Magnifique texte de Moni Grégo de Sète ....

 

 

Texte lu ce 11 Octobre à l'occasion de la 100° parution de texte des éditions ETGSO à Mont De Marsan :


À nos forces de jubilation à saisir, à sentir, à comprendre, ce qui nous est dérobé, de courage à vivre ce manque qui ne peut pas durer toujours...

Si on examine l'histoire du théâtre en France. Si on est sensible aux moments où le théâtre, les metteurs en scène ont "découvert" des auteurs, où ils ont compté, influencé leur temps, créé de la nouveauté, et quelquefois des scandales salvateurs, il me semble que l'on s'aperçoit qu'il n'y a pas de grands moments de théâtre, de grandes révélations d'auteurs, de talents, de formes… sans des hommes et des femmes qui œuvrent, ensemble, heure après heure, dans des lieux pensés, construits pour cela. À quoi rêvent les auteurs ? les artistes, les jeunes apprentis de théâtre ? Savent-ils qu'aujourd'hui, en France, il n'y a ni moyens ni lieux pour exercer une pratique quotidienne (excepté peut-être au Théâtre du Soleil et à la Comédie Française) ? Oui, la plupart des théâtres ont été détournés de leur fonction initiale de “Maisons” d’artistes du spectacle, avec comme base LA TROUPE ! Imaginerait-on une équipe de foot à qui l'on ouvrirait le terrain juste avant le match ?… un peintre qui ne toucherait ses pinceaux que lorsqu’un administrateur l’autoriserait à entrer dans son atelier ?… un chirurgien qui déserterait le bloc opératoire?… un menuisier qui ne menuiseraitque par intermittence… etc. Notre théâtre se fait avec des voix, des corps, des êtres qui ont comme principal OUTIL DE TRAVAIL l’espace de la scène.

Les artistes souffrent d'avoir été exclus des lieux de vie du théâtre. Le théâtre souffre de l'absence d'hommes et de femmes qui seraient "chez eux" sur le plateau à tout moment pour travailler dans le secret de la recherche, comme au jour plein des projecteurs, avec et sans le public. Les moyens vont de moins en moins À LA CRÉATION LIBRE ET INDÉPENDANTE. IL y a pourtant au moins autant d'argent, si ce n'est plus, pour le spectacle vivant que dans les années 70 de nos débuts... 

Et, il n’est pas nécessaire d’être extra-lucide pour VOIR qu’après avoir expulsé pratiquement tous les salaires fixes artistiques des Théâtres subventionnés, depuis les années 80, les politiques culturelles de droite comme de gauche sont en train d’expulser LE THÉÂTRE des Théâtres. À Sète l’ancestrale pente douce de la scène du merveilleux Théâtre à l’Italienne a été bannie, trop incofortable pour la danse, le hip-hop et le cirque !!! On se souvient où on voit sur les photos les saluts de Vilar avec une trentaine d’acteurs sur scène, et il y avait deux personnes dans les bureaux... Aujourd’hui, hélas, c’est l’inverse !!!

La fête et la misère, oui, oui ça peut aller ensemble !

Ne serait-il pas important d’examiner la BALANCE symbolique entre :
- ROME la fête, les jeux du cirque, la convivialité orgiaque, le partage de la consommation, les élans du désir, des retrouvailes, du plaisir... toutes choses si nécesaires à la fondation des EMPIRES... 
et - ATHÈNES le théâtre, les arts, ceux de la parole, de l'écriture, de la lecture, du livre... les transports de la sensibilité, l'éclair lucide, le partage, l’écart, le contact avec l’invisible, l’invention, la création... Les premiers pas de nos DÉMOCRATIES.

Équilibrer cette BALANCE Dyonisiaque et Apollinienne... N'est-ce pas un EXCELLENT PROJET pour un MINISTÈRE DES ARTS, DE LA CULTURE (et de la communication)...? 

André Steiger dont personne ne parle plus et qui a été un grand créateur, un grand maître, disparu il y a deux ans disait : “Le théâtre n’est pas là pur faire du chiffre mais pour déchiffrer !“

J’ai été invitée à Liège en Septembre 2012 pour un Colloque “Prospero” organisé par le THÉÂTRE DE LA PLACE, en présence de Roméo Castellucci, Éric Lacascade, et beaucoup d’autres.... Le jour de l’inauguration il y a eu un discours du Ministre de la Culture. Imaginez ma stupéfaction lorsque j’entendis les propos suivants que je note de mémoire : “Ne mettons pas art et culture dans le même panier. Par culture nous entendons, éducation, pratiques sociales, spirituelles... mais nos artistes sont des vivants pris dans des processus qui demandent une acuité d’engagement exceptionnelle, un sens profond de la subvertion des codes en vigueur. Aimons-les, soutenons-les, mettons-les au centre de tous nos dispositifs culturels... Il a cité Anna Harendt pour qui “La société de masse ne veut pas la culture mais les loisirs.“. Il a encore cité Godard : "L'art c'est l'exception et la culture c'est la règle et toujours l'exception tend à tuer la règle."... Ces propos, leur chaleur, leur humour m’ont donné confiance dans le futur du théâtre en Belgique (où le statut des artistes de théâtre est beaucoup plus confortable qu’en France). J’ai tout de même un peu regretté de n’avoir jamais entendu de tels propos dans la bouche d’aucun de nos récents Ministres de la Culture et de la Communication, dans notre pays, enfant des Lumières ! 
Moni Grégo.

 

Marie

 

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