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[rue] Faut il jouer à Calais ?


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  • From: Raymond GABRIEL < >
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  • Subject: [rue] Faut il jouer à Calais ?
  • Date: Mon, 21 Mar 2016 16:25:34 +0100

Faut-il venir jouer à Calais ?
Je me demandais s’il était opportun de venir parler sur cette liste de la semaine passée par Les Commandos Percu à Calais, lorsque je me suis souvenu du débat tout-pourri initié par M.Tontonballon au sujet des villes FN qui, à en juger par la véhémence des réactions, sont devenues infréquentables. Sur le moment je n’avais pas réagi, même si ça m’inspirait quelques réflexions métaphysiques à propos de mon métier d’artiste. Il est vrai que quand je joue quelque part devant (forcément) le public, il m’arrive, au moment du salut, de me demander : parmi tous ces gens qui applaudissent, combien de chasseurs, combien de notaires véreux, combien de catholiques intégristes, combien d’experts-Drac encartés PS, bref rien que des gens que je n’aime pas et ce de façon aussi peu objective que non-exhaustive. De là à me demander si j’accepterais de jouer ou pas dans une ville stigmatisée FN me pose un problème sociologico-statistico-philosophique : cette ville est-elle à 100% FN, ce qui, à part quelque village alsacien perdu me parait peu probable ? Autrement dit, puisque je joue pour « les autres », comment savoir si leur proportion est acceptable ?
Faut-il venir jouer à Calais, donc ? Pour avoir côtoyé quelques calaisiens aux lèvres pincées dès que le problème des migrants était évoqué, essuyé quelques doigts d’honneur pour les raisons expliquées plus bas, pour m’être fait peur à lire les commentaires sur la page Facebook « Calais Libre », je devrais normalement avoir le réflexe d’ajouter les quelque 36000 signataires de cette abjection à la liste des gens que je n’aime pas, et donc refuser de jouer à Calais, non ? Bon, remarquez, ça ne risque pas d’arriver : le patron du tout-puissant Channel ne nous aime pas (parce qu’on porte un vilain nom, nous autres Commandos, ça ne s’invente pas c’est lui qui me l’a dit) mais comme son influence à notre égard est inversement proportionnelle au carré de la distance qui nous sépare de Calais, ça laisse de la marge sur le territoire national et ailleurs. On voudra bien noter que je n’ai pas ourdi ce commentaire en vue de l’écorcher au passage. Des membres des Brigades initiées par nos amis de l’Unité qui travaillent au Channel nous ont dit tout le bien de l’action pro-migrants qui y est menée.
Et puis l’ailleurs, nous l’avons trouvé pas loin de Calais, au bord de sa Rocade-Est. Ce fut une expérience forte et émouvante que de se glisser une semaine dans la jungle. Il y a des gens qui disent que ce n’est pas bien de dire « la jungle » parce qu’il s’en dégage une image de sauvagerie barbare. Moi j’aime bien, parce qu’à la vérité ce sont les premiers migrants qui nommaient ce lieu « jangal » qui signifie forêt (ou ce qu’il en reste), et que j’aime la forêt. Et puis, pour ce qui est de la sauvagerie barbare, il me semble que le monde entier est une jungle. Là aussi, en écoutant les applaudissements des migrants, je me suis demandé lequel avait tenté de nous piquer le téléphone, s’il y avait parmi eux des infiltrés de Daesh, s’il y avait des passeurs véreux qui extorquent leur dernier argent aux malheureux. Mais il y avait aussi ces visages souriants rougis par le froid qui dépassaient des capuches, ces cris de joie, ces types qui dansaient comme des dieux, ces enfants ébahis dont c’était probablement le premier spectacle.
C’est vous dire si définitivement nous jouons pour tout le monde. Sauf pour les experts-Drac.

Alors si vous avez un peu de temps de compassion disponible, si cette situation vous révolte parfois, si vous pouvez adapter votre expérience de la rue, prenez des bottes, comme me disait Hervée De Lafond, allez-y, foncez. Prenez des contacts, organisez un convoyage de dons pour remplir votre camion, passez donner un coup de main à l’Auberge des Migrants, jouez votre spectacle, préparez-vous à vivre quelque chose de fort.

