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Re: [rue] Un art mineur


Chronologique Discussions 
  • From: Nicolas Longuechaud < >
  • To: Marie-Do Freval < >
  • Cc:
  • Subject: Re: [rue] Un art mineur
  • Date: Mon, 12 Mar 2018 09:57:38 +0100

Bravo pour ce récit Chtou!

Nico

Nicolas Longuechaud 
Compagnie Longshow 
+33626258957

Le 12 mars 2018 à 09:28, Marie-Do Freval < "> > a écrit :

c'est bon de te lire

c'est bon de te savoir là

c'est bon la couleur de tes mots

c'est bon la trombine qu'on imagine

c'est bon de te lire

marie do


<logo_pour_signature_137x82px.jpg> Marie-Do Fréval
Directrice artistique
www.cieboucheabouche.com
01 45 39 55 38
06 87 27 48 47
Le 12/03/2018 à 01:53, Chtou Gildas puget ( "> via rue Mailing List) a écrit :
">
J'ai beau savoir que je n'ai que 28 ans, que ma vie d'artiste est devant moi et que je ne suis qu'un comédien somme toute remplaçable, je ne peux pas m'empêcher de ressentir des bouffées de fierté en réalisant que je mange avec les représentants des meilleures compagnies du festival. 
Le rouge commence à me monter à la tête, et j'ai bien l'intention de faire picoler un maximum la tablée des grands ducs pour faire monter l'ivresse joyeuse qui nous ensorcelle, libérant les fous rires tonitruants et les fanfaronnades superbes de cette brochette de maîtres de la rue.
Je vide le pichet dans le Duralex de Pascal, qui commence à raconter la fois où un programmateur lui courait après parce qu'il s'était mis à poil devant l'église, et je me lève pour aller le remplir au cubis. 
Je suis tellement excité que j'entends toutes les conversations à la fois, je vois tout le monde, j'ai conscience de tous les enjeux, comme si j'embrassais la totalité de la petite salle des fêtes avec une lucidité surnaturelle.
Dans le catering d'un festival, il y a comme une hiérarchie du placement.
Ici, le petit duo de jongleurs classiques tente d'animer une conversation avec les trois de la compagnie bizarre, mal démaquillés. 
Là, une table de bénévoles, un peu bouffis. Derrière, les quatre danseurs qui se sont mangé un four, à ce qu'il paraît les gens se barraient pendant leur spectacle. 
J'avoue, ce n'est pas bien, mais je suis trop content d'être de ceux qui ont cartonné. Bon, sans me vanter, mon cv commence bien, et avec une compagnie repérée, coproduite, prometteuse, j'ai bien le droit de me le dire et d'en être heureux, merde… 
En me servant, j'ai envie de siffloter de bonheur et je me sens fourmiller d'une énergie presque violente.

Je reviens, et quelqu'un a pris ma place. 

Le mec des "Ananas givrés", quand même.
Je lui dis "non non t'inquiètes, c'est pas grave" tandis qu'il agite une main vers moi en tchatchant Pascal, et je pousse jusqu'à la table d'à côté, tout au bout.
Il n'y a que deux vieux, qui mangent en se parlant doucement.
Je m'assois avec eux, en gardant l'air super à l'aise. 
Je leur propose un coup de rouge, elle refuse, mais lui oui, juste un petit peu.
J'ai une partie de moi qui veut s'arracher de mon corps et partir sur l'autre table, mais par décence, j'engage la conversation. 
"Oui, je fais bien partie de la "Furios", mmhmm, grosse équipe, belle tournée ouais, les plus gros festivals en fait cet été, c'est vrai que trois Cnars en co-prod, bien rentre-dedans le concept ouais, ce que je fais moi? Principalement les artifices, l'artillerie comme j'appelle ça!"
Ils m'écoutent et je finis par les trouver sympas, carrément sympas même. 
Je  les questionne sur leur tournée et ils me disent que cela se tasse, qu'ils arrivent à la retraite. 
Elle y est presque, encore un an, mais lui, c'était cette année. Toute une vie d'intermittent derrière lui.
J'ai toujours été passionné, sérieusement, par les intermittents qui finissent leur carrière. C'est tellement beau de passer une vie comme cela, d'avoir caracolé une vie entière en marge des chemins classiques. 
Ils sont doux, et sensibles, plein d'écoute. Ils me proposent de passer manger chez eux le lendemain midi, ils ont une maison à quinze bornes de là. 
J'ai le temps et je suis autonome, j'ai rejoint la compagnie tout seul en bagnole. J'accepte. 
Ils partent se coucher, et je saisis une ouverture pour revenir avec les autres, et leurs anecdotes de compagnies historiques.



