LE CONCERT DE BOUDIN & CHANSONS N’AURA PAS LIEU

Programmée lors du Festival “Tourcoing fait son live“ le samedi 13 juin prochain, la Cie Thank you for Coming s’est vu annuler le contrat du spectacle “Boudin & Chansons“ deux semaines avant les festivités. Les raisons invoquées sont les suivantes :

Au vue des événements de la nuit du dimanche 31 mai au lundi 1er juin (une patrouille de police a tenté de contrôler les trois occupants d’une 106 qui venaient de griller un feu rouge; résultat : un mort, le conducteur dans le coma et une fracture du tibia pour le passager arrière. Le bilan a été lourd aussi pour la ville : une soixantaine de véhicules brûlés depuis lundi, deux cent policiers et gendarmes mobilisés, des dizaines d’arrestations, débouchant sur quelques comparutions immédiates.), on pourrait croire que l’adjoint au Maire a eu le nez creux en jugeant les quartiers de la Ville de Tourcoing sensibles. Cependant, pourquoi annuler ce spectacle ? Pourquoi annuler un spectacle qui a à son actif près de 200 représentations en France, en Belgique et en Suisse ? Boudin & Chansons n’est qu’un spectacle musical, humoristique et féministe qui parodie les rapports homme-femme. Un duo de femmes qui aiment les hommes et le cochon. Pourquoi ? Parce qu’il y en a marre de bouffer des yaourts hypocaloriques, d’être belles de l’intérieur et de l’extérieur, parce que nous venons de Belgique et que le boudin, c’est une spécialité de notre Plat Pays, parce que la phrase suivante : “Fais attention ma fille, les hommes sont tous des cochons !“ nous faisait rire. Parce que nous voulions parler de féminisme et rire de notre féminisme.

Alors, qui est donc cette “frange importante de la population de Tourcoing“ qui risque d’être choquée par cette métaphore éculée : un homme = un cochon ?

Les musulmans ? Les végétariens ? Les masculinistes ?

L’adjoint au Maire a peur. Il a peur car il confond le mot et la chose. Car si la consommation de cochon est interdite aux personnes de confession musulmane et juive; je ne connais aucun texte cependant qui proscrive de le nommer, d’en parler. Etant moi-même de culture musulmane, je me souviens avec plaisir du sourire de mon père, immigré tunisien, qui me traitait facétieusement d’haloufa (cochonne) quand je revenais crottée d’une aventure enfantine. Bien sûr, le cochon, “notre cousin mal-aimé“, est un animal qui jouit d’une réputation des plus sulfureuses. Oui, le cochon peut être tabou, je vous l’accorde. Mais n’est-ce pas une raison pour lever le voile ? Doit-on laisser à quelques pseudo-nazis le droit de mettre le cochon en étendard ? 

Doit-on interdire ce spectacle à une “frange importante de la population de Tourcoing“, un spectacle qui invite avec amusement à la réflexion sur la condition de la femme ? De plus, un spectacle de rue où les artistes sont à même de discuter avec le public, de débattre sur le pavé, d’expliquer leur démarche et, qui sait, en suscitant des vocations, d’encourager certains à opter pour une discipline artistique pour exprimer leur colère ?

Doit-on délaisser cette “frange importante de la population de Tourcoing“ ? Doit-on laisser le champ libre à quelques prédicateurs salafistes qui trouvent, chez ces jeunes des quartiers des oreilles fragiles et naïves, faciles à endoctriner ? Ali Benfalia, attaché territorial de 54 ans et fondateur en 2013 de l’association Baniya, en lutte contre l’islamophobie, déclarait après les attentats de janvier 2015 dans Nord Eclair : « Ces événements sont le début d’une histoire. À un moment la France va devoir s’interroger sur sa propre diversité religieuse et sur pourquoi des gens en viennent à ce type de réaction. (…) Je suis très pessimiste parce que des jeunes sans lien affectif, sans repères, j’en croise beaucoup en tant qu’éducateur. » 

Comme cet éducateur, je pense qu’il y a nécessité urgente de les réinvestir, ces quartiers habités par “une frange importante de la population de Tourcoing“. Une frange qu’on n’ose même plus citer par souci du politiquement correct. A force d’euphémismes, peut-être que cette “frange importante de la population de Tourcoing“ finira par disparaître miraculeusement et qu’on pourra enfin bouffer notre jambon-cornich’ pénard ?

En tant que metteur en scène de ce spectacle, je ne peux que regretter tristement cette annulation. En tant que jeune femme perdue, je vous demande gentiment de m’indiquer Qui et surtout Où se trouve Charlie ? En tant que fille d’immigré, laissez-moi devenir amère… ENFIN, si le Maire change d’avis, je suis prête à venir jouer Boudin & Chansons n’importe où, n’importe quand et avec n’importe qui…

Sara Amari

Metteur en scène

Cie Thank you for Coming