photos, la France était encore catholique, mais une jeunesse aux cheveux bouclés rêvait d'être américaine.
Ils étaient peu nombreux, surgissant là où nul ne les attendait, ivres d'une créativité que l'époque redécouvrait. 
Au matin, portés par leur fougue, ils surprenaient la foule engourdie, osaient déambuler, jouer en dehors des théâtres, cacher des barons parmi le public, bousculer des tabous, et rentraient le soir, certains d'être les premiers à tant oser.

La nuit venue, les programmes de télévision s'interrompaient. 

Au deuxième temps, l'argent monnayait les prestations. La France changeait de millénaire, et dix compagnies s'étaient créées là où une seule avait hier émergé. Les tabous d'hier ne valaient plus qu'un instant de zapping, le théâtre gestuel semblait ridicule et suranné, la créativité abondait dans une rue ou le chapeau passait encore. Les premiers et les nouveaux coexistaient dans un même mouvement. Les premiers, forts de leur légitimité d'anciens, prenaient leurs chaires, et se livraient une guerre du conte visant à écrire l'histoire à leur avantage. Les nouveaux, confortés par l'image de cette pérennisation, croyaient que le cycle allait tourner, un jour, à leur avantage.

Le jour suivant, dans un flot injurieux de porno, de sang, de violence et d'absurdités, internet vomissait une mitraille égoïste de cellules angoissées.

Au troisième temps, les anciens se sanglaient à leurs barres. Leur créativité d'antan ne valait plus que la mesure de leurs moyens, et les grues faisaient tourner tambours, containers et divas en feu dans l'amusement cynique d'une foule aux smartphones épileptiques. La deuxième génération voyait ses rêves de cycle étouffer dans le goulot d'étranglement d'une diffusion par nature limitée, et jouait des coudes fauchée à mi-parcours. La horde désespérée d'une jeunesse mordante et créative tentait son débarquement sur le champ d'une bataille totale, les ravitaillements explosaient, pilonnés, siphonnés, défendus, hors d'atteinte.

Le fin des temps, suprême bravade, fut nommée le Temps des Arts. 

Adoubés par l'ennemi, claquemurés dans leurs bastions, ceux des premiers qui tenaient leurs fortins pensaient survivre, longtemps encore. Ils se trompaient. 
Aux temps nouveaux, les subventions auxquelles ils se sustentaient étaient par nature trop volatiles. Leurs abris souterrains seraient les tombeaux de leurs savoir-faire démodés.
Aux temps nouveaux, il allait falloir se vendre, et sous le nuage qui recouvrait la planète, seules les plus légères des créatures allaient pouvoir survivre.
Il fallait apprendre de nouveaux codes, prendre de nouvelles armes, dans un nouveau monde.
Des cendres, de fines fleurs allaient poindre.
L'atmosphère leur convenait.

Le temps des Arts de la Rue pouvait enfin recommencer. 










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