« En trois jours, je suis tombé amoureux de la Zad de Notre-Dame-des-Landes »27 avril 2018 / Vincent KrakowskiVenu pour la première fois à Notre-Dame-des-Landes, quelques jours vers le dimanche 15 avril, Vincent Krakowski raconte ce qu’il a vu de la Zad, des zadistes, de leurs soutiens et de la tension avec les gendarmes mobiles. Vincent Krakowski s’est rendu sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes du vendredi 13 au lundi 16 avril pour la première fois. Cet ingénieur de formation qui vit dans la Drôme a écrit à Reporterre en expliquant : « C’est en lisant le récit que vous faisiez de ces événements que j’ai ressenti l’envie d’aller voir par moi-même ce qui s’y passait et de soutenir la lutte contre l’impérialisme du gouvernement. » À la suite de son passage sur la Zad, il a souhaité partager son expérience et nous a envoyé son témoignage. Le voici. Comment décrire ce qui passe sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes ? Comment parler de la complexité du mouvement d’occupation des lieux, des énergies qui s’y déploient, des forces qui s’y affrontent sans tomber dans la caricature ? Certain.e.s y sont venu.e.s pour s’opposer au projet d’aéroport. D’autres pour lutter plus largement contre la prédominance du capitalisme, contre un État jugé non démocratique ou encore contre le patriarcat. D’autres encore pour y trouver un refuge, inventer une autre manière de vivre, de produire, repenser le rapport de l’humain à la nature, réinventer les règles du vivre ensemble… en résumé, pour expérimenter de nouvelles formes de sociétés. Sur la Zad, on trouve des paysan.ne.s, certain.e.s présent.e.s sur la zone depuis toujours, d’autres venu.e.s plus récemment, dont certain.e.s venant de la ville et n’ayant eu jusque-là que peu d’expérience de la terre (des « néoruraux », comme on les appelle). On y trouve également des communistes et des anarchistes, des gens qui étaient bien insérés dans la société et des marginaux, des pragmatiques, des rêveurs et des rêveuses. Certain.e.s sont éleveurs ou éleveuses, d’autres sont véganes. Certain.e.s possèdent des tracteurs pour leurs activités agricoles, d’autres veulent se passer totalement de pétrole. Certain.e.s veulent exploiter la forêt pour avoir du bois d’œuvre et de chauffage, d’autres refusent de tailler la moindre ronce. Et tout ce monde vit là, ensemble, sur les 1.650 ha que compte la Zad, devant concilier avec les un.e.s et les autres, devant apprendre à lutter ensemble pour ne pas se faire écraser par le rouleau compresseur de l’État. Voilà pour le contexte.
Pour ma part, je souhaite surtout partager certaines images qui m’ont marqué lors de mon bref passage de trois jours sur la zone, du 13 au 16 avril 2018, pendant les opérations policières de destruction des habitats construits par certain.e.s zadistes dans la partie est de la Zad. Très vite, je suis tombé amoureux de la zoneCe qui m’a tout d’abord frappé sur la Zad, c’est le calme et le caractère bucolique de l’endroit par lequel je suis arrivé, des champs et des bois qui jouxtent la fameuse route D281, dont les « chicanes » sont l’une des raisons évoquées par la préfète pour déloger les habitant.e.s des cabanes longeant cette route. Pas un bruit, si ce n’est le chant des oiseaux, des champs tout vert et fleuris, découpés en petites parcelles séparées par des haies bien fournies. Nous étions alors loin des affrontements qui sévissaient depuis le lundi 9 avril. Très vite, je suis tombé amoureux de la zone, de ce bocage préservé, de la flore qui s’y épanouit sans tenir compte du conflit qui embrase la Zad depuis tant d’années. Le lieu est beau et je m’y suis tout de suite senti bien. Le jour où je suis arrivé, ainsi que les jours suivants, la ligne d’affrontement se situait sur le chemin de Suez entre le carrefour avec la « route des chicanes », au niveau de Lama sacré, et le carrefour de la Saulce avec la D81. Concrètement à quoi ressemble une ligne d’affrontement sur la Zad ? Des barricades où s’entassent pneus, ferraille, carcasses de voiture, branchages et tout un tas de bricoles, derrière lesquelles se réfugient des zadistes au visage plus ou moins couvert, portant keffieh, masque à gaz, casque antibruit, masque de plongée, toisant les gendarmes postés à quelques dizaines de mètres de l’autre côté des barricades. La plupart du temps, c’est relativement calme. Les gendarmes semblent stoïques, les zadistes chantent, scandent des slogans, invectivent ceux d’en face. Mais c’est un calme éphémère et tout à fait instable. Un projectile tiré par un camp ou l’autre et c’est la pluie de grenades lacrymogènes, assourdissantes, incapacitantes ou de désencerclement d’un côté ; pavés et cocktails Molotov de l’autre.
