Liste arts de la rue

Archives de la liste Aide


[rue] (Fiction) - Nos belles idées -


Chronologique Discussions 
  • From: Gildas Puget < >
  • To: Liste Rue < >
  • Subject: [rue] (Fiction) - Nos belles idées -
  • Date: Tue, 13 Dec 2016 12:59:52 +0100

Il faisait froid comme dans une fièvre, et le brouillard collait à la ville.
Deux étages de marches en mosaïque, il n'avait jamais aimé cet escalier, les
pas qui claquent au sol, les graviers qui raclent et crissent.
Quand Brendan tourna la clef dans un bruit pénitentiaire, il réalisa vraiment
que cette fois, c'était cuit. Ils avaient annulé le festival.

20 ans que cela durait, 20 ans que cet événement enchantait le centre bourg,
et c'était sa respiration. Mais un employé communal comme lui, cela restait
avant tout... un employé.
Il se servit un grand verre de blanc. Un beau verre, pour fêter un beau
gâchis.
A peine croyable. Tu assistes à un seul conseil municipal et tu as compris
l'ambiance.
Autour de la longue table en merisier ciré s'alignaient les locaux,
virulents, ambitieux, bornés, malpolis.
Qui sont-ils, pour prendre une décision pareille? Comment le fait de s'être
cachés derrière une liste leur permet-il d'avoir un tel pouvoir?
Mais voilà, nouvelle équipe, nouveau projet, on fait table rase du passé, et
on dégage 20 ans de travail en une réunion.
Les institutions des arts de la rue sont à ce point fragiles qu'on peut les
éliminer en une seule discussion.
Aurait-on possibilité de raser le vieux cinéma pourri qui survivait
difficilement? Le festival, oui. Et la partie la plus intéressante de son
poste avec.
Quant à ce que ferait le comité des fêtes à la place, il en ricanait d'avance…

Solenn frappa à la porte. C'était la voisine d'en face, une comédienne, et
une vraie amie.
Quand il l'ouvrit, elle souriait tristement et tenait une bouteille de blanc
et deux verres dans les mains. Elle le connaissait bien.

-Alors, bonne nouvelle ou mauvaise nouvelle?
-C'est cuit, ils annulent le festival, purement et simplement.
Elle ne se démonta pas.
-Bon, hé bien ça s'arrose, non?
-Carrément, rentre…

Elle s'assit dans le petit salon, tandis qu'il ramenait de la grignotte sur
la table basse.

-Et toi alors, la compagnie, vous en êtes où?
-Ben… toujours ces problèmes pas très clairs. Tu sais, c'est pas évident ces
histoires de prête-nom. On a le cul entre deux chaises entre gérer la
compagnie, et faire semblant d'être une association. On se tape tout dans les
clous comme il faut en cas de contrôle, mais du coup avec ces simulacres
d'ag, avec ces conneries de rapport moral et tout, il y en a qui se prennent
pour Super 1901, surtout dans les bénévoles qu'on a fait avec la dernière
soirée...
-Ha ouais, le coup de l'adhésion dans le prix d'entrée?
-Ouais pour l'assurance. Une belle connerie, maintenant, on est je ne sais
pas combien là-dedans, et il y en a qui donnent leur avis sur tout, merde,
c'est ma compagnie quand même!

Ils trinquèrent et s'installèrent dans un silence agréable.
Leur complicité le permettait, et c'était savoureux.

Brendan resservit un verre et soupira.
- Ce festival il était génial, c'est une misère que ça disparaisse comme ça,
on aurait mieux fait de créer une structure je sais pas moi, une scoop, ça
aurait été bien moins fragile, et bien plus clair.
- Ben je me dis pareil pour la compagnie, mais bon, les subventions, quoi…
- T'en touches beaucoup des subventions, toi? Tu trouves que le jeu en vaut
la chandelle? Et pour le festival tu parles, les gens ils trouvaient ça
presque louche que ce soit gratuit. Du coup ils se disaient que c'était de
l'argent public gâché, c'est pour ça que ça a disparu. Les temps ont changé.
Les gens maintenant ils sont d'accord pour payer. Et cher en plus, sinon ils
craignent que ce soit nul. Regarde dans le département t'en as plein des
festivals payants, ben je peux te dire qu'ils remplissent!
-Carrément. Tu poses 10 barrières vauban, tu fais une entrée à 10 euros, et
tu encaisses largement le budget que la ville donnait, avec le monde qu'il y
a!
-Ouais. Je crois que c'est fini le temps des subventions, le monde change, la
façon dont les gens perçoivent l'accès à la culture aussi. C'est fini les
démocratisations culturelles et consorts, on est à l'âge du crowdfunding, et
du mécénat…
- T'as raison. D'ailleurs tout le monde s'y met, je ne sais pas combien de
compagnie font des crowdfunding pour leur nouvelle créas… même les festivals
en font, maintenant!
-Ouaip, hé ben ils ont bien raison.

Solenn remplit les verres et afficha un sourire désabusé.
-Ils ont fini par les avoir, nos belles idées de gauche, non?
-Tu sais, quand je vois la gauche aujourd'hui, je crois que l'évolution est
tout à fait cohérente, en terme de projet de société.

Ils trinquèrent, et le son cristallin mourut aussi vite que leurs illusions
perdues.









  • [rue] (Fiction) - Nos belles idées -, Gildas Puget, 13/12/2016

Archives gérées par MHonArc 2.6.19+.

Top of page