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Re: [rue] Respectez la jeunesse


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  • From: nathalie < >
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  • Subject: Re: [rue] Respectez la jeunesse
  • Date: Thu, 29 Aug 2013 14:41:45 +0200

Woua, ca c'est bon à lire.
Merci Chtou.
Moi aussi je ruminais un peu tout ce qui s'écrit sur la liste concernant Aurillac, et aussi l'état du théâtre, de l'art, la question de l'innovation, de la création et de l'artiste...bref, et je ne savais comment vomir tout ça, ou plutot rester vache et avaler, ruminer, avaler...je ne sais pas combien de fois elles font ça d'ailleurs les vaches, car à Marseille ca ne court pas les rues, les vaches, quoique...en ce moment il y en a des immobiles colorées qui ont la panse remplie de fonds obscurs et municipaux non investis dans Marseille 2013 à ce qui parait..., mais bref, et donc je suis ravie de te lire, voilà mon ruminage apaisée. Ouf !
En plus je suis contente d'avoir des nouvelles de Tartar(e) de cette manière...son regard si espiègle me réchauffe le coeur depuis toujours .

Nathalie, alias Miss Paillette

Le 29/08/13 11:34, Chtou a écrit :
Ce qui est tant époustouflant que plaisant dans la cosmogonie des arts de la
rue, c'est qu'ils conglutinent des individus issus de formations incongrûment
hétéroclites.
Ainsi, détenteur d'une licence de lettres et agrégé de philosophie, votre
serviteur, clown de profession, a la satisfaction de partager l'amitié d'un
mécanicien moto à ce jour monteur de chapiteau.
On le nomme Dan, et voilà bien longtemps que je n'avais pas joui de sa
présence à mes côtés.
Je voue à ce jeune homme une admiration particulière, et à sa rencontre je
prenais donc, au beau milieu d'une trépidante et combien socialisante
traversée d'Aurillac, soin de lui consacrer le temps d'une conversation.
Nous nous dissimulâmes tous deux derrière l'église St Géraud (non loin de la
place du même nom où bat, c'est mon avis, le coeur symbolique de ce
festival), et eûmes un bref mais édifiant échange que je vous retranscris ici
pour, je l'espère, le plaisir de ceux qui s'accorderont le temps de le lire.

Je lui lançais, haletant: "As-tu lu ce dernier mail, qui dresse le procès des
clowns et des conteurs? Je dois t'avouer qu'il m'a brouillé. Cet homme à la plume si
séduisante, enrichi d'une telle expérience, me pourfend. Je ne parviens pas à me
déculpabiliser de cette responsabilité que nous avons tous dans le silence actuel de
l'encéphalogramme du théâtre. Ainsi rien de nouveau n'advient, et nous ne sommes que de
pathétiques clowns, qui bêlant derrière de défunts pionniers, tournent en rond pour le
plaisir de rares grands mères hilares?... Clowns et conteurs, démagogiques figures
passéistes? Je tremble et j'enrage à la fois mon ami..."

Dan me répondit d'un sourire empathique et rassurant, une main sur mon épaule:
"T'inquiètes mon pote. Tout ça c'est du pipeau, tu sais pourquoi? Ecoute moi: le clown,
le conte, les échasses etc ce sont des instruments d'accord? Des instruments de musique.
Chacun choisit son instrument, et joue la musique qu'il préfère, celle qu'il a au fond des
tripes. On ne peut pas regarder la fête de la musique et dire "ho ben dis donc je
trouve qu'il y a trop de piano, en ce moment!", tu es d'accord?
En plus tu vois, le clown et le conteur pour moi, ce sont le piano et le
violon, des instruments maîtres, historiques, et indémodables. Ce n'est pas
l'instrument qui lasse, c'est le style musical. il y a des clowns chiants par
containers, mais certains sont sublimes. Tu dirais toi qu'il faut exclure
Léandre des arts de la rue? Te mines pas, ton grand maître il provoque et
basta!

