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Re : [rue] C'est nous.


Chronologique Discussions 
  • From: lorriaux aléon < >
  • To: Liste Rue < >, Gildas Puget < >
  • Subject: Re : [rue] C'est nous.
  • Date: Wed, 3 Feb 2016 09:10:12 +0000 (UTC)

Salut le " Seigneur du Cosmos " ! j'ai lu avec avidité ce compte rendu
extraordinaire !! de mon coté, j'ai un parcours beaucoup plus simple, ayant
eu toujours un job officiel "à coté " j'ai côtoyé beaucoup d'artistes et de
compagnies, grâce à ma "sublime compagnie de coeur " situé dans l'Oise et un
certain Vincent ! patron de " Cirque " car le théâtre de rue, pour moi, c'est
un sacré cirque !! cirque de la vie avant tout !
Ce monde du spectacle de rue, est formidable, mais combien dur et très dur !
il faut avoir de grosses épaules et un mental à toute épreuve pour " oser "
jouer avec un public ! Dans mon précédent mail sur " clic " je parlais des
festivals, qui sont devenus presque tristes dans certains cas ! d'autres
moins !... Mais ! ça fait marcher le commerce...
J'ai envie aujourd'hui de créer et de jouer encore et encore, car je trouve
ça extra ! mon " Patron " de Cirque a bien réussi à me faire comprendre ce
qu'est "jouer " et j'adore ! c'est comme le vélo !! " on oublie jamais "
Normalement.....
A tous les artistes.
Léon


leon  0612340233

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En date de : Mar 2.2.16, Gildas Puget
< >
a écrit :

Objet: [rue] C'est nous.
À: "Liste Rue"
< >
Date: Mardi 2 février 2016, 11h52

C’était
le début des années 90, notre premier spectacle sortait
tout droit d’une jeune école de cirque, et nous avions
fait très fort pour la com: notre flyer était conçu comme
un tapis rouge enrubanné, qui, libéré, déroulait une
interminable liste de dates qui coupait les jambes à tous
les collègues. Nous en avions une quarantaine rien qu’en
Juillet/Août, et autant l’hiver.25 ans tous les deux, une pratique
sportive quotidienne, une intermittence à 12000 francs, pas
de nana, pas d’enfant, pas de crédit et deux belles
gueules.C’est bien
simple, j’étais solaire. J’éblouissais les
gens. J’avais
l’avenir devant moi et pour un premier spectacle, il
s’annonçait radieux. De l’énergie, des gags en
cascade, un passing en monocycle et du sept torches au
final, on jouait partout, les gens se marraient... on
cartonnait.Bien sûr à
l’époque déjà, des loozers se plaignaient
continuellement du contexte économique à cause duquel ils
galéraient. En 92, Avignon était entièrement annulé. Je
savais bien au fond que s’ils ramaient, c’est que leur
spectacle était mauvais, trop long, pas assez drôle, trop
engagé, mal vendable, ils n’avaient rien compris. Pour
moi tout était clair, c’était une question de survie,
d’instinct. Un spectacle, ça doit se vendre, les
prétentions artistiques, c’est du temps de
perdu. Dans la spirale
de la win d’un spectacle qui tourne, tout vous sourit,
tout, le reste part aux oubliettes, et vous, vous êtes le
roi sur son trône. Le roi-soleil.

Au milieu des années quatre vingt
dix, nous avions eu envie de nous dépasser et de faire
encore plus fort que le premier, et nous avons sorti un
spectacle clownesque. Le clown est un art périlleux, et le
spectacle souffrait d’une certaine instabilité. Nous
avions eu le courage d’essayer d’affiner notre jeu,
j’en étais particulièrement fier, et j’avais le
sentiment de m’être épaissi
professionellement.Parfois
nous atteignions des moments de grâce, et nous touchions au
sublime. Le succès de ce deuxième spectacle valait presque
celui du premier, et les deux cumulés, nous travaillions
comme des dingues, gagnant le respect de nos collègues. Il
fallait aller plus loin.

