Salularue ! Cette fois,je n'ai même pas essayé de faire court... PRODUIT PERFORMANT À FORT POTENTIEL D'EXPLOITATION Par cette formule explicite, plus propre à un cluster de start-up ou à un colloque du Medef, le conseiller artistique de Spectacle Vivant en Bretagne entendait bien parler d'un spectacle. Est-ce être un idéaliste en décomposition avancée que de considérer encore que l'art n'est pas une marchandise ? À côtoyer les institutions, cela ne fait plus de doute : l'art est une marchandise, pas tout à fait une marchandise comme les autres (l'exception culturelle permet de subventionner des « produits » sur le « marché »), mais l'art est en plus une marchandise qui peut rapporter. Remettons dans le contexte. Depuis quelque années la Fédération des Arts de le Rue en Bretagne siège au Conseil d'Orientation et à la Commission d'Attribution des Aides de Spectacle Vivant en Bretagne (« SVB » pour les intimes). Au sein du premier on aborde en 2h30 trois ou quatre questions de fond sur l'orientation de l'agence culturelle régionale, alors que dans la seconde on attribue des aides à la diffusion hors région des compagnies bretonnes, ainsi qu'à la série de productions bretonnes dans des lieux bretons. Voici comment cela fonctionne : les conseillers de SVB rencontrent des compagnies dont les projets sont recevables ou non. Il s'agit de repérer les compagnies « viables » car SVB ne fait pas d'assistance respiratoire, d'acharnement thérapeutique ou d'accouchement au forceps. SVB accentue la sélection dite « naturelle », ce qui est quand même troublant en matière culturelle. Ceux qui sont recevables sont présentés en commission d'attribution avec un avis, favorable ou non ; avis sur lequel les membres de la commission peuvent tenter d'influer. Il n'y a pas de vote, le président de séance s'évertue à dégager un consensus ressenti (très fort le prés'!). Proposer d'accorder une aide qui a initialement un avis défavorable, c'est faire face à des : « attention ce que l'on attribue aujourd'hui, ce sont des aides que l'on ne pourra pas distribuer demain ». Mais la discussion reste ouverte, loin de l'idéal démocratique, mais proche d'une consultation de politesse. J'ai eu bien souvent la sensation que l'assemblée était là, dans sa diversité et assez belle représentativité du terrain, pour légitimer les décisions des conseillers. Bref, le mot d'ordre pour les experts de la commission c'est d'identifier et d'aider convenablement la « bonne équipe avec le bon spectacle au bon endroit et au bon moment ». Sans jamais que soit questionnée la définition de ce qui est bon : nous sommes du métier, c'est nous les experts, on ne va pas nous la faire. Là aussi, on vogue sur la sélection culturelle contre nature. Les compagnies « adoubées » par la commission sont donc des équipes structurées et équilibrées, accompagnées de personnel formé, sérieux et reconnu quant à la production, l'administration et la diffusion. Les spectacles soutenus sont portés par des directeurs artistiques de « qualité » et d'expérience, et accompagnés par des lieux de production de confiance. Le lieu de diffusion concernant la demande est réputé être fréquenté par bon nombre de bons professionnels. Autant dire que si tu veux défendre un soutien pour un duo de théâtre de rue d'une jeune compagnie qui se démerde bien, mais toute seule, sur le off de Grandville, tu es mal barré. Disant cela, je ne jette pas tout. Je me questionne, parfois fortement. Je m'agace, parfois farouchement. « Adoubement » a été cité quatre fois lors la dernière commission… J'enrage, parfois bruyamment. SVB et la commission encourage favorablement les prises de risque artistique, qui ont, très justement, besoin de soutien (gros plateau, forme atypique, distribution internationale…). L'évaluation de l'effet levier, encore difficilement mesurable vu la jeunesse du dispositif, présente selon eux quelques faiblesses de résultats. Aussi, est débattu en Conseil d'Orientation le projet d'une aide complémentaire, sous forme d'avance, sur ces fameux « produits performants à haut potentiel d'exploitation », c'est à dire favoriser la diffusion des spectacles « vache à lait » des compagnies. Spectacles qui leur permettent de marger, de se structurer, d'avoir de l'activité et une économie saine… Et cela s'entend, cela peut s'entendre, cela pourrait s'entendre, si l'on utilisait pas des mots qui écorchent jusqu'au cœur du tympan. Le fait que ça me pique terriblement, ne fait pas de moi un allergique au plan comptable ou à la bonne gestion. Je ne me voile pas la face, je vois bien que nos associations artistiques et culturelles sont des petites entreprises, mais ce sont des fabriques de poésie, de bien commun, de rêve et de bousculade. On ne vend pas de yaourt onctueux 0 % au bifidus avec des arômes naturelles de fruits dénaturés ! À plusieurs reprises, l'année dernière, j'avais pu faire remarquer qu'il me semblait dérangeant d'accorder des aides publiques, parfois conséquentes et salutaires (dans les 20 000€) à des compagnies qui vont jouer à Paris ou en Avignon dans des conditions scandaleuses (sous contrat de co-réalisation sans minimum garanti, avec un partage 40/60 des recettes) dans des théâtres qui n'ont pas à mon sens ni le goût du partage ni le goût du risque et donc encore moins le goût du partage de risque. Il m'était toujours répondu que le rôle de l'aide à la diffusion était d'actionner les leviers qui permettent à un spectacle de s'ouvrir des perspectives et donc, je l'entends bien, de rencontrer des professionnels. Et ils sont où les professionnels ? À Paris et en Avignon, bien sûr. Surtout qu’avec leurs baisses de budget, ils ont moins de sous aussi pour se déplacer. Mais à Paris et en Avignon, ils ne vont pas n'importe où, ils vont dans des endroits repérés, où ils savent qu'il y a une sélection « pro ». Ces mêmes lieux deviennent également « repérés » par les agences culturelles puisqu'ils sont fréquentés par des professionnels, le monde est bien fait. Alors, quand nous avons abordé, lors du dernier Conseil d'Orientation, la question de la distribution d'argent public et du service public, ce fut un festival ! Penser la culture en pensant intérêt général quand on sort d'une discussion sur le « développement de la structuration entrepreneuriale », ce n'est pas gagné, vraiment pas. Le directeur d'un lieu de diffusion et de production affirme qu'il ne faut pas chercher plus à savoir quel lieu joue bien le jeu ou tel autre. Tout ces lieux de cultures forment selon lui un écosystème qui permet d'attribuer des aides les yeux fermés. Un « écosystème » naturellement vertueux, divinement sain, et intrinsèquement d'intérêt général… Pas besoin de vous expliquer pourquoi sur les 252 représentations aidées en 2014 il n'y en avait que 4 en arts de la rue... La mise en œuvre des droits culturels à encore beaucoup de chemin à parcourir… Dans l'agriculture biologique, les paysans s'évertuent à se passer des intermédiaires… Naturellement « rhû !» Bouèb. 18 octobre 2015 |
Attachment:
PPFPE.pdf
Description: Adobe PDF document
Archives gérées par MHonArc 2.6.19+.