Liste arts de la rue

Archives de la liste Aide


[rue] La tyrannie des faibles


Chronologique Discussions 
  • From: Chtou Qualité Street ( via rue Mailing List) < >
  • To: Liste Rue < >
  • Subject: [rue] La tyrannie des faibles
  • Date: Sat, 18 Nov 2017 14:47:08 +0100

Je serre les dents pour ne pas engueuler de vive voix la connasse - c'est sûrement une nana pour conduire comme on s'excuse - qui ne se bouge pas le cul sur la voie d'accélération - c'est fait pourquoi, c'est fait pour accélérer ok? - Je passe en quatrième et je te la double de bien près en sur-régime - ça c'est pour la pédagogie - en passant sur les bandes blanches - parce que je vais pas passer trois heures à attendre que madame passe en troisième alors que ça devient du 110. 
Une bonne bordée d'injures je te le dis ça m'aurait fait du bien, mais faut pas déconner, je ne suis pas un relou non plus, et Julie n'aurait pas saisi qu'en fait c'est de l'humour, c'est de la putain de patate, je suis juste en pleine forme. 
Je prends sur moi, je respire, et je me glisse habilement dans le trafic, en me concentrant sur cette fameuse "Rencontre inter-régionale de la fédération nationale des Arts de la rue"… 

Sa main a frôlé ma cuisse, mais ça va, il s'en fout je pense, tout concentré qu'il est à conduire comme un cow-boy. Mes nouveaux collants résillés, magnifiques, mettent tellement mes jambes en valeur qu'on ne voit qu'elles, et comme je ne peux pas tirer sur ma jupe, je sors mon ordi portable et je l'ouvre sur mes genoux. 
J'ai toujours eu le courage d'être séduisante, mais j'ai toujours eu peur de me faire draguer. 
Un vrai dilemme de garde-robe, je passe un quart d'heure chaque matin devant la glace à faire des combinaisons en essayant d'anticiper la journée… 
Allez Julie, arrête de t'auto-déprécier, c'est bon… franchement tu peux même être fière de toi, tu as fais une super prise de parole en plénière le deuxième jour avec les autres, et puis c'est carrément toi qui as organisé les notes de ton atelier. 
C'est la première fois que je me sens aussi bien à une réunion de la fédé... 
C'était super efficace, très bienveillant, ça ne jouait pas les gros bras, et tout le monde était à l'écoute. 
Elle est super cette Lucile Rimbert, jeune, dynamique, super posée et à la fois sûre d'elle, je suis admirative…

- Tu vois elle est pas mal Lucile, mais c'est quand même dommage je trouve qu'elle ne l'ait pas un peu plus ouvert. Je veux dire, le président normalement c'est quand même l'image de la fédé, quoi, il faut avoir un peu de gueule, là ça fait un peu réunion de groupe, je ne sais pas… elle a bien changé la fédé en tout cas.

- C'est sûr! En fait depuis Laetitia, je trouve ça plus collaboratif, moi, tu sais, chacun ose plus s'exprimer, il y a une écoute, une bienveillance. Ça a changé, c'est vrai, on est plus du temps des grosses voix comme on disait, mais ce n'est pas un mal je pense…

Je me renfrogne et je réfléchis un peu. Je pourrais dire oui oui oui pour avoir l'air sympa mais bon, de toute façon c'est sans espoir avec elle, j'ai envie d'être super sincère, de me lâcher, basta.

- Ecoute je suis peut-être un peu provoc, mais moi je ne suis pas contre un peu d'égo, tu vois. Thierry Lorent par exemple, tu peux pas dire que c'était un mauvais président! 
Grosse voix c'est clair, super charisme, un vrai porte-drapeau, et puis il a eu le courage de porter des chantiers carrément délicats où tout le groupe s'embourbait, quoi, pour moi ben c'était un bon chef. Ça me casse les c… enfin je veux dire parfois ces réunions au consensus où on doit "bien attendre que tout le monde se soit exprimé", et puis passer dix minutes à attendre que monsieur machin ai terminé de digresser n'importe comment, bien écouter tous les gens qui rougissent et qui bafouillent, l'autre chiant avec sa voix monocorde qui t'explique ses trucs politiques, madame casse couille qui ne parle que d'elle en fait, et qui remet tout en question sans jamais donner de solution, c'est dur à dire mais tu vois, y'a un moment, ça me fait chier. Je perds mon temps. Je trouve que tu choisis un mec, il a un an pour assurer, et à la fin tu fais le bilan et tu le gardes ou tu le jettes, hé ben c'est la démocratie, et ça, ça marche. Les nouvelles manières de mener le débat à la mords-moi-le-noeud, on se secoue les mains, on se met en groupe de 6, on montre des petits cartons colorés, les bâtons de paroles, les facilitateurs, putain mais qu'est-ce que ça m'emmerde!…

- Tu me fais marrer… tu vois, toi tu es comédien, tu as de la facilité à t'exprimer, c'est beaucoup plus facile pour toi. Une fois que tu as parlé, tu y mets tellement de force, moi ça me coupe les jam… les pattes, et je n'ose pas prendre la parole du coup, sauf si c'est mon tour officiellement.

- Merci. Oui mais bon le débat c'est ça aussi, c'est l'agora tu vois, il faut tailler sa place… et puis il faut faire confiance à quelqu'un qui avancera vite, prendre des décisions à 25, ça ne marche pas. C'est peut être pour ça que tous les Historiques se sont barrés, y'a plus que des jeunes, et de moins en moins d'artistes. Des fois franchement je me dis que toutes ces nouvelles façons de travailler en fait, c'est la tyrannie des faibles. Je ne suis pas sûr que ça marche, on perd du temps, on ne peut pas s'exprimer, on est tout le temps à attendre son tour… c'est pour ça, franchement, cette idée de confédération, mais c'est une bombe, tu imagines?!!

- C'est clair, c'est la révolution. La fédération va disparaître et avec elle tous les anciens fonctionnements. 
Ça va être hyper horizontal, ça va tout changer. C'était certainement l'atelier le plus important des deux jours.

- Mais carrément, c'est la fin de la présidence! La-fin-de-la-présidence! La Fédé va disparaitre, ils vont devoir prendre les décisions à 30, non mais ça va être un gros bordel! 
En fait Lucile, ça va être la dernière présidente et derrière elle, elle va laisser un champ de… enfin nan, je peux pas dire un champ de ruines…

- Un champ des possibles peut être?

- Ha ouais d'accord, t'es carrément pour, toi. Ça ne te fait pas peur, le nouveau fonctionnement?

J'inspire une bouffée d'air exaltante. Je claque mon ordinateur, je le serre dans mes bras et je croise les jambes.
 
- Non ça ne me fait pas peur. Je crois même que c'est tout l'inverse. 
Ça me file…. 
Une putain de patate.










  • [rue] La tyrannie des faibles, via rue Mailing List, 18/11/2017

Archives gérées par MHonArc 2.6.19+.

Top of page