Voici la synthèse des 4 jours du parlement de rue à Aurillac. Cela a été envoyé au premier ministre le 3 septembre
Monsieur le Premier Ministre
Quand on écrit au
premier Ministre, on sait d’avance que l’on n’écrit à personne, on sait que 3
conseillers vont confisquer la lettre et qu’elle ne vous parviendra jamais,
c’est déjà un premier défaut de notre démocratie, cet essaim de
conseillers-écrans. C’est ce que l’on
croit, mais ce n’est pas certain.
L’histoire : une
troupe de théâtre aguerrie qui en a assez de voir la vie politique s’en
aller en poussières, voir monter les abstentions, voir les hommes politiques
discrédités, décide d’organiser à Amiens, puis à
Aurillac un véritable Parlement de Rue, une sorte d’agora grecque
reconstituée, faire de la politique avec les gens de la rue.
Evidemment, on fait
dans la fantaisie, le vote des lois est ponctué de chansons et de poèmes, la
Présidente de l’Assemblée tutoie les parlementaires, la langue de bois est
interdite.
4 jours, pendant quatre
jours, à Aurillac, c’était fou, les gens se pressaient au Parlement de
Rue, de 800 à 1000 personnes par session de 90 minutes, installées
sur la pelouse de la place des Carmes chaque jour. Fièvre et passion. Notez ça,
les gens ont envie d’être consultés, ils ont envie de vous aider, ils ont
ENVIE.
Ce Parlement n’est pas
une opposition à la classe politique, mais un désir de participation actif à la
vie politique.
Nous allons obtenir via
ce parlement de Rue une photographie à un moment T des préoccupations de 3800 personnes fréquentant le Festival
Eclats d’Aurillac qui faut –il le dire rassemble plus de 100 000 personnes. Nous coûtons moins cher
que Jacques Attali ou tous vos sondages.
Evidemment de
nombreuses critiques s’élèvent pour dire, c’est futile, ce n’est pas sérieux
etc. Mais justement, les
gens sérieux nous ont sans arrêt mené à des catastrophes, et nous pensons que
vous devriez vous appuyer beaucoup plus sur les artistes de théâtre de
rue, ce sont des gens qui ne sont pas dans la carrière, qui sont proches du peuple et qui estiment la parole
des gens simples, des sans -grades.
D’ailleurs, ça a été la
première loi adoptée : “Le droit de ne pas savoir”.
Oui, une femme
d’Amiens, sans profession, aux moyens très modestes, s’est plainte de ne
jamais être entendue parce que femme de peu, sans instruction, femme anonyme,
pourtant experte du quotidien, dotée non pas d’un gros QI mais d’un très
bon QDD (Quotient Débrouille Demerde). Elle a dit “ je sais faire des tartes,
des enfants, je sais laver, repasser “. Evidemment, vous allez nous
taxer de populisme, mais comme dit Edgar Morin, il est temps que ce mot tant
décrié retrouve quelques lettres de noblesse. Ensuite nous avons eu
droit à une cascade de lois sur la morale politique. Que les députés et les
sénateurs arrêtent de voter leurs propres indemnités, que les mandats ne
puissent jamais être reconduits, que les politiciens renoncent à tout
enrichissement, abandonnent leurs biens matériels, qu’ils apprennent à vivre
dans les quartiers difficiles. Là, ce fut le souhait le plus cher des personnes
présentes. Tirer au sort le
tiers de la chambre des députés, les 2/3 restants feraient partie des classes non représentées
au parlement : ouvriers, paysans, femmes battues, chômeurs, jeunes,
vieillards, et bien- sûr moins de cravates, plus de jeunesse issue de
l’immigration.
Nous avons cité Pépé
Mujica, l’ex président de l’Uruguay qui a lutté contre la pauvreté et qui
vivait lui même comme un pauvre. Nous avons même dit ses
textes.
Voyez, ce qui
nous fait peur, c’est que pour être réélus, vous ayez les yeux rivés sur les
sondages, qui vous disent “75% des français sont défavorables aux
migrants ”. Donc prudence extrême de votre part et de celle de Hollande, sur
l’accueil de ces migrants. Or nous voudrions tellement que vous soyez de la
trempe de Mitterrand quand il va contre les français sur la suppression de la
peine de mort.
Beaucoup de lois ont
été proposées sur le fléau de ces nouvelles étoiles jaunes, ces damnés de la
terre, je parle de ceux qui cherchent refuge en France. Il y a
d’abord l’embargo sur les armes de tous ces pays ravagés par la guerre.
