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Re: [rue] Au fond du coeur


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  • From: Matthieu Baranger < >
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  • Subject: Re: [rue] Au fond du coeur
  • Date: Wed, 21 May 2014 15:59:06 +0200

Précision utile : je n'ai rien à voir avec le Matthieu qui a renversé la chaise et s'en est allé dépité, même si je partage avec lui la fougue militante et le désarroi.


Le 21 mai 2014 15:40, Matthieu Baranger < " target="_blank"> > a écrit :


Question récurrente, aussi dangereuse que clivante.
Effectivement les artistes sont plus précaires que les techniciens dans la plupart des cas, même si la précarité touche de plus en plus les bénéficiaires de l'annexe 8.
Pourtant c'est une voie sans issue que d'aborder le problème de la sorte. Aveu d'impuissance et de désenchantement, qui consiste à concourir au jeu de celui qui est le plus précaire. Contresens historique aussi puisque le système de l'intermittence est né d'abord pour pallier à la discontinuité de l'emploi dans les métiers techniques du cinéma. L'élargissement aux artistes n'est arrivé qu'un peu plus tard. Alors non, l'intermittence, philosophiquement parlant, n'est pas faite pour les artistes plus que pour les techniciens.
Considérer la question sous cet angle c'est accepter les thèses patronales du soi disant déficit imputable à des oisifs privilégiés.
Cautionner cet argument revient à tenter notre chance, seuls, sur le grand marché concurrentiel, sur lequel nous n'avons bien évidemment aucune autre chance que celle de sur-vivre pour les plus chanceux. Résignation quand tu nous tient...
C'est aussi considérer qu'il ne peut y avoir de mobilité entre les deux annexes.
Combien d'artistes subsistent en déchargeant des camions pour obtenir un complément d'heures salutaire par le biais de ces tâches laborieuses et si peu épanouissantes ?
La thèse défendue par le comité de suivi de l'intermittence va dans le sens opposé et prône une annexe unique, bien plus pertinente à mon sens.
La CIP va plus loin encore et s'interroge sur l'élargissement d'un tel système à l'ensemble des travailleurs précaires ayant en commun la discontinuité de leurs contrats de travail. Car c'est bien de cela dont il s'agit, et non pas d'une exception soit disant culturelle comme on a trop souvent tendance à le penser.
Les décideurs qui nous oppriment cherchent depuis de nombreuses années à nous faire réfléchir sur ces bases faussées et jouent sur le désespoir de chacun d'entre nous. Diviser pour mieux régner, ça ne date pas d'hier. Quelle force de frappe aurions nous si les techniciens étaient exclus de nos rangs.
La solidarité interprofessionnelle est le socle de l'assurance chômage, c'est aussi l'ennemi que le Medef et leurs alliés cherchent à détruire.
Les techniciens de l’audiovisuel sont beaucoup mieux payés que ceux du spectacle vivant, c'est un fait avéré dans la majorité des cas : grand bien leur fasse. Ils sont peu solidaires de la lutte, c'est malheureusement souvent vrai aussi. Et puis quoi ? Quand on a dit ça on a pas dit grand chose d'autres que : les salaires sont plus élevés dans les entreprises rentables que dans les entreprises à but non lucratif, et on a plus tendance à se battre quand on à rien à perdre. C'est un lieu commun, une lapalissade.
"Si les intermittents veulent un jour montrer qu'ils sont prêts à changer réellement le régime, et s'attaquer aux abus que tout le monde dénonce, alors il faudra bien y aller", dit Bernard : et bien non, je ne le pense pas. Je crois qu'une réflexion sur le plafonnement du cumul salaire + indemnités chômage est bien plus pertinent et plus juste. C'est d'ailleurs ce qui ressort des études menées par la CIP et du rapport de Matthieu Grégoire publié sur le site du Syndeac. Réflexion oh combien intéressante, puisque le dernier "accord"  s'en empare et la détourne de manière ignominieuse afin de précariser un peu plus les bénéficiaires, faisant abstraction par là même d'une quelconque justice sociale.
Quant aux abus dont tout le monde parle, il est certain qu'ils proviennent bien plus des employeurs peu scrupuleux qui préfèrent détourner un système de solidarité interprofessionnelle à leur profit, qu'aux salariés eux-même. Cela ne se règlera que par des contrôles et des sanctions adaptées pour ces employeurs sans vergogne. On sait cependant la complexité de la chose car le recours à la sous traitance exonère les grosses entreprises de l'audiovisuel de leurs responsabilités.
Ne nous laissons pas enfumer en considérant que nos collègues de l'audiovisuel (certes moins miséreux que nous) abuseraient et nous mangeraient le pain ou le caviar sur le dos. Ils ne sauraient être tenus pour responsable de la malhonnêteté de leurs employeurs quand bien même leur rémunération importante (tout est relatif cela étant) les inclineraient à se taire et à se désolidariser de la lutte.
Du fond du cœur, mais aussi de la tête un petit peu...

