Tu les as vus de près, pas pour de vrai, sur ton
écran seulement, attachés parqués mourant, paquets de vie
abandonnés aux flots, grappes d'hommes de femmes marmots en
dérive, et tu as eu pitié mais tu n'as pas compris, toi quand tu
veux voyager, tu as d'autres circuits.
Ceux qui se pressent ainsi, c'est pas le peuple
élu pas un peuple d'élite, simples individus unis par cette
fuite, leur terre qui se délite, la guerre, la misère, l'enfer,
qui ne voient pas quoi faire, cherchent une bouée pour surnager,
un sas pour respirer, un espoir pour rêver, déchus déçus
coincés, tes frères de débine qui se cherchent une issue et toi
trou du cul tu ne les as pas reçus.
Sale Europe, Eurosalope à cheval sur sa tirelire
en toc qui a exporté ses pauvres sur toute la planète pendant
des siècles, qui maintenant se boucle, ferme les écoutilles, se
barbelle, se hérisse de toutes ses polices disant on va trier
mais qui continue à fourguer sa came d'armes à tous les chefs de
guerre, à piller sans manière toutes les matières premières en
graissant des papattes pour se les réserver.
A force de tout prendre et de ne rien lâcher, à
la fin trou du cul tu vas voir que ça va péter. Tu le sens tu
t'en fous tu es du bon côté et pourtant toi aussi tu commences à
crever. Dans le peloton de merde des paumés de la terre tu veux
rester en tête à téter ta mistoufle, tu fais la diète de ta
tête, ta cervelle se serre et ta bile te brûle, pendant que les
tireurs de ficelles te les font haïr, tes frères de malheur, tes
frères d'ailleurs que tu laisses crever à tes frontières.
Ce que tu as compris, ce qu'on te fait
comprendre, c'est que tu fais partie du gâteau que ces morfals
guignent, qu'ils viennent pour te mordre, pour te bouffer ta
part dont tu sens qu'elle devient si congrue et si rare, alors
tu te révoltes et tu les hais si fort, misérables qui veulent te
chourer ton trésor. Tu les calcules pas, ils sont juste appétit,
dents aiguisées, menace, tu veux qu'on les efface. Tu ne veux
plus la voir cette arche de noyés.
Regarde ton histoire et comment tes ancêtres ont
migré eux-aussi, poussés par la fringale, chair à canon, chair à
boulot, bossant à en perdre le ciboulot, à en perdre son âme,
parqués dans des quartiers infâmes, rampant pour quelques bouts
de pain. Maintenant tu es sur la touche mais devant ta télé et
tu vois ceux qui meurent, qui jouent le même scénar et tu les
jettes, les rejettes des fois qu'ils piqueraient des miettes
dans ton assiette.
Ton cœur a rétréci mon frère qui ne l'est plus.
PierreP