Aurillac
Cette année j’y étais en vrai touriste
avec la tenue adaptée
nu-pieds,
pantalon un peu troué
tee shirt tâché
Les deux programmes à la main
le IN, petit
le Off pas si épais que ça pour 630 compagnies, bien foutu t’as les 4 jours d’un coup,
t’as heure par heure
lieu par lieu
compagnie par compagnie
plan avec au moins 50 pastilles
Ah tu ne chômes pas
tu marches tu marches tu marches
tu cherches tu cherches
tout le monde marche
tu vas voir un truc côté St géraud
puis tu repars vers la montade
puis tu prends la navette pour Marmiers
il y a plusieurs couches de public
en bas de l’échelle les intouchables avec leurs chiens
moi qui suis spécialiste des chiens, je peux te dire que leurs chiens sont hyper éduqués
hyper heureux
ils ne se bagarrent pas ,
si les maîtres sont asociaux, les chiens  sont civilisés,
et puis ces jeunes ils ne partent pas de chez eux en laissant leur chien attaché
avec de la nourriture pour 15 jours

C’est le festival du mollet,
tout le monde a les mollets à l’air
on voit ceux qui font du sport
et les petits rachitiques
Il n’y a pas la moindre cravate
même le maire, c’est la chemise
le cher directeur  Songy achète ses chemises chez Coton Doux
comme celui de Chalon
et comme moi d’ailleurs
ça te fait un côté original et classe.
Il me demande très inquiet,  si j’ai la même que lui

alors il y a les gens d’Aurillac,
j’en ai rencontré 2 ,
des vrais gens
il y en a  1 qui m’interpelle et qui me dit
salut l’Unité , ah la 2CV, le femme chapiteau, le mariage
il a une soixantaine d’années
il a tout vu depuis 86
il me rappelle même un endroit où j’avais joué un cabinet de curiosité
et moi j’avais oublié
il y avait des fesses nues me rappelle t-il
trop bien
il y a des femmes beaucoup de femmes
elles vont par deux ou trois elles ont la cinquantaine
le pliant acheté à 4,99 € chez Décathlon à la main
il y a les poussettes
quantité de poussettes
elles prennent la navette bondée, on se prend les pieds dedans
parfois l’enfant est même dedans
quantité d’enfants,
ils  commentent les spectacles
il y en avait un à la pièce des fantômes  zéro avril du In
sa mère voulait partir et lui il adorait
et puis leurs commentaires sont justes
pourquoi maman ils sont nus ?
bonne question, parce qu’il n’y avait pas nécessité
mais quatre bites, c’est bien pour les enfants, ils se régalent

il y a les pros, et leur moue de précieux dégoûtés,
ils ont un repère
ce n’est plus Jules ferry c’est l’école de la rue  Rames
lieu sympa,
On nous sert  même des tapenades  pour l’apéro
trop bien

Et puis il y a les absents,
tous les grands critiques d’Avignon ne viendraient ici pour rien au Monde
on envoie les stagiaires
ici on est assis par terre, il n’y a pas d e places réservées
ah si il  y a 4 ou 5 spectacles du IN à 15 €
j’ai pas de places, c’est complet
y en qu’un où j’ai un peu forcé la porte
C’est trop bon, rentrer sans avoir de place
quand c’est trop facile ce n’est pas drôle
je n’ai même pas regretté d’avoir un  peu resquillé



Y a pas la jeunesse des quartiers
sauf Dorifane qui doit avoir une grand mère tunisienne
zéro représentant de la première deuxième troisième quatrième génération
c’est un festival des français blancs
les 13 fichiers S d’Aurillac devaient être coincés chez eux par la brigade sentinelle vigipirate

même pas d’Antillais,  juste quelques français du Sud marseillais
un black de la sierra léone qui chantait aux terrasses, pas mal d’ailleurs

L’establishment du théâtre institutionnel n’envoie personne
C’est du bas de gamme pour eux,
c’est trop populaire donc populiste  comme ils disent

Le ministère de la Cuture a envoyé Alain Neddam son inspecteur.



j’assiste à une magnifique réunion  privée des CNARS invités par Jean Marie pour apporter un peu de sous aux coproductions  2017 ou 12018
4 compagnies, top secret, je n’ai pas le droit de dévoiler les noms , je n’ai même pas le droit de raconter, je m’en fous
Trop bien
le premier  créateur fait son topo, on lui demande combien tu veux, il se tourne vers son administratrice :
650 000 €
ça a l’air normal, il a une jauge de 3000 personnes
L’autre très modeste, 186 000
Le troisième est magnifique, il est animé d’une telle foi que j’ai envie de lui dire, la description est si convaincante que c’est ça ton spectacle va pas plus loin
le festival apporte sur la table des vins fins et des plats délicieux
ils discutent d’un sujet brûlant
sachant que les premières de théâtre de rue sont toujours ratées, qui voudrait prendre la première ?
Aucune main ne se lève.
Eh les mecs,  s’exclame un des Cnars , faudra bien commencer quelque part, pas chez moi disent -ils tous en choeur.
J’adore j’adore

l’inauguration,  bien ratée, c’est la loi du genre,
le public hurle en cadence : on veut du cul on veut du cul
Le maire et un autre parlent 19 secondes.
Mais il le faut ce rituel
Deux acteurs du IN sont envoyés à l’abattoir


Restaurant place  de l’hôtel de ville . débordé. 1 H 30 avant le premier plat.
On parle à perte de vue.

