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[rue] Ne te fais pas gauler


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  • Subject: [rue] Ne te fais pas gauler
  • Date: Tue, 08 Jan 2019 07:43:14 +0100
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BILLET POUR CEUX QUI ONT UN PEU LA TROUILLE AU CUL D'ALLER MANIFESTER SAMEDI

par Yak Wasabi

Ami citoyen et camarade, si tu as les miquettes d'aller dans la rue après les images de guerre civile de BFMTV mais que tu as envie d'user de ta liberté de manifester ce samedi avec ou sans gilet jaune – perso, je n'en ai pas –, voici quelques petites astuces pour te permettre de passer une bonne manifestation.

[Ce billet ne s'adresse pas aux Néandertaliens qui balancent des pavés sur la police ou sur leurs copains par inadvertance, ou qui brulent des voitures de prolétaires, pillent des magasins, insultent les passants qui n'ont pas de gilet jaune, etc.]
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PRÉAMBULE
Juridiquement, tu as le droit de participer à toute manifestation, même non déclarée ou interdite. Mais ces jours-ci, le pouvoir veut te foutre la trouille et met tout en œuvre pour te dissuader de sortir de chez toi par la propagande télévisée, la menace des discours politiques ou la violence policière.

Selon Amnesty international et l'Action chrétienne pour l'abolition de la torture (ACAT), la France est le pays européen qui a l'arsenal le plus répressif et qui cause le plus de blessures lors des manifestations. Parallèlement, de nombreuses mesures illégales sont prises par les forces de l'ordre pour empêcher ou décourager les manifestants avant même qu'ils n'aient commencé à défiler, par exemple en les cueillant aux péages ou à la descente du train.
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PRÉPARATION
Une manif réussie est souvent question de préparation pour se rassurer, surtout quand on a pas trop l'habitude et que BFMTV montre des incendies, la police qui passe 4 par 4 armée jusqu'aux dents prête à bondir, et des yeux crevés.

Achète de l'eau sur le parcours. Ça fait vivre le petit commerce local, ça permet d'arriver sans sac à dos et de te rincer les yeux au cas où tu aurais le vent de face quand vont pleuvoir les lacrymos, qui font pleurer même si elles éclatent à 200 m.
Si tu veux t'approcher à 100 m, privilégie le masque de plongée et le foulard mouillé. Plus près, il faut un masque respiratoire.

Attation ! Tu peux te faire tchourer ce matériel par la police – même le foulard – avant d’avoir atteint lieu de rassemblement.
Des dosettes de Dacryosérum peuvent même être la preuve indéniable que tu vas participer à un rassemblement ayant pour but de troubler gravement l'ordre public et de faire s'abattre la peste et les sauterelles sur notre beau pays. Mais tu peux les acheter sur le parcours. Ça fait vivre le petit commerce local.

Généralement, la police explore les sacs à dos mais fouille rarement au corps les gens allant manifester. Donc, évite le sac – assez gênant s'il faut décamper – et porte le petit matériel sur toi.
Ou bien trouve auparavant une planque dans une rue sur le parcours de la manifestation pour y dissimuler tes petites affaires de protection. Derrière une poubelle, par exemple.
Ou bien emprunte les petites rues pour te rendre au point de départ de la manifestation (sauf que samedi dernier j’ai croisé dans une petite rue pour me rendre au point de départ de la manifestation une dizaine de gars de la BAC qui se préparaient… J’ai rarement pris autant l’air de rien.)
Ou bien rejoins la manifestation en cours de route après l'avoir attendue dans un café. Ça fait vivre le petit commerce local.

Évite d'emporter un Opinel, un club de golf, une moissonneuse-batteuse, une scie à chantourner, ta belle-mère, ou tout autre objet tranchant ou contondant.