Matthieu, technicien du spectacle vivant, précaire à ses heures.





Le 21 mai 2014 13:14, Chtou < " target="_blank"> > a écrit :
C'était la Drôme, il y a deux jours, loin de tout, la fin d'une journée de travail qui s'assoit dans la douceur de la tombée du jour, sous la pergola à deux pas d'une petite rivière, et quelques bougies sur la vieille table diffusaient une lumière intime...
Malgré les guerres, malgré la misère, malgré le Medef, j'étais un homme heureux.

Trente-quatre ans, une formation poussée de Circassien, et une compagnie d'art de la rue qui tourne suffisamment bien pour que ma compagne, mes deux amis, l'un artiste et l'autre technicien, et moi-même en vivions dignement.
Nous nous étions tous réunis pour l'apéro au fond du jardin, au beau milieu d'une résidence de création. La discussion battait son plein.

Nous avions la visite de Bernard, ami de mon père habitant la région, un homme doux et passionnant, qui avait passé sa vie dans le milieu artistique, sur la scène comme autour.
Il avait l'assurance tranquille de ses soixante cinq ans passés, et son regard clair et franc semblait sourire lorsqu'il écoutait Matthieu, notre technicien, nous exhorter à la lutte et nous préparer en bon militant qu'il était, aux annulations en série des festivals à venir.
Grève de la faim, menaces au ministre, déficit falsifié de l'Unedic, tout y passait.
J'observais Bernard, bienveillant, me demandant pourquoi il n'intervenait pas. 
... et alors on coupe le spectacle, et là on lit un texte pour vraiment mettre le public face à la réalité, voilà ce que c'est un spectacle sans intermittents!! conclut Matthieu, outré, les bras ouverts.
Et toi alors, glissais-je doucement à Bernard, que penses-tu de tout cela? Tu as bien connu 2003, on doit pouvoir en tirer des enseignements, non?
Il me sourit, prit une lente inspiration, et son visage se teinta de tristesse.

Oui soupira-t-il, même si malheureusement en 2003 nous avons perdu, car le texte est passé, nous avons gagné dix ans durant lesquels on n'a plus osé nous attaquer. Mais nous aurions dû prendre nos responsabilités tout de suite à l'époque, et nous confronter à nos contradictions internes, avoir le courage de proposer des changements dans ce statut qui auraient assaini la situation. Car l'intention du patronat était claire. Il y a 100 000 intermittents, et dans quatre ans, nous n'en voulons plus que 70 000, voila quel était leur projet. Aujourd'hui, nous sommes toujours 100 000, et c'est une victoire. Mais de par notre défaut de remise en question aujourd'hui les vrais perdants, ce sont les plus précaires, toujours plus fragilisés, et cela c'est très nocif pour la création. Car les plus précaires, ce sont les artistes.

haaa mais les techniciens aussi? interrogea Matthieu, interloqué.
Oui enfin franchement, j'en connais dans l'audiovisuel... osais-je en faisant la moue.

