Liste arts de la rue

Archives de la liste Aide


[rue] 2017, attendu au tournant - par Anne Gonon


Chronologique Discussions 
  • From: Pascal Eyssette < >
  • To: " " < >
  • Subject: [rue] 2017, attendu au tournant - par Anne Gonon
  • Date: Wed, 8 Feb 2017 07:55:02 +0000 (UTC)

Je poste ici un article d'Anne Gonon, publié sur le site de L'Observatoire des politiques culturelles.

Bonne lecture,

Pascal


2017, attendu au tournant

Anne Gonon
Spécialiste des pratiques artistiques dans l'espace public et de leur réception, elle anime le blog www.lasentinelle.eu

Il y a deux ans, en janvier, ma première tribune publiée en ligne appelait à rien de moins qu’une « révolution copernicienne ». Il s’agissait d’encourager tous les acteurs œuvrant dans et en faveur de l’espace public à favoriser la transversalité et le décloisonnement. Aménageurs, urbanistes, agents des collectivités, architectes et artistes intervenant hors les murs ont toute légitimité à collaborer, croiser leurs points de vue et leurs expertises pour penser ensemble la fabrique de la ville et de ses espaces communs, des espaces du commun. En dépit de quelques réussites locales, la révolution copernicienne n’a pas eu lieu. Au contraire, c’est bien plutôt à un repli que nous avons assisté.
 
La baisse des financements publics a heurté de plein fouet le champ culturel en général et celui des arts de la rue en particulier. Les élections municipales de 2014 ont eu des répercussions directes dans de nombreuses villes, certains nouveaux élus clamant haut et fort que les outils et manifestations sur leur territoire n’étaient pas – ou plus, des priorités. Le label de « Centre national des arts de la rue » n’aura guère protégé l’Abattoir à Chalon-sur-Saône, dont la subvention municipale a drastiquement diminué en deux ans, pas plus que les Usines Boinot à Niort, qui ont dû déménager de Niort. De nombreux opérateurs culturels ont vu leurs subventions publiques amoindries. Ce sont, bien sûr, les artistes qui en pâtissent, voyant leurs conditions de travail, et de vie, de plus en plus précarisées. Surtout, ce sont des populations et des publics privés de présence artistique sur leurs territoires.
 
L’année 2015, meurtrie par de terribles attentats perpétrés sur le sol français, a ajouté une contrainte immense avec l’instauration de l’état d’urgence – renouvelé suite à l’attaque à Nice en juillet 2016. Si la question de la sécurité des citoyens n’est pas un sujet à prendre à la légère, les implications sécuritaires pour les événements artistiques hors les murs ont été considérables. Les coûts engendrés par les mesures à prendre (personnel de sécurité pour vérifier les sacs, barriérage, etc.) ont grévé des budgets déjà en berne. Surtout, l’on a vu apparaître des configurations surréalistes de spectateurs parqués dans des enceintes clôturées par des barrières Vauban au cœur de l’espace public. Quel directeur de festival ou quelle compagnie n’a pas été amené à se poser la délicate question : jouer dehors, mais à quel prix ? L’acte artistique dans l’espace public dans de telles circonstances a-t-il encore un sens ? Faut-il jouer malgré tout, pour ne pas abandonner totalement cet espace public, alors que, du fait de la dérive sécuritaire, nos libertés publiques y sont progressivement rognées ?
 
On voudrait pouvoir contrecarrer le discours lancinant sur la faiblesse de l’État, en l’occurrence du Ministère de la Culture et de la Communication. La rue de Valois ne nous y aide guère. Les préconisations du rapport de la MNACEP (Mission Nationale pour l’Art et la Culture dans l’Espace Public), rendu en juin dernier à Audrey Azoulay, n’ont été suivies d’aucun effet ni d’aucune annonce. Quant à la fusion de HorsLesMurs, centre national de ressources des arts de la rue et du cirque fondé en 1995, avec le Centre national du Théâtre – ce qui a donné lieu à la création d’une nouvelle structure, ARTCENA, en juin dernier –, elle s’est faite dans ce qui a semblé être une relative indifférence des secteurs professionnels concernés. Si le projet comme le périmètre d’intervention de HorsLesMurs demandaient sans nul doute à être profondément redéfinis pour intégrer les bouleversements majeurs qui ont marqué le paysage artistique et culturel au cours des vingt dernières années, le mariage arrangé avec le Centre national du Théâtre n’en finit pas d’étonner. Alors que, précisément, les travaux de la MNACEP encourageaient à une transversalité renforcée avec les milieux de l’art public, de l’aménagement urbain ou encore du street art, on s’est tourné vers les plateaux et la boîte noire.
 
Le tableau ici brossé paraîtra bien sombre. Il ne se veut nullement défaitiste, mais bien plutôt, et malheureusement, extrêmement lucide. Il ne disqualifie en rien l’énergie formidable déployée par les artistes et les opérateurs qui continuent, avec force et conviction, d’agir sur le terrain. Mais ce qui interpelle, en ce début d’année 2017, c’est le manque de souffle politique. Il n’aura échappé à personne que lors des débats de la primaire de la droite et du centre, la politique culturelle n’a jamais été abordée. Pas une seule fois. Quant à l’art… Le terme ne vient à l’esprit de personne. Quelque chose nous dit que la gauche ne se distinguera pas en la matière.
 
Ce désintérêt manifeste d’un grand nombre d’acteurs politiques est des plus inquiétants. Pour nombre d’artistes, de programmateurs et de salariés investis dans l’intervention en espace public, la dimension fondamentalement sociale et politique de cet espace est cardinale. La question de la définition d’un genre artistique « arts de la rue » ou « arts en espace public » n’est plus discutée, c’est tant mieux. On a enfin compris que ce n’est bien évidemment pas là que se niche le double enjeu crucial de l’intervention artistique hors les murs. C’est d’une part dans le fait d’affirmer haut et fort une présence artistique à cet endroit là, avec ce qu’elle charrie de détournement, de dérangement, voire de transgression, et c’est d’autre part de continuer sans relâche, par le biais du hors les murs, de tenter de s’adresser au plus nombre, quand tout, aujourd’hui, nous sépare les uns des autres.
 
Les arts de la rue ont leurs compagnies conventionnées, leurs Centres nationaux, leur structure de formation, leurs dispositifs d’aide spécifiques. Ils n’en restent pas moins terriblement fragiles. Et fragilisés par les soubresauts d’une ère politique et sociale bouleversée et bouleversante. À l’heure de cette nouvelle année qui débute, j’attends l’appel d’air de ce souffle politique qui, sans nul doute, viendra des artistes et des acteurs de terrain eux-mêmes. Dans l’action, à l’échelle micro-locale, ils agissent, envoient des signaux faibles et font mouche. À défaut d’une révolution copernicienne, je guette avec fébrilité un soulèvement.


  • [rue] 2017, attendu au tournant - par Anne Gonon, Pascal Eyssette, 08/02/2017

Archives gérées par MHonArc 2.6.19+.

Top of page