Prends ta carte d'identité au cas où tu te ferais gauler. Ne prends pas de carte de crédit mais du liquide.
Ne prends pas tes clefs de voiture. Laisse-les à l’intérieur de ton pare-choc. Privilégie un parking souterrain.
Ne prends pas ton portable si tu ne veux pas que tous tes contacts se retrouvent entre les mains de la police, notamment si tu es militant. Prends un vieux portable avec ta carte SIM. Ou prends un portable pas cher avec carte.
Écris sur ton bras le numéro de portable de ton avocat – il est rarement à son cabinet le samedi soir – et d'un contact de confiance.

Prends des vêtements neutres et chauds, et des chaussures confortables qui ne prennent pas l'eau. Si tu es une fille, mets une brassière plutôt qu'un soutif. On peut te demander de le retirer au commissariat si tu te fais gauler.
Pour ceux qui veulent s'amuser avec le canon à eau, prévoyez des affaires de rechange que vous confierez à un ami moins con que vous qui restera sur l'arrière.

Il est utile de prendre des gants pour ne pas s'abimer les mains si l'on tombe, et un bonnet pour ne pas se prendre directement sur le crâne une cartouche de lacrymo tombée du ciel.
Les plus audacieux peuvent porter un casque de vélo, voire un casque de spéléo, mais un magistrat a d'ordinaire quelques bases en topographie locale et il est difficile de lui faire gober qu'il existe une grotte préhistorique souterraine à proximité d'un point de fixation policière.

Ça peut paraître un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup si vous pouvez passer une bonne manif.
Toutes les dernières manifestations, dans toutes les villes, ont généré une violence policière disproportionnée et tout un tas d’ennuis et de blessures chez des gens pacifiques qui n’étaient pas préparés.

Une fois bien protégé des gaz, on peut s'approcher du groupe de batucada pour danser, même dans les nuages de lacrymos, et la manifestation devient alors assez fun. Jusqu'aux charges. Là, c'est Maman les Indiens…

Prends un marqueur. Ça permet de laisser des messages à tes amis derrière des panneaux de signalisation repérés à l'avance. Genre : Fatigué, je me suis posey au Baron pour faire vivre le petit commerce local.
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PENDANT LA MANIFESTATION
Reste en groupe. Vérifie régulièrement que tout le monde est là ou à proximité. Si tu t'arrêtes pour satisfaire un besoin naturel, va dans un bar avec tes amis pendant quelques minutes. Ça fait vivre le petit commerce local et au train où avance une manifestation, vous aurez tôt fait de la rattraper.

Dans la mesure du possible, reste sur les extérieurs du cortège. Repère les lieux de dégagement, comme les rues perpendiculaires ou les commerces. Si la manifestation doit passer sous un pont, trouve un autre passage. Emprunte une rue parallèle au cas où le cortège prendrait un endroit resserré, etc.

Observe où se situent les unités de gendarmes mobiles statiques qui boucheront les artères de dégagement si tu viens à décamper. Regarde où sont les voitures de la police nationale qui peuvent arriver très vite en convoi et couper une manifestation en deux pour l'affaiblir. Et surtout, cherche la BAC et notamment ceux qui sont à moto. Les voltigeurs sont de retour, même s’ils sont officiellement interdits.

Ne parle pas à la police. Même pour leur dire qu'ils ont gagné 150 euros grâce à toi. Plus la police et les manifestants sont proches, plus ça génère de tensions inutiles. Lorsque la police se tient à 100 m du défilé, ça se passe bien d’ordinaire. Mais si deux ou trois crétins viennent les énerver, ça peut déraper très vite.
Ne brandis pas le majeur vers le ciel en criant Nique la police quand passe l’hélicoptère de la préfecture ; le conducteur ne te voit pas et ne t’entend pas. Bon, en fait, fais ce que tu veux, c’est plutôt rigolo.