Alors, on peut jouer à Calais ? Oui !

 

Raymond Gabriel

Les Commandos Percu, mars 2016

 

(Pour ceux qui ont un peu de temps, ci-dessous le journal de cette aventure publié au jour le jour sur Facebook.)

 

Calais sur jungle, lundi : l’Auberge des Migrants nous accueille pour la livraison des dons. Dès le matin c’est une fourmilière de gens qui s’activent pour réceptionner, trier, préparer des repas.

Un immense container déborde des saloperies rejetées par le tri. Le ballet des camions est incessant, l’entrepôt est immense, c’est un imbroglio d’espaces où s’entassent des milliers de mètres cubes de bouffe, de vêtements. Tout est étiqueté en anglais. Nous regardons passer le groupe électrogène que nous avons amené, les colis de vêtements volent sur une montagne qui sera triée plus tard, on épluche des oignons sur fond de Coltrane. Tous ces gens, des bénévoles, se montrent accueillants, en majorité de jeunes anglais.

A la pause de 11 heures, nous déballons nos instruments pour un petit concert surprise en traversant les cuisines et le stock. Puis nous nous rendons enfin à la jungle. La zone sud n’est plus qu’un immense champ de bataille de désolation : tout a été rasé, ça ressemble à une décharge qui aurait été passée au bulldozer. Quelques réfugiés y cherchent encore des planches pas trop brûlées, des camionnettes de CRS sont garées en ligne. De temps à autre, on croise un groupe avec boucliers et tenues de combat, je crois qu’ils sont censés sécuriser la zone, ou se dégourdir les jambes, rien de plus. La zone nord, c’est autre chose : une nuée de cabanes de fortune, des tentes, de la bâche clouée. Il y a une « rue » centrale qui serpente entre les flaques, avec des échoppes, des restaurants de fortune. Il y a de pauvres groupes électrogènes qui tournent, en entend des marteaux qui enfoncent des clous. Le bricolage est roi, il y a le savoir-faire de gens du monde entier qui savent se démerder. Partout on croise des gens, des hommes en majorité, mais aussi des femmes et des enfants qui vont et viennent avec des colis et des sacs-repas, tout le monde nous dit bonjour, aucune agressivité, des sourires, quelques mots échangés. On se retrouve à l’extrémité de la zone nord où sont logées des femmes enceintes, 150 je crois, dans des bungalows aménagés et sécurisés, non loin du lieu où 2500 repas sont distribués chaque jour. On y improvise un atelier de percussions avec des enfants dont on ne sait même pas de quel pays ils viennent. Certains sont très doués. Les hommes regardent à travers le grillage en souriant. Entre les associations privées et les services officiels, ça fait du monde pour s’occuper de tous ces gens. Tout le monde tient le même discours : on répond à une situation d’urgence, c’est tout. Les politiques ? Ils passent de temps en temps, on décide d’aménager des tentes qui ont coûté une fortune et qui ne servent à rien. Il y a aussi une zone aménagée avec des containers habitables, le tout grillagé avec un portillon à reconnaissance digitale. Méfiance des réfugiés. Combien ça a coûté ? Est-ce vraiment la réponse à une situation d’urgence ?

Bon, on rentre au gîte loué pour la semaine dans l’arrière-pays, près de la côte d’Opale. C’est clean, il fait bien chaud, ça fait drôle.

La suite demain !

 