Je suis dans une humeur positive.
J’ai joué l’an dernier,
je ne suis donc pas envieux de ceux qui sont dans le IN
je trouve l’atmosphère incroyable
tous ces gens qui campent n’importe où, il y en a partout
ceux qui dorment dans leur voiture
il en faut de la ferveur
Mais bien sûr c’est mieux qu’Avignon
personne n’est carriériste ici,

je ne vais voir que des gens que j’aime bien dans la vie,
mais je ne vais pas m’amuser à distribuer des prix

T’as vu quoi de bien ?
ah non je ne te répondrai pas,
non on n ’a pas les mêmes goûts, toi t’aimes les solos de clown tu m’en conseilles, je n’irai pas,,je n’aime pas les solos, encore moins de clown



J’ai vu

1-  1 refus net de  théâtre. un solo, mais j’étais obligé, je la connaissais trop bien. Obligé de lui dire la vérité, jette tout et recommence c’est mon conseil.
2-  Encore du démontage de théâtre, décousu, bizarre, décoiffant, mais trop ébouriffé pour adhérer à fond
3- un entresort bluffant avec de la magie. 5 minutes, 3 personnes. Ça me rappelle la 2CV théâtre, je refuse de serrer la main de l’acteur, trop poilu.  Ils te laissent un belle photo à la fin
4 -  Une promenade bizarre le matin, un par un, on colle sa tête aux murs qui parlent. IL n’y avait pas besoin de Melquiot pour ça, mais Melquiot, ça calme le ministère. Melquiot c’est un auteur qui a la côte d’un auteur
5- une chorégraphie qui me décourage
6- une émission de radio, qui m’énerve un peu, mais au café discussion passionnante sur la gratuité avec une fille du nom de Vanessa une flèche d’intelligence.
7- Un début magnifique, un milieu un peu mou, une fin assez réussie. Aucun mot, une belle musique inventée en direct. Catégorie danse.  Je l’avais repérée à la FAIAR la conceptrice
8- Un échassier à ressort plein de feu derrière une grosse boule avec du son. Off Off  rue des carmes
9 - Une petite émotion, avec du texte il faut le dire, une belle petite bande, ils avaient répété chez nous.  C’est politique au bon sens du terme et complexe.  Un petit frisson, ça vaut cher.
10-  Une fille de la FAIAR sur laquelle j’ai parié, elle arrive trop tôt dans le IN. Catégorie rater mieux, ou échec qui ouvre l’appétit.  Pas du tout désespérant. Et pas de salut à la fin, ça me plait, j’en ai marre des saluts où je suis obligé d’applaudir par politesse.
11-  Je me laisse embarquer sur plus de 15 kms, moi qui aime être étonné, je le suis, je ne savais pas de quoi il retournait,  je suis époustouflé.
12- Eux ils en sont à leur vingtième Aurillac au moins, tout le monde les attend, au moins 1000 personnes une heure avant.  Ils ont progressé en dramaturgie, et en technique ils restent toujours formidables  et stupéfient le public et même moi, vieux racorni, par 50 années de théâtre

13 - le off du off . les barrières arrachées, des grenades par dessus les toits, tout le monde fuit, une barricade, un feu.  On en a marre d’être enfermé c’est sûr. Personne ne sait qui a commencé, la compagnie des CRS assure au niveau costumes, gueules bien fermées, joie de frapper.
J’ai les yeux rouges de gaz, c’est le théâtre de la vie, tu éprouves de vraies sensations de jouissance de  voir que tout Aurillac s’ouvre d’un seul coup. Plus de fouilles du tout ce soir là.

14- des tas de parades, parfois pas mal, des musiciens parfois pas mal, des images à chaque coin de rue. Des milliers de visages;


Et voilà, tu prends des sensations de la nourriture pour ton âme, ça fait sens  comme on dit, ça fait du bien aux neurones, t’es au milieu de 40 000 personnes, c’est agréable, tu parles à plein de monde, c’est bon pour la santé.
On peut négativiser, oui, mais moi coup là je suis d’une humeur bienveillante. J’ai l’impression de vivre tout simplement.

Mais bien entendu le contraire est vrai aussi.


Jacques livchine
Metteur en songes
Plus vieil acteur de rue encore en exercice et donc vivant.













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