On sait que la France est bonne vendeuse d’armes, mais il faudra vraiment un
jour se mettre à contrôler tous ces trafics, beaucoup plus graves que la
circulation de drogues. D’autres propositions
concernaient les entreprises françaises faisant du profit dans tous ces pays de
misère. Elles s’occuperaient mieux du développement de ces pays, on aurait
moins de départs. Un jour il faudra que
nous acceptions de payer la café, le chocolat, l’uranium, le coltan à leur vrai
prix. Une loi a été votée
stipulant que tout fonctionnaire européen devrait participer physiquement à une opération de
sauvetage en Méditerranée, pour éprouver cette catastrophe humanitaire, où la
France devrait montrer qu’elle est le berceau des droits de l’homme et non pas
la championne de l’égoïsme. Mais nous constatons
que ces derniers jours, l’émotion monte et les lignes sont en train de bouger.
Il y a eu un certain
nombre de lois sur les moyens d’information. Nombreux sont ceux qui
se plaignent des médias appartenant à des banques. Quelqu’un s’est risqué
à proposer des journaux télévisés qui nous annonceraient de bonnes nouvelles et
non pas que des mauvaises nouvelles. Un équilibre entre culture
et sport a été réclamé sur les chaînes d’informations continues. Une femme voudrait que
toute la désinformation sur les migrants puisse être punie.
Un enfant de douze ans
a proposé une loi qui consisterait à réduire le budget de l’armement mondial de 8%, ces 8% seraient versés à
l’Education dans le monde entier, et
cela permettrait aux classes les plus défavorisées d’accéder aux études.
Une femme a demandé que
les menus des cantines scolaires puissent être servis dans les réceptions
officielles ( à l’Elysée par exemple). .
Il a été question bien-
sûr de l’écart des salaires dans les entreprises, la loi a été votée d’un écart
de 1 à 5 maximum ; figurez vous que le revenu minimum universel a été refusé,
il faut dire que ce jour- là , les zadistes formaient lun bon quart de
l’assistance, réclamant la fin de l’argent et la fin du travail , le retour à
une vie auto-suffisante et simple. La loi sur le double métier, l’un manuel,
l’autre intellectuel, a été ajournée.
Un débat important a eu
lieu après que quelqu’un eût proposé l’attribution à chaque enfant qui naît
d’un lopin de terre de 501 M2, assez original.
Uniformiser le montant
des retraites, nos parlementaires de rue se sont emballés sur le montant. Des
sociologues ayant calculé qu’au delà de 6000 € le bonheur
n’augmentait guère, tout le monde s’est mis d’accord pour un montant unique de
retraite à 6000 €. Oui la démocratie directe peut elle aussi dérailler par
instants.
Quelqu’un a dit : moins
de lois, plus de rêves. Il faut compter avec cette tendance , tout ne peut pas
devenir loi, d’autant plus que dès que la langue devient compliquée, il y
a rejet. Par exemple, sortir de
l’Europe les pays qui pratiquent le Dumping fiscal (Irlande ,
Luxembourg), ou que le TAFTA soit voté par le peuple tout entier
lors d’un référendum, l’assemblée s’est sentie un peu dépassée par la
technicité de ces lois.
Dans les propositions
étonnantes, une femme de 55 ans demande qu’il soit interdit de dire “c’était
mieux avant “. Une autre veut que l’on garde le courrier postal et ne veut pas
que le timbre passe au prix de la baguette, pensez- y, cher gouvernement, pour
certaines personnes, le prix du timbre- poste est important.
Il y a eu de
nombreuses propositions de lois sur l’environnement , par exemple celle de
retirer le droit de vote aux propriétaires de cafetières Nespresso, votée à
l’unanimité dans un éclat de rire.
Heureusement la Culture
n’a pas été absente, mais contrairement à ce que vous imaginez ce n’est pas
d’une augmentation du budget de la culture dont il a été question, mais d’une
meilleure répartition de l’argent sur tout le territoire, la commune d’Oradour
sur Vaires par exemple ne mérite t-elle
pas elle aussi quelques sous pour inviter ce Parlement de Rue ?
Par rapport aux moeurs,
on retiendra le mariage sous forme de bail 3/6/ 9. 3 jours, 6 mois, 9 ans.
Cela nous éviterait bien des divorces, mais il faut savoir que toutes les
autres libéralisations du couple ou de la famille ou d’un droit à l’adultère
une fois par an, tous ces aménagements ont été rejetés en bloc. Bizarre
attachement au couple, à la fidélité.