Calais la jungle, mardi. Quel foutoir. La limite entre la zone sud, dévastée, et la zone nord avec ses campements de fortune, nous montre que tout est provisoire, rien ne dure. On ne sait pas si quelqu’un décide de quoi que ce soit. Est-ce ainsi dans le monde entier ? Chacun se débrouille. Des CRS impavides, par groupes de 6, surveillent les tractopelles qui finissent de détruire une partie du campement. La route qui conduit à la zone nord est en train d’être goudronnée, nul ne sait pourquoi : tout est bloqué. Il faut contourner, marcher dans un mélange de gravier et de sable, là une chaussette, là un ouvre boite, des hardes chiffonnées, l’odeur âcre de trucs qui ont brulé. Un camion d’une entreprise locale, des réfugiés encapuchonnés qui marchent, des CRS encore, pas méchants, qui nous prennent en photo avec un petit sourire alors que nous improvisons un moment de percussions au bord de la route bloquée. Il n’y a rien à comprendre, rien à juger. Au milieu de la zone rasée, une cabane intacte qui se révèle être un lieu de culte quand ce n’est pas un dortoir. Des Soudanais nous offrent le thé, ils nettoient la petite table, lavent les verres, alimentent le feu avec des bouts de palette, on est en Afrique. Depuis combien de temps tu es là ? Quatre mois. Tu veux aller en Angleterre ? Oui, ma famille m’attend. Un vieux tousse, il se plaint. On sort quelques Doliprane, mieux que rien. Demain on leur apporte du sucre, on a envie d’être leurs amis. A midi on décide de se restaurer dans la jungle. Très bon choix chez les Afghans, pour trois fois rien, un pain délicieux cuit sur place, et toujours cette gentillesse. Des dizaines de gars sont assis devant un thé à recharger leurs portables. On retrouve les enfants de la zone Nord dans le quartier des femmes. On a quelques jouets pour les tous petits. Des sourires encore. Juste avant, on se fait assiéger nos percussions par un groupe de jeunes hilares. Ils sont Syriens, Egyptiens, Irakiens, Erythréens. Pas une once d’agressivité. Parfois je pense à tout ce qu’on raconte sur les migrants, à tout ce que j’ai entendu avant de venir. Il fait froid. On repasse près des soudanais. Le vieux qui tousse a l’œil plus vif, il nous fait signe, merci, quoi. On croise un tas de gens, des associations, des journalistes, des anonymes français et anglais qui sont venus avec leur voiture jusque dans la jungle pour donner des choses, habits, nourriture. Un peu plus tôt, à l’école (un baraquement de bâches, comme tout le reste !), on assiste à un cours de français, les réfugiés s’appliquent, ils sont touchants.

A demain !

 

Calais. Mercredi, c’est jungle aussi. Un vent glacial souffle, il ne pleut pas, c’est toujours ça. Ce matin on se retrouve « embauchés » à charrier des pierres concassées livrées à l’entrée de l’école de la jungle pour répartir tout ça dans la cour. Il y a une brouette qui a perdu son pneu qu’il faut tirer avec une ficelle, des pelles, des cagettes en plastique. On racle, on trébuche, on charrie, c’est fait. A 150 m de là le manège des tractopelles destructeurs se rapprochent dangereusement du campement des soudanais rencontrés la veille. Le vieux qui toussait hier est prostré, pieds nus, accroupi, il ne répond plus. Quelqu’un a tagué « Vinci dégage » sur la belle route goudronnée la veille. Il y a du pognon à se faire sur le dos des migrants ? Gros succès avec notre intervention percussive à travers toute la zone Nord. C’est vraiment une surprise dans le quotidien de la jungle. Tout le monde sort des échoppes et des cabanes, on nous suit en dansant, jusqu’au bout. Des jeunes syriens veulent essayer nos instruments. Ils nous expliquent que presque tous les soirs ils y vont : tenter de traverser les grillages et les barbelés, échapper à la vigilance de la police, tenter d’entrer dans un camion en partance pour l’Angleterre, revenir, se débrouiller encore au jour le jour. Il y a quelque chose qui nous frappe tous : ces jeunes arabes, bien vivants, déconneurs, qui parlent fort, ressemblent en bien des points à la « racaille » de nos cités françaises. On est bien placés pour en parler puisque nous avons animé des dizaines d’ateliers avec les Commandos Percu où nous avons affronté ce genre de situation. Ici, leur comportement n’a rien à voir. Ils sont gentils, ils nous rendent les baguettes, ils veulent nous serrer la main, ils nous disent « welcome », un comble ! C’est un cliché qui saute pour ceux qui pensent que ces migrants sont à l’image des insolents déboussolés que nous connaissons. « Vous n’avez pas trop froid, la nuit ? » « Si, bien sûr, mais ici on n’entend pas les balles qui sifflent ». Partout aux abords, sur la rocade, près des zones d’embarquement, des camionnettes de CRS, figurants de cette incroyable comédie.

A demain !