Bref, fais tout pour te trouver loin des forces de l'ordre (ou du désordre) sauf si tu veux voir ta tête sur les réseaux sociaux avec un œil en moins. De nombreuses personnes totalement pacifiques ont été surprises par une charge et blessées inutilement. Si tu sens que ça va chauffer et que tu n’as plus tes jambes de vingt ans, n’hésite pas à te dire que c’est bon pour aujourd’hui. Trouve un café et fais vivre le petit commerce local.

Si ça charge, ne cours pas, même dans les mouvements de foule. Cherche l’endroit le moins dense pour te retrouver avec tes amis. Ne crie pas, ça ajoute à la panique générale. Une charge dépasse rarement 50 m. Tu as le temps de te mettre à l’abri sans mouiller ton pantalon. Retrouve un point statique de manifestants. Entonne des slogans ou des chants révolutionnaires. Ou du Michel Sardou pour amadouer les policiers.

S’il commence à pleuvoir des grenades fumigènes, regarde en l’air pour ne pas t’en prendre une sur le museau. On voit facilement les tirs. C’est très joli. Si des galettes tombent devant toi, envoie-les d’un coup de pied dans le caniveau et non sur les forces de l’ordre. La police aime rarement qu’on lui renvoie les cadeaux qu’elle offre de bon cœur.

Ne ramasse aucun objet au sol. Aucun ! Jamais !
Ne shoote dans aucun objet solide. Si c’est une bombe de désencerclement ça emporte un pied pour toute ta vie. Si c’est un pavé, ça fait très mal.

Évite la position du Christ en croix devant la police pour dire que tu milites pour la non-violence et la paix sur la Terre. C’est peut-être très joli sur ton Instagram, mais beaucoup moins sur la table d’opération, notamment lorsque le chirurgien t’annonce que tu ne pourras plus jamais te reproduire. (Tu peux ceci dit gagner un Darwin Award.)
Ne tiens rien dans tes mains qui pourrait ressembler à un AK47, par exemple. Ça énerve un peu les policiers. Si les flash balls commencent alors à retentir, dégage à plus de 50 m.

Si tu es pacifique et tes amis aussi, mais que vous voulez aller au contact avec les forces de l’ordre parce que vous êtes drôlement courageux et que vous voulez exercer votre droit à la liberté de manifester et dénoncer la police répressive aux ordres de l’État fasciste qui veut museler le peuple uni qui jamais ne sera vaincu, faites des chaînes.
Restez toujours ensemble. Si l’un d’entre vous se fait choper, n’hésitez pas à l’empoigner à plusieurs. La BAC s’en prend essentiellement aux personnes isolées.
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SI TU TE FAIS GAULER
Tes amis doivent filmer ton arrestation pour témoigner au besoin. Ils peuvent demander aux gens autour d’eux s’ils ont pris des photos, si l’on reconnaît les visages des policiers, si l’on reconnaît les matricules éventuellement, etc. Si tu le peux, balance ton portable à tes amis.

Surtout, laisse-toi faire. On va te tirer, te pousser, te traîner sur le sol, tu vas déchirer tes fringues sur le bitume, te cogner les genoux, etc. Ne résiste pas. Ne crie pas que les flics sont des p… de leur mère ou des e… de leur race. D’une part ce n’est pas très poli, d’autre part ce n’est pas forcément vrai et enfin, c’est interdit. L’outrage et la rébellion sont les motifs d’interpellation les plus fréquents.

Ne parle pas dans le fourgon. Ni à la police, ni aux autres personnes. N’invoque ni ton dieu ni ta maman, ils interviennent très rarement dans ces circonstances-là et ça fait marrer la police, et puis ça insécurise encore plus les autres..

Une fois au commissariat, tu vas te retrouver dans un endroit qui sent la pisse et le vomi avec des gens qui répètent qu’ils n’ont rien fait en pleurant. Assieds-toi sur ton anorak qui sent la lacrymo, pense à tes dernières vacances à La Baule en fermant les yeux, apaise ta respiration. Récite de jolis poèmes de René Char ou de Louis Aragon dans ta tête.

