A feu et à sang pour 150 millions d’euros: c’est le montant des économies qui doivent résulter de la réforme du régime des intermittents, et qui met en émoi le monde du spectacle depuis plusieurs semaines. La somme est importante, surtout en période de disette budgétaire. Mais que représente-t-elle réellement, rapportée aux enjeux en cours, voire aux autres politiques publiques?

Le régime de l’assurance chômage était en déficit de 4 milliards d’euros en 2013. L’accord trouvé par le patronat et trois syndicats, le 22 mars dernier, doit aboutir à près de 400 millions d’euros d’économies par an. Le gain opéré sur les seuls intermittents représente donc presque la moitié des économies réalisées sur l’ensemble de l’assurance chômage. Mais 3,7% seulement du déficit global de l’Unedic.

Autrement dit, le jeu en vaut-il la chandelle? Faut-il s’entêter à vouloir réformer ce régime, avec tous les risques que cela comporte, pour réduire d’à peine 4% le déficit de l’Unedic ? Risques immédiats et conjoncturels, d’abord, avec l’annulation de plusieurs festivals cet été. Nombre de territoires vont ainsi vivre une saison noire cette année suite à ces annulations, qui impacteront l’ensemble de la filière touristique (commerces, hôtellerie, restauration…). Risques de plus long terme, avec la fragilisation d’un secteur, la culture, qui représente 3,2% du PIB (60 milliards de valeur ajoutée), soit sept fois la valeur ajoutée de l’industrie automobile, et qui emploie, directement, 670 000 personnes.

Ces économies interrogent aussi par rapport aux autres politiques en cours. Le gouvernement s’est ainsi engagé à diminuer de 40 milliards d’euros la pression fiscale et sociale des entreprises. Pour le seul CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi), d’un montant de 20 milliards, les estimations en termes de créations d’emplois varient, d’ici cinq ans, de 150 000 selon l’OFCE à 300 000 selon l’Insee. Soit un coût compris entre 133 300 et 66 660 euros par emploi.

Le régime des intermittents, de son côté, qui représente un surcoût de 300 millions d’euros pour l’Unedic, selon un rapport parlementaire (1), permet de sécuriser le travail d’un peu plus de 100 000 personnes, pour une facture de 3000 euros par emploi. Soit 22 à 44 fois moins que les emplois espérés avec le CICE. Et pour des postes de travail, eux, bien réels.

Alors certes, l’assurance chômage relève des seuls partenaires sociaux et n’a pas vocation, considèrent certains, à subventionner tel ou tel secteur. Pour autant, alors qu’un outil qui a plutôt fait ses preuves permet de faire vivre toute une filière pour un coût finalement peu important, l’on s’échine aujourd’hui à le mettre à terre. La France a-t-elle, en ce moment, tant de secteurs de l’économie à ce point florissants qu’elle puisse se permettre de fragiliser ce qui fonctionne déjà ? Tout en s’apprêtant, parallèlement, à déverser des dizaines de milliards d’euros de façon aveugle dans le cadre du pacte de responsabilité ?

Car il y a aussi un lien entre les deux dossiers. Le déficit de l’assurance chômage entre en effet dans le calcul du déficit public de la France. Or tout ce que l’on accorde, d’un côté, aux entreprises par la baisse de la fiscalité vient creuser ce déficit, conduisant, d’un autre côté, à un effort d’autant plus important sur les dépenses pour le réduire, et en l’occurrence celles de l’assurance chômage.

Cet épisode, enfin, en dit long sur la faiblesse politique de ce gouvernement. Alors même qu’il s’est engagé à mettre en œuvre la plus grande baisse d’impôt et du coût du travail jamais accordée aux entreprises (40 milliards), il est incapable d’obtenir du patronat, en échange, qu’il en rabatte sur 150 millions d’euros. Quitte à en supporter le coût social en termes d’emplois, mais aussi politique, dans un secteur qui lui est (ou était) plutôt acquis.

 (1) Si le régime spécifique des intermittents affiche un déficit facial de plus d’un milliard d’euros par an, son surcoût réel est en fait trois fois moins important. En effet, de par la spécificité de leurs métiers, les intermittents, s’ils sont reversés dans le régime général, continueraient, comme tous les précaires, à «coûter» plus qu’ils ne contribuent. Et l’Unédic n’économiserait alors que 320 millions d’euros (rapport parlementaire du député PS Jean-Patrick Gille, portant sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques, 2013).

Luc PEILLON