 

Calais, jeudi sur jungle. L’Auberge des Migrants n’a rien d’une auberge. Des entrepôts quelque part dans l’immense zone industrielle de Calais. On a envie d’en savoir plus. Qui, quoi, pourquoi, comment ? Certains week end, ils sont 200 à venir aider, parfois beaucoup moins. Il y a des bénévoles qui restent un jour, ou quatre mois et qui partent quand ils sont fauchés. Il y a une logistique d’enfer, pour trier, préparer des repas, expédier tout ça à Calais ou à « Dunkirk ». Toutes les étiquettes sont en anglais. En dehors des dons en objets, il leur faut des sous : payer le loyer de l’entrepot loué à un privé, l’essence des véhicules, l’électricité. Si vous pouvez, faites un don en argent, ces gens-là sont sincères, ils sont entrés dans l’Histoire, il n’y a pas à en douter ! http://www.laubergedesmigrants.fr/nous-contacter/

On déjeune appuyés sur des palettes de boites de conserve. On s’est portés volontaires pour aider à la découpe du bois, d’autres à la cuisine. Haches, tronçonneuse, immenses bags de palettes découpées qui sont livrées tous les jours dans la jungle pour faire du feu. N’importe qui peut venir, pour trier, ranger, éplucher 100 kg d’aubergines, même si c’est une heure ou deux. On passe chez un calaisien pour récupérer des colis à livrer à Toulouse. Il sait que nous sommes avec les migrants. Regard pincé. Les plus folles rumeurs courent à leur sujet. Non, les migrants n’envahissent pas Calais comme des sauvages, les migrants veulent partir ! Pas besoin d’aller bien loin sur facebook pour trouver des commentaires haineux ou juste imbéciles. Entendu à la radio ce représentant des commerçants qui déplore la présence des migrants pour expliquer la dèche qui règne à Calais. Ils ont bons dos. Calais est une ville sinistrée comme des milliers d’autres en France. En attendant, à voir le nombre de véhicules d’entreprises du coin qui ont des marchés pour nettoyer, pomper la merde, livrer des repas, détruire des campements, loger des centaines de CRS à l’ISIS Hôtel de Calais, les Aldi et Lidl qui alimentent, il y a de l’activité économique sur la jungle de Calais ! Tiens, une calaisienne a réagi à un de nos précédents billets, elle ne savait pas, elle est touchée, petite victoire du jour. Dans la jungle on continue de croiser des gens qui sont venus pour apporter des choses. Il y a aussi des curieux et des photographes en quête du bon cliché à vendre aux médias. Ce matin, plein de CRS un peu partout : une délégation de politiques passe dans la zone nord. Un type avec un gilet fluo orange qui garde l’accès au parking sécurisé regarde notre camion et dit à son collègue : « c’est qui eux ? » « oh, c’est médecins du monde ! ». On passe. Demain, on part à Grande Synthe à 40 km de là. Il parait que le maire est un type exemplaire qui a monté un camp contre l’avis de ses pairs. On espère bien finir notre périple avec un concert nocturne dans la jungle de Calais. A chaque passage, c’est trop bien tous ces sourires !

 

