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[rue] Grêve à la MC2 à Grenoble


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  • Subject: [rue] Grêve à la MC2 à Grenoble
  • Date: Sat, 16 Dec 2017 14:29:24 +0100

" C’est inévitable ça devait sombrer c’est l’époque. Les mesures inquiétantes
nous demandent de prêter attention. La santé de la machine théâtre surhumaine
est affectée. Nous sommes arrêtés.

Le spectacle n’aura pas lieu annonce l’article de Liberation.fr du 13
décembre pour évoquer la grève de l’équipe des travailleurs permanents de la
maison de la culture de Grenoble.

La pérennisation de l’emploi, les conditions de travail sont en jeu. Un
préavis de grève est annoncé lundi 12 décembre. La grève par le blocage des
plateaux de la MC2 a été décidée le lendemain et mis à la connaissance de
notre équipe mardi à 17h30, deux heures avant la représentation.

Une déflagration, c’est évident, mais pour l’envoyée spéciale de Libération,
l’annulation de notre spectacle n’est qu’un détail.

Dans cette lutte entre personnels permanents excédés et une direction
jonglant avec une baisse des subventions, le cœur de ce qui fait battre les
corps de ces lieux de culture, ces corps patibulaires du théâtre français: la
relation d’un poème, d’une œuvre au public - est absente.

Nous sommes les dégats collateraux à qui l’on n’accordera pas de cérémonie
funèbre aux Invalides mais qui reprendrons le train samedi matin.

Nous déambulons dans les boyaux de cette immense batisse depuis trois jours.
22 000 m².
notre lutte, Sombre rivière, ce poème musical écrit aux lendemains des
attentats il y a deux ans.

Tout est électrifié, il nous faut passer la serpillère dans le marécage pour
trouver une parole qui ne ferait pas de nous des êtres invisibles. On ne nous
convie à aucune assemblée, et comme des travailleurs immigrés nous n’avons
pas le droit de vote.
Un acte manqué? et nous finissons par être le symptôme d’un théâtre malade.

Peut être n’existons-nous pas dans cette fable ? Jouerons-nous bientôt sur
des plateaux sans acteurs ?danseurs à la lisère du monde qui n’apparaitront
pas ? nudités devenues ombres ? Nous n’avons plus nos lieux de pèlerinage.
nous devons rester doucement triste, sans nos outils.

Nous voyons passer dans le ciel le drapeau MC2 en grève et nous restons
debout dans la démesure parfait de ces lieux à réinventer.

Nous tournoyions devant la porte des théâtres.

Nous sommes des passagers.

Des touristes hagards qui ne seront plus là demain. Des « jamais habitants»

Les lieux sont devenus des monstres, des machineries kafkaiënnes qui aspirent
la sève de l’artiste et le laisse sans voix. Dans le bugdet d’un lieu de
théatre, ce que l’on attribue à la réalisation d’un spectacle s’appelle « la
marge artistique. » Une marge de plus en plus fine. Nous sommes les marginaux
que l’on voit en photo sur les programmes. Bientôt les lieux seront les
gardiens d’une chose qu’il n’y aura plus à garder.

Les supplices sont réels pour les compagnies que nous voyons fondre comme
chocolat au soleil, au profit de quelques colosses que par faignantisse et
comptabilitée l’on désigne comme « Le théâtre. »

La notion de troupe (les anciens habitants des théâtres) a déjà été démolie.

Et il nous désole que les luttes soient toujours plus isolées les unes des
autres.

au delà des déclarations d’intention que nous font les politiques, au delà
de la romance qu’il faut entretenir entre l’artiste et le directeur du
théâtre pour que quelque chose ait lieu, où se pose aujourd’hui la question
de l’essentialité de notre acte ? de nos lieux ?
Les jeunes compagnies de théâtre passent une existence enragée pour survivre
et finissent souvent dans la colère et à la porte de la forteresse. Eternels
« impatients » ils n’arrivent jamais à sortir de la damnation de l’Émergence.
Cassandre regardant l’exercice de l’art disparaitre pour être aujourd’hui le
parfait reflet du libéralisme ambiant, regardant la décentralisation
apparaitre comme une centralisation éclatée.

Hier soir, au bar de la MC2 de Grenoble, à l’arrivée des personnes venues
voir Sombre rivière nous avons improvisé des bouffonneries musicales pour
accueillir et saluer l’autre tribu, les spectateurs.

Ils ne sont pas repartis la tête basse car dans le hall du bar du théâtre le
poème a rencontré la vie. Rencontre amoureuse et fébrile, qui pendant
quelques instants se moque du mauvais temps, oublie que demain il n’y aura
pas de toit.

La clé du théâtre a été jetée par la fenêtre, c’est un fait.

Ce soir pas de lumière sur la scéne, pas de lever de rideau libérant un
mouvement de théâtre, moment d’éternité accompli par une communauté d’hommes
et de femmes, aux aspirations (inspirations) et savoir-faires multiples.

Le vide occupe la demeure et le péril de jouer ou de ne pas jouer occupe les
heures.
Mais viendra le temps de la solidarité malgré tout et cette dernière voudra
que l’on détruise ces lieux pour laisser place à la vitalité et non au
désoeuvremnet en laissant place aux compagnies et aux compagnons.

Au lieu de ces machines kafkaïennes, cherchons des théâtres qui pourraient
contenir le drame et l’immensité de nos existences.

Aventuriers nouveaux, dramaturges, fiers d’y donner notre sang, avec audace
et humilité

Nous écrivons du théâtre contemporain à travers les sentiers de nos vies
parce que nous ne voulons pas être otages d’une réalité politique qui nous
est imposée.

nous vivons sur nos gardes

il faut faire attention aux drames.

On nous demande notre attention

Nous vous demandons votre attention.
Ici, nous continuons de passer la serpillière dans le marécage et j’aimerais
que la parole ne prenne pas une résonance qui nous échappe.

Si nous étions forts, directeurs, permanents, artistes, nous ferions reculer
les lois qui nous soumettent. Il est ridicule de se dire que le coeur du
théâtre peut articuler des mouvements et ses manoeuvres sans les artistes
dedans et que l’on peut renouveler une vieille machinerie sans y remettre du
feu.
Nous travaillons et inventons avec l’impossible parfois même au mépris d’une
société qui nous voit comme des parasites.

Mais il est sans doute temps de mettre tout le monde autour de la grande
table. Ce qu’on appelle la « matière artistique » a été largement
ponctionnée.

Nous avons inondé le bar de chansons avec la compagnie.

Ce soir encore le spectacle ne jouera pas.

Mais le bruit et la musique de notre art devrait habiter les théâtres. "

Lazare et Vita Nova

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  • [rue] Grêve à la MC2 à Grenoble, François Mary, 16/12/2017

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