Fin
quatre vingt dix, après dix années, j’avais acquis une
culture de la question et je baignais alors en conscience
dans le milieu de la rue. Les figures les plus respectées
étaient les grandes formes, les tribus nombreuses qui
transformaient la ville. Les images de Royal de luxe, les
légendes de monstres passés étaient très prégnantes,
car ils étaient là, derrière, juste avant nous, comme
nous indiquant une voie.Ces
gens-là n’avaient pas fait de simples spectacles, ils
avaient créé des événements nouveaux, des rapports
publics inattendus.Ils
n’étaient pas de simples artistes de cabarets, ils
étaient des personnalités, des créateurs. Ils étaient
des artistes.Nous avons
monté une grosse forme, et compris rapidement quels
problèmes cela engendrait. L’aventure en groupe était
grisante, et notre propos contestataire servit sur un mode
plutôt rock’n roll. Nous avions vraiment de la gueule, en
bande, et nous pouvions être fiers de proposer quelque
chose de libre, de poétique et de sauvage, mais les coups
avaient terriblement augmentés. N’était-ce que
cela? Nous ne
tournions pas assez pour assurer l’intermittence à tout
le monde, ce qui nous aurait garanti l’adhésion et la
disponibilité totale d’une tribu, comme nos anciens
avaient pu le faire. 

En 2003, mon collègue lâcha
l’affaire, saoulé par l’intermittence et les conflits
intestins de la compagnie. Et puis nous allions bientôt
avoir quarante ans.Nous tournions beaucoup moins, cherchant
un peu le cachet, mais notre prétention artistique, elle,
avait crû.Jamais nous
n’aurions pu repartir sur du jonglage ou de la clownerie,
nous étions plus politisés, plus responsables. Nous
étions pères, aussi. Alors j’ai tenté un solo de texte,
j’ai voulu dire mon dégoût face à ce siècle qui
commençait si mal, moi qui enfant avais rêvé de l’an
deux mille. L’an deux mille, il faut savoir ce que cela
représentait! Empli
de cette nostalgie, chargé d’un texte engagé, j’ai
sorti ce spectacle sans chercher aucune facilité, sans
chercher à le vendre, plaçant le message avant tout. Ce
fut un fiasco. Je
crois pourtant qu’il était bon, mais la rue voulait des
clowns, des spectacles drôles. Et moi, je voulais de l’art. Des
propositions transversales. J’en avais marre des clowns,
je voulais des artistes.

Fin
deux mille, à quarante sept ans, je pris la décision
d’arrêter de tourner, et de tenter une reconversion. Je
m’inscrivais dans un conseil municipal, je retournais à
l’école pour passer des diplômes valorisants, et
j’essayais de profiter de ma connaissance du milieu
artistique pour trouver un emploi institutionnel dans le
spectacle vivant. J’y parvins, au-delà de mes
espérances.Je montais un
festival d’arts de la rue qui fut un succès foudroyant,
et me retrouvais, comme on le dit dans ce métier,
« programmateur ». Les années passèrent,
jusqu’à aujourd’hui. Des années durant lesquelles
j’ai donné à voir bien des drôleries au public,
toujours satisfait par la légèreté. J’ai même eu le
budget pour quelques grosses formes, qui ont l’avantage de
faire de la presse, à défaut d’être artistiquement
pertinentes. Mais année après année, je maudissais ce
qu'étaient devenus les artistes.Je maudissais cette dilution dans le
vendable, ces solos et duos à répétition, ces spectacles
faciles.Je trouvais que les
artistes ne prenaient plus de risques. J’ai repensé à
mon parcours artistique.

Et
j’ai compris.

A la
dernière édition de mon festival, j’ai embauché un
plateau d’artistes individuellements, mis en scène par
l’un d’eux, pour qu’ils me fassent une création sur
mesure sans aucune contrainte.Ils ont fait une intervention
incroyable, culte, d’une liberté inconcevable.Ceux là même qui présentaient
habituellement des clowneries populaires furent les plus
engagés. Le public a été soufflé par la qualité et
l’unicité de la proposition. Les artistes m’ont couvert
de remerciements pour leur avoir fait ce cadeau.Ca m’est venu comme une
évidence. Tous ces
artistes cherchent à survivre. D’autres chemins les
mèneraient à s’éteindre, comme je me suis éteint
autrefois. Ils sont des oiseaux étranges, mais ils volent
dans le ciel de notre temps.Ce ne sont pas eux qui initient la
liberté artistique. 
C’est nous.








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  • Re : [rue] C'est nous., lorriaux aléon, 03/02/2016

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