Vendredi, drums in the jungle. Grande Synthe, à 40 km de Calais, près de Dunkerque. Un camp structuré, nettoyé, avec beaucoup de Kurdes logés dans des cabanes en bois recouvertes de tôle, il y a une rue principale, les logements sont numérotés, il y a des poubelles partout, des volontaires qui ramassent le peu qui traîne, des lieux de vie en construction. Dès l’entrée on sent une volonté d’organisation et de propreté qui contraste beaucoup avec la jungle de Calais. Il n’empêche : c’est un camp de réfugiés, ils ne sont pas là pour rester, il y a un rêve derrière chaque visage croisé, on se réchauffe avec des morceaux de bois mouillés dans des braséros à base de jantes soudées, des dizaines de prises servent à recharger une noria de téléphones. Où sont les femmes ? Sous la grande halle où nous faisons un final triomphal après avoir traversé le camp entourés d’hommes et d’enfants, ce constat : les femmes sont exclues. Bien sûr, elles sont là, même si les hommes sont majoritaires dans cette population de réfugiés, mais elles restent cantonnées dans leurs cabanes. Un grand gaillard engueule Lisa, notre administratrice, en lui faisant signe de dégager, juste parce que c’est une femme ? Parmi les visiteurs venus apporter des dons et les volontaires, toujours beaucoup d’anglais, des belges, des français. Un traveler anglais arrête son camion tout pourri pour nous féliciter. « We need more french people ! ». Retour à Calais. L’accès est barré par des motards, va savoir pourquoi. Un peu partout, des gyrophares bleus, pour la dramaturgie. Détour. A la limite de la zone nord, on ouvre le camion dans un décor de guerre pour décharger nos instruments. Un gars bien gentil nous tape une cigarette, il nous serre un peu trop, un cri jaillit : mon téléphone ! Course-poursuite de quelques minutes dans la jungle. Le fautif a refilé son larcin à un petit qui se fait engueuler à sa place. La vingtaine de gars qui nous entourent désapprouvent, l’un deux me résume la situation en un mot : « jungle ». On fait une intervention d’enfer à travers les « rues » sous une pluie fine. Dès les premières notes, ça danse, ça crie, on se sent apprivoisés, reconnus. On reconnait des visages, ils nous serrent la main, on baragouine en anglais, on se fait inviter à boire le thé devant un bidon crevé où brûlent des planches, une casserole d’oignons posée en équilibre. Ils essuient les vielles chaises trempées pour nous faire assoir. J’aperçois l’intérieur d’une cabane couverte de bâches. Le foutoir habituel : couvertures, vêtements roulés en boules, pauvres chaussures posées devant. Il pleut. « Tomorrow again ! »

 

Samedi, last gig in the jungle. Costumés, maquillés, tous feux allumés, on avance avec nos rythmes, à la tombée de la nuit, entourés, pressés de toutes parts. Un type s’avance vers nous, une masse à la main, mais il rigole et s’éloigne en dansant. Tout à coup, on nous arrête, on nous fait des signes, c’est l’heure de la prière. Break de quelques minutes, et ça repart. C’est bien la première fois qu’on est interrompus par un impératif religieux, mais c’est sans appel ! Est-ce qu’on est des gens bien ? Avant de venir ici, on s’est posé des questions, au-delà de l’envie de se mobiliser. Quelqu’un nous a rassurés en nous expliquant que faire quelque chose de bien et en éprouver du plaisir est tout à fait légitime. Une dernière matinée à l’Auberge des Migrants nous rend définitivement modestes devant la générosité des « volunteers ». On nous a parlé d’un gars qui a claqué 9000 euros dans cette aventure où les conditions sont dures et inconfortables. Ici, on est payé avec des sourires. Le Figaro déplore ce que coûtent les CRS logés à l’hôtel pendant qu’ici on grelotte. La page « Calais libre » de Facebook qui  a plus de 30 000 like, soit plus que la population de la ville, déverse sa haine des migrants et des « no borders » qui, c’est sûr, ont décidé d’utiliser la jungle pour faire exploser la civilisation. On ne les juge plus, ces gens. Quelqu’un a écrit « Si vous prenez ces gens pour du bétail, n’oubliez pas que vous faites partie d’un autre troupeau ». C’est tellement vrai ! Nous ce qu’on a vu c’est des gens qui épluchent des dizaines de kg d’oignons, font des vaisselles astronomiques, déchargent des camions de dons, coupent du petit bois pour les feux de la jungle, trient des montagnes de fringues. Un travail de héros anonyme qui n’aura pas de légion d’honneur. Juste quelques mots d’encouragements partagés. Ce qu’on a vu c’est des êtres humains qui ont froid et faim, qui n’ont que faire de nous envahir et auraient préféré vivre chez eux avec leurs repères et leurs cultures, qui poursuivent un rêve en fuyant un cauchemar. Sinon, à quoi bon venir dans cet enfer, entourés de barbelés et de gyrophares ? Et, à la question « si je vois un humain dans le fossé, est-ce que je m’arrête ? », nous avons définitivement la réponse. Merci à ceux qui nous ont aidés, encouragés, soutenus, amis comme anonymes. Merci à ceux qui nous ont accueillis. Merci aux migrants qui nous ont montré qu’il existe, à travers toutes les races et cultures, un langage commun, et parfois, à travers les tambours, une musique qui parle à tous les ventres.

Bye bye jungle !

Les Commandos Percu, mars 2016.

 

 

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