"Certes, lui répondais-je en refusant son odorante cigarette roulée, le parallèle
est parlant, mais alors malgré tout, ne vivons nous pas dans la décade d'un style
musical redondant? Si l'on considère les pratiques de jeu comme des instruments, il
n'en reste pas moins que le style musical de ces dernières années s'embourbe peut être
dans une visqueuse routine? Peut on dire aujourd'hui que nous n'inventons plus
rien?"

"Porte-nawak. Ok on a sauvé les clowns, conteurs et consorts, maintenant je
te sauve notre génération en deux secondes. Observe les critiques musicaux. Ils
sont constamment à l'affut de la nouvelle sortie du dernier style.
"On n'a rien inventé depuis le rock'n roll", je l'ai entendu combien de fois?
Dès que déboulent la techno, la drum'n bass, t'as des mecs qui grimpent au rideau parce
qu'on a enfin quelque chose de nouveau, soit disant. Faut vraiment se faire chier pour
disséquer Breakcore, electroclash rock, jazzfunk, minimal techno, psychobilly et
compagnie, hé bien c'est pareil dans les arts de la rue. C'est quoi l'histoire des
tendances depuis que les mecs ont décidés les premiers d'aller jouer dehors? 25 ans
d'idées et aujourd'hui plus rien? Et puis je veux dire, ok t'as toujours quelqu'un pour
te dire qu'aujourd'hui c'est mort, mais quel type peut affirmer que dans les trente
dernières années il n'y a pas eu constamment de nouvelles inventions musicales?
Regarde, tu vois bien d'ailleurs, vu que nos anciens dans la rue ils commencent à avoir
un goût de vieux!
Quand tu regardes les gros spectacles avec des containers ou des bidons, de la
musique fort et des feux d'artifice, t'as pas un goût des années 80? S'ils nous
paraissent poussiéreux mon ami, c'est qu'on joue autrement!"

Je tentais dans un sursaut de mauvaise fois de l'emporter d'un tour de force: "Tu
penses donc qu'actuellement nous vivons une période créative nouvelle, sans du diable
le percevoir?"

"Je me fous de ce que quiconque analyse, moi je n'analyse pas, je m'exprime.
Et je vais te dire, que tu joues du piano, que tu sois cantonné dans un style
musical, le jazz, le baroque ou je ne sais quoi, cela ne m'importe pas. Est-ce que
je vais casser ce vieux disque de miles Davis que je me réécoute depuis toujours
parce que ce n'est pas novateur? Que tu sois clown ou conteur cela ne m'importe
pas, que tu sois novateur ou classique aux yeux des critiques cela ne m'importe
pas.
Ce qui m'importe Alain, c'est l'auteur, l'homme, le coeur et les tripes de celui
qui joue. C'est l'âme de l'artiste."

Nous avons été interrompus par un ami commun qui nous avait débusqués, et
nous dûmes nous séparer. J'avais le coeur plus léger.
Comme à Aurillac tout est symbole, tout est signe, je n'étais pas au bout de
mon voyage initiatique.
Je le comprenais dans la cour des dindons, ce samedi soir.

Hirsute, violent, féroce et magnifique, Tartare, le conteur, clamait ses mots
sur la musique d'un jeune groupe de rock'n roll en furie, les Monty Picon.
L'air était brûlant, la foule, au paroxysme du plaisir, l'empoigna et le
brandit tel un veau d'or. L'âme de l'artiste, le conteur, le rock, le
plaisir, l'histoire qui se réécrit, qui se renouvelle, l'instant, l'instant
si fort, l'unique certitude, celle d'écrire le présent.
Enfin posé à terre, Tartare saisit un micro, et en guise de salut final à un
public survolté, il projeta une voix vibrante et rocailleuse au coeur de
chacun d'entre nous:
"La Jeunesse, c'était nous!!
Alors... Respectez la Jeunesse!!!"
















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