Tu peux demander d’aller satisfaire tes besoins naturels. Tu peux demander à boire. On doit te servir un repas chaud aux heures des repas. Tu peux demander à voir un médecin. En fait, demande à en voir un sans donner aucune explication aux policiers. Ça te permettra de sortir de l’endroit qui sent la pisse, tu pourras parler de choc post-traumatique, du bobo à ton genou, de ton épaule qui fait un peu mal, etc. Le médecin est tenu au secret médical.

Quand c’est ton tour, donne ta carte d’identité. Si tu ne l’as pas, la vérification d’identité peut durer quatre heures, ce qui est très chiant parce que tes amis boivent des bières sans toi au Baron.
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LA GARDAVU
Si on te soupçonne d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni par une peine de prison, tu vas te retrouver en garde à vue (GAV).
On va te lire tes droits mais tu ne vas rien comprendre ni retenir parce que tu flippes ta race.
C’est le moment de retrousser ta manche et de demander à la personne face à toi si elle veut bien avoir l’obligeance de composer le numéro de portable de ton avocat pour qu’il vienne t’assister.

On va te poser des questions. Ne réponds pas. Dis juste que tu n’as rien à déclarer. On va te dire que comme tu n’as rien à te reprocher, il suffit que tu répondes à deux ou trois questions et puis tu pourras sortir rejoindre tes copains au Baron qui participent à l’enrichissement immodéré du petit commerce local puisqu’ils en sont à la cinquième tournée. Réponds que tu n’as rien à déclarer. Ou alors dis comme Julien Coupat : « L’État a peur, la DGSI se venge. » Mais bon. c’est Julien Coupat et il a l’habitude des gardes à vue et de la DGSI et pas toi. Donc, ne dis rien.

La police est plus forte que toi. Elle ne se laisse pas apitoyer. Elle ne se laisse pas impressionner. Ce n'est pas ton amie. Elle fait son métier et elle le fait bien d'ordinaire. Et puis actuellement elle est plutôt vénère et prend vite le bouilli. Compte les carreaux du lino et attends en silence.

On peut te demander de prendre tes empreintes et un peu de ta salive pour te mettre dans des fichiers secrets qui vont te suivre toute ta vie et t'empêcher d'être maîtresse d'école ou gardien de la paix. Tu peux refuser mais ça peut te causer des problèmes. Vois ça au préalable avec ton avocat.

On peut te demander le code de ton portable que l'on t'aura déjà confisqué. D'où l'intérêt de ne pas avoir de portable ou d'en avoir un sans contact enregistré.

Amandonné, ton avocat va arriver. Là, tu pourras craquer si tu veux. C’est ton seul ami. Fais tout ce qu’il te dit.
Après, c’est son job et les conseils de cette page s’arrêtent là.

Quelques trucs sur la GAV : tinyurl.com/lagardavu.

En fait, le mieux c’est de suivre le conseil de Dexter :, « Never get caught » (ne te fais jamais gauler putain !)
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CONCLUSION
Bonne manifestation à toi ! Profite de ta liberté, montre ta solidarité, rencontre des gens que tu n’aurais jamais croisés ailleurs.
La démocratie est née dans la rue. Toutes nos avancées sociales ont été conquises dans la rue. La rue est à ceux qui la prennent !
Vive la Liberté ! Vive la Fraternité ! (Pour l’Égalité, y’a du boulot.)

P.-S. Donne en commentaires tous les conseils que tu voudrais voir ajoutés à ce billet.

P.P.-S. Normalement je suis tous les samedi à 14h30 place de la Bourse à Bordeaux à côté du drapeau républicain espagnol. N’hésite pas à venir me claquer la bise. Et puis en fin de manifestation on pourra boire des bières au Baron et enrichir jusqu’à pas d’heure le commerce local en parlant du nouveau monde qui reste à construire.

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Photo : Daodi Yeti.



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