Ce que je vais vous dire va vous déplaire, reprit Bernard. Il est très difficile d'en parler, pourtant je pense que c'est du courage dans la situation actuelle. Et de toute façon, personnellement, je n'ai plus d'enjeu...
Je pense que nous aurions dû proposer la sortie des techniciens de l'intermittence. 
Qu'un artiste soit aidé par un chômage car il a besoin, en amont de son spectacle, de travailler, c'est juste. 
Un musicien doit pratiquer tous les jours, un artiste de cirque s'entraine, une danseuse, un comédien, tous ces artistes, c'est vrai, doivent travailler avant leur spectacle. Mais les techniciens , qui sont d'ailleurs les mieux lotis par les calculs, ce n'est pas vrai, franchement, ce n'est pas vrai.
Un artiste est obligé de donner toute sa vie, son énergie vitale, tout son temps à ce qu'il fait, les techniciens eux, doivent comme tout travailleur se former, et cela, ça ne justifie pas en soi le principe du cachet.

Quoi?! s'enflamma Matthieu, mais avec des discours comme ça c'est chacun pour soi!! Ils vont être contents le Medef, si on est divisés, ça sera encore plus facile de nous abattre, bravo!! 
Il nous concernait du regard, cherchant notre appui.
Julie, Max et moi étions mal à l'aise.

Aujourd'hui, repris Bernard avec une implacable bienveillance, ceux qui sont le plus en péril, ce ne sont pas les techniciens. Ce sont les artistes. Et ce sont eux qu'il faut protéger, car ce sont eux qui créent, ce sont eux la source de notre secteur, je suis désolé, mais c'est pour la création en général que je m'exprime...
Tu sais Matthieu, j'ai travaillé toute ma vie dans ce milieu, et j'en ai vu, des techniciens et des artistes, dans les théâtres... j'ai vu les artistes travailler sans compter, leur rémunération uniquement due à leur unicité et à leurs représentations scéniques, tandis que les techniciens, eux, passaient d'un projet à l'autre, leur rémunération due à des structures, ils faisaient leurs heures et au final, honnêtement, étaient...
remplaçables!

Matthieu se leva en faisant tomber sa chaise et nous darda du regard, tandis qu'un silence de mort s'abattait sur la pergola.
Je vois... dit-il d'une voix sourde, merci la compagnie... 
Il nous regarda en soufflant d'un air dégoûté, et s'éloigna d'un pas pesant vers la résidence.

Un silence s'installa, lourd de sens. 
Le fait même que nous n'osions plus parler en disait long. 
Bernard, très embarrassé, remis son pull.
Je suis désolé dit-il, c'est toujours pareil quand on ose dire cela, la violence et la gêne... c'est un sujet très difficile entre nous.
Il faudra pourtant un jour affronter cette question. Vous savez, j'ai moi-même un fils technicien.
Mais si les intermittents veulent un jour montrer qu'ils sont prêts à changer réellement le régime, et s'attaquer aux abus que tout le monde dénonce, alors il faudra bien y aller. Si les techniciens de la télé ne sont pas dans les manifs, vous savez, c'est qu'ils sont bien à l'abri, ils ne craignent strictement rien de ce nouvel accord, contrairement à vous.
L'intermittence, philosophiquement parlant, est faite pour les artistes, et les techniciens devraient avoir un autre régime, je suis persuadé que nous y gagnerions tous. Désolé d'avoir gâché votre soirée.

Nous nous sommes levés tous les deux. 
Nous ne pouvions aller plus loin.
Ce n'est pas grave Bernard, lui dis-je gentiment en lui serrant la main.
Merci, répondit-il, on devrait tous avoir le droit de débattre sereinement, de dire ce que l'on pense au fond du coeur... bonne chance, pour cette nouvelle création.

Il m'a sourit, et puis il est parti.
Ses arguments, eux, m'obsèdent toujours.










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