J’ai moi-même fait l’expérience d’un de ces moments où la situation dégénère en quelques secondes. Le dimanche, lors du grand rassemblement sur la Zad qui a attiré des milliers de personnes, alors que nous marchions dans la boue, à travers champs pour « escorter » une structure en bois construite la veille afin de la rapprocher le plus possible du Gourbi, lieu emblématique de la Zad où se trouve le « non-marché », nous étions avec deux ami.e.s en train de discuter avec un gendarme pour comprendre ses motivations à venir ici déloger les zadistes, lorsqu’une percée a été tentée pour traverser le cordon de gendarmes qui nous empêchait de passer le chemin de Suez nous séparant du Gourbi. Dès que les gendarmes ont vu la masse de gens arriver en courant, ils se sont instantanément repliés et ont déversé sur nous une grande quantité de grenades lacrymogènes (ce qui a bien sûr mis fin à notre conversation avec le gendarme). Première lacrymo de ma vie. Les yeux me piquent, la gorge me brûle, j’ai un goût horrible dans la bouche et ce malgré le masque en papier et la vaine écharpe que je portais. La plupart des gens présents ne sont pas des habitué.e.s à ce type d’affrontement, manquent d’équipement et reculent en courant à la recherche d’un peu d’air frais. Ainsi ne passons-nous pas. On se regarde alors de loin avec les gendarmes, de trop loin pour encore reconnaître en l’autre un être humain. Et à l’égard du camp d’en face, qui s’est soudainement mué en un groupe ennemi quand quelques secondes auparavant nous dialoguons d’être humain à être humain, il n’y a plus que colère, voire haine envers celui qui nous veut du mal. J’ai adoré l’humour et la créativité des zadistes qui s’incarnent sur la zone par des graffitis et autres pancartesJ’ai également été impressionné par l’énergie déployée par les habitant.e.s de la zone et par leur soutien : le nombre de personnes mobilisées, la capacité logistique de gens semblant à première vue désorganisés, capables de préparer des repas de qualité pour des centaines de personnes avec des cuisines rudimentaires, de construire une énorme charpente en à peine une journée et de la transporter sur un kilomètre, de nuit, à travers champs, sans aucun engin motorisé. Et surtout, j’ai été impressionné par leur volonté. Volonté de continuer à lutter quand la puissance de l’adversaire est démesurée, quand tous les jours ce qui a été construit la veille est (à nouveau) détruit, quand les heures de sommeil se font rares, que le bruit de l’hélicoptère, volant juste au-dessus de nos têtes, nous harcèle jours et nuits, que les muscles sont endoloris par l’effort et les longues marches dans la boue, que soi-même ou les ami.e.s ont été blessé.e.s par les éclats métalliques projetés par les grenades de désencerclement, les tirs tendus de lacrymo ou de Flash Ball. La destruction du Gourbi version 5 (les quatre premières ayant toutes été détruites par les gendarmes lors de précédents affrontements) le lundi où je suis parti [le 16 avril] m’a mis en colère. Que d’énergie mise en mouvement en vain ! C’était couru d’avance et les zadistes le savaient. Ils et elles le savaient mais ont quand même construit et déplacé cette charpente. Tout était dans le symbole : montrer que rien n’entamera la volonté des habitant.e.s à reconstruire, quelques soient les forces déployées en face pour détruire. Enfin, j’ai adoré l’humour et la créativité des zadistes qui s’incarnent sur la zone par des graffitis et autres pancartes. En voici quelques exemples :
Et tous les slogans que nous avons chantés lors du transport nocturne, par 300 personnes, de la charpente (2 tonnes et 10 mètres sur 5 à la base !) devant servir à la version 5 du non-marché au Gourbi pour nous donner du cœur à l’ouvrage :
En terminant ce texte, j’ai une pensée pour toutes celles et tous ceux qui se sont installé.e.s sur la Zad pour lutter contre le projet d’aéroport, mais aussi pour montrer qu’un autre monde était possible, et dont la maison a été réduite en morceaux par des pelleteuses à la demande de l’État. A celles et ceux que l’on présente comme « squatteurs », « casseurs »,« profiteurs du système », qui cherchaient surtout leur place dans cette société dans laquelle elles et ils ne se reconnaissaient pas, vivant de peu de choses, de ce qu’elles et ils trouvaient sur place, de la solidarité qui anime toute la Zad, de la seule force de leurs muscles et de l’intelligence de leur cœur. 2.500 gendarmes, des milliers de grenades, des drones, des hélicos, des camions, blindés et autres pelleteuses, n’était-ce pas exagéré pour expulser cette poignée de rêveurs et rêveuses, pour détruire des habitats uniques en leur genre ? Lire aussi : Notre-Dame-des-Landes : une semaine de résistance en images Source : Courriels à Reporterre - Dans le courrier des lecteurs, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction. Photos : © Emmanuel Gabily/Reporterre sauf : |
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