Pas mal de lois ont été
présentées sur l’école. L’une d’elle a fait sensation : on développerait
l’éducation sexuelle au delà de la simple reproduction, car le plus clair du
temps de la vie, on ne pratique pas l’amour pour reproduire. Une certaine
Alexandra a demandé qu’une vraie éducation amoureuse ait lieu dans le cadre
scolaire avec un focus sur la sodomie, la double pénétration, le cunilingus
etc. Ce fut présenté avec
une telle candeur, que le vote “pour” fut majoritaire.
La fin du médecin de
campagne est un souci pour de nombreuses personnes âgées qui vont se
retrouver avec un seul médecin à 1 H 30 de leur maison.
Une autre loi sur la
santé a fait sensation, puisque l’individu qui présentait la loi sur la
dent à 1 €, dans un moment d’exaltation a retiré son dentier et s’est
exclamé “est- il admissible que ce que je tiens entre mes mains coûte 1500 €
?”
Remettre de l’humain
dans l’administration , les gens n’en peuvent plus des répondeurs de Pôle
Emploi par exemple, où ils ne sont plus
que des numéros, où ils appuient sur le 1, le 2, puis le 4 etc. Sylvie réclame de
l’administration des pseudonymes
sympathiques : petite biche, lapin amoureux etc. Une idée qui ne
coûte pas cher finalement et qui amuserait tout le monde.
Alors plus utopique,
l’idée d’abolir les frontières et d’avoir tous la même carte d’identité,
celle d’habitant de la terre, et que dans chaque ville française, on
puisse retrouver le monde entier. A Audincourt, nous avons 90 nationalités.
Voilà un aperçu, une
synthèse qui ne rend pas cependant l’immense richesses des débats.
Ce que nous en retenons, c’est qu’il faut instamment confier
des responsabilités aux gens de théâtre, vous avez eu l’exemple de Coluche qui
a montré à quel point nous sommes sérieux tout en pratiquant l’humour. Tous vos conseils
-citoyens vont doucement s’écrouler, parce qu’ils vont être ennuyeux,
l’ennui, bien -sûr qu’il en faut, mais il faut surtout que vous appreniez
à renverser les hiérarchies et prêter plus d’ attention à l’homme ou à la femme
du peuple.
Ces 4 jours d’Aurillac
nous ont paru d’une importance
capitale. Les observateurs
chevronnés ou spécialistes n’ont pas bien senti la dimension épique qui se
jouait-là. Sauf certains experts. Il y a en France un
rejet de la politique des partis, des élections, d’une assemblée qui ne
représente pas la France, mais il y a au sein du peuple un désir profond et
motivé d’étreindre une vraie démocratie spontanée, libre. Les associations, les
organisations, les gens en ont assez de ces vieux en
uniforme, nos politiciens qui ne savent pas parler simplement.
Là, nous avons eu du
jeu, du rire, des poèmes des extraits de discours politiques grandioses. Vous mettez toujours en
avant la lutte contre Le Pen, pour nous, il s’agit d’une lutte de la langue, il
ne faut pas lui laisser le monopole de la langue simple et bien pendue.
Notre Parlement
de Rue avait une vraie langue populaire, cela choquait certains que la
Présidente Provisoire parle dans un argot ‘Célinien”.
Je vous avouerai qu’en
débarquant à Aurillac , on n’en menait pas large. Qui viendrait ? Est ce
que cela intéressait encore quelqu’un ?
Mais c’est cela qui
frappe à Aurillac, ce fut un tsunami de curiosité. Les gens dorment dans
leurs voitures, campent, viennent de toute la France, pour éprouver
l’Art dans sa dimension la moins bourgeoise, ils viennent collecter des
arguments et rassembler des forces pour affronter tous les obstacles de leur
vie quotidienne.
Sur ces paroles
réconfortantes, nous serions rassurés de savoir que cette lettre vous est bien
parvenue, et si en quelques lignes vous pouviez exprimer votre opinion,
ce serait un signe de respect pour les opinions de votre “bas- peuple”
qui n’a qu’un seul but, tenter d’être à vos côtés.
Au nom d’une démocratie retrouvée
Jacques Livchine et
Hervée de Lafond
théâtre de
l’Unité Audincourt
(25)
PS : Nous avons
travaillé aussi en” intelligence collective” sur des propositions concrètes par
rapport à l’afflux de réfugiés ainsi que sur le conflit israélo
-palestinien. Faut que j’en fasse une
synthèse.
COPIE A NOTRE
SENATEUR-MAIRE MARTIAL BOUQUIN
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