Ce n'est pas une maison, mais deux, en plein milieu des vignes, sur une colline. 
Deux belles maisons en pierre avec les joints bien faits, une piscine, une belle terrasse avec une guirlande, un jardin magnifique. 
La première maison, c'est l'atelier et une grande salle avec parquet pour travailler, et la deuxième, c'est chez eux. 
Je pense à mon appart pourri dans le Panier à Marseille… même Pascal, malgré sa compagnie hyper connue, sa baraque fait vraiment pâle figure à côté.
On mange dehors, et cette fois, c'est une carafe en verre. Je regrette d'avoir trop bu la veille parce que le vin, c'est autre chose. 
Paisiblement, ils me racontent leur vie. Leurs spectacles jeune public, principalement en salle, dès les années 70. Et leurs tournées internationales…
"… Et au final, tu vois, on a fait plusieurs fois le tour du monde, la déambulation marchait si bien qu'on a même parfois doublé l'équipe! Et on a fait nos 150 dates par an pendant des années, quand même…"
Je m'étrangle. "Ha ouais?! Ha c'est marrant, pourtant vous n'êtes pas… si connus en rue, si?"
"Ho on connaît bien le milieu de la rue, mais lui nous connaît moins, surtout aujourd'hui, parce qu'il y a plus de monde…" reprend Christine. "Nos déambulations ont tellement eu de succès qu'elles nous ont amené partout, dans le réseau des festivals, mais surtout dans tellement d'autres endroits…" 
Elle est d'une humilité désarmante. 150 dates…
J'essaye de trouver des repères, de les situer dans le mouvement, que je connais bien.
Mais Daniel me regarde en souriant et me dit doucement "Tu sais, on ne nous retiendra pas, je ne pense pas, dans cette grande histoire, pas une compagnie comme la nôtre, on est moins dans les "historiques" que la tienne par exemple! Et puis dans ce milieu la déambulation est un art mineur…"
Je souffle."Ma compagnie… Tu sais si je fais 25 dates dans l'année, vu le format, onze personnes au plateau, c'est déjà énorme, et puis… un spectacle aussi massif, aussi engagé, je sais que ça ne tournera pas non plus des années. Et il faut encore que je sois de la prochaine équipe. 
Bon, c'est vrai qu'on est connus, quand même, c'est un peu la gloire…"  je souris timidement, ils rigolent. 
"Non c'est vrai, je vous le dis franco, moi je suis assez fier, parce que ce qu'on fait, c'est vraiment de la rue…"
"Bien sur, me rassure Daniel. 
On a fini de manger. 
"Allez viens, je vais te montrer nos amis!"

On traverse le jardin et on rentre dans l'atelier. Ils me montrent les masques, les marionnettes géantes, et leurs yeux brillent quand ils évoquent chaque personnage, chaque aventure. 
"Tu sais, me dit Daniel, appuyé sur son établi, la déambulation, c'est aussi vraiment la rue, en quelque sorte. 
Il y a une découverte constante, à la différence des fixes comme le vôtre où tout est écrit d'avance. 
Nous, nous avons des séquences disponibles, mais nous sommes vraiment dans la construction de l'instant. 
Et puis, nous avons une autre relation au public que le fixe, nous sommes en prise directe avec le public. On le touche, on le prend dans nos bras, on le fait rire ou rêver. 
Tu n'imagines pas les relations d'un public avec une marionnette géante, cela n'est pas comparable avec un comédien. Nous.. Nous ne sommes pas des comédiens pour le public, nous sommes vraiment, vraiment des créatures! Alors les plus cons te tirent sur le costume, mais parfois les gens t'embrassent. 
Et puis ils écarquillent les yeux, et un jour tu vois un enfant te donner son doudou… nous sommes en prise directe avec le public. 
Et puis nous improvisons avec lui, il fait en quelque sorte partie du spectacle. C'est aussi de la rue ça non?! S'esclaffe-t-il.
Je rigole aussi, en acquiesçant.
"Bon pour moi tu vois, appuie-t-il, le plus important, ce n'est même pas que nous jouons, nous, vraiment avec l'espace publique. 
Rien à voir avec tous ces fixes à la mode. Nous jouons dans la rue, nous jouons pour la rue, et nous jouons avec la rue.
Non, le plus important c'est que nous jouons dans le monde entier, pour des cultures extrêmement différentes, et pas seulement pour un public cultivé, comme ici en France. 
Nous avons, toute notre vie durant, parcouru les rues de Delhi, de Ouagadougou, de Bangkok, de Lima, nous avons joué au Liban et en Palestine, en Mongolie comme à Tokyo, et je peux t'assurer que les rues du fin fond des îles du Pacifique, sont parfois bien plus Rues que celles de nos grands festivals nationaux!"
Christine s'approche de lui et il la prend sous son bras.

Il me parle encore mais je ne l'entends plus. 
Je les vois, eux, ce beau couple avec un si beau parcours, attaquer leur retraite confortable, en tournant la page d'une compagnie inépuisable. 
Je n'arrive pas à éclaircir mon malaise. L'esprit un peu brouillé, je les remercie chaleureusement pour leur accueil. On échange les contacts et ils m'accompagnent jusqu'à la bagnole.
Je baisse la vitre et je les félicite sincèrement pour leur parcours.

Et puis je descends le lacet et je klaxonne, en les saluant tous deux une dernière fois de la main. 

Il me faut un petit moment pour sourire à nouveau. 
J'ai toute la vie devant moi, et je n'ai pas fini de comprendre ce que je veux en faire. 
Tout ce que je sais, c'est que si je pouvais être moins con, ça m'arrangerait.







🚀Chtou 
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