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[rue]  JE SUIS CRIEUR DE RUE (à Bordeaux)


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  • Subject: [rue]  JE SUIS CRIEUR DE RUE (à Bordeaux)
  • Date: Sun, 17 Feb 2019 09:45:37 +0100
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GILETS JAUNES ACTE XIV (acte 5 pour moi) -
 JE SUIS CRIEUR DE RUE. 

Suite à l'acte XIII et au compte rendu posté à cette occasion, j'échange avec Lore Dupuy qui avait posté elle-même un texte magnifique intitulé "Lettre à Macron", diffusé par mon ami Yak Wasabi. Elle me fait part de son action commencée lors de cette Acte XIII dont le but est de relayer, pendant la manifestation, les paroles des gilets jaunes par l'intermédiaire de crieurs de rue. Cet exercice se fait à la voix, sans micro et ce détail est important car il ne met aucune distance entre le crieur et le public et montre que le crieur donne tout ce qu'il a pour se faire entendre. Elle a donc lu, avec un camarade, des textes trouvés sur internet, témoignages de gilets jaunes sur leur vie, leurs colères, leurs revendications, leurs espoirs. Il s'agit de la recréation de ce qui existait lors de la Révolution de 1789. Cela existe toujours en Angleterre et aux Etats Unis. Lore Dupuy est une ancienne intermittente du spectacle, comédienne et metteur en scène, aujourd'hui éducatrice spécialisée. J'ai immédiatement trouvé cette idée géniale. J'y ai vu le moyen de faire entendre et de relayer, enfin, la vraie parole de ceux que l'on n'entend quasiment jamais (sauf au travers de quelques "représentants" qui ne représentent qu'eux mêmes), ou alors totalement déformée et dénigrée par les médias ; le moyen aussi de donner un peu de contenu à ces manifestations qui se déroulent globalement sans trop d'intervention. Nous nous sommes rencontrés jeudi dernier à notre "QG", La Cour des Mureine à Bègles, pour faire connaissance et choisir les textes. Ce samedi nous nous sommes donc lancés, Lore Dupuy, Yak Wasabi et moi-même. Nous avons commencé Place de la Bourse un peu avant le départ du cortège. Juchés sur nos petites caisses de vin, panneau "Crieur de Rue" en main (grâce au travail du meilleur pancartiste des manifs Boris Viande), nous crions un texte chacun notre tour. Ces textes parlent des difficultés des gens, du cynisme et du mépris de notre président face à ces difficultés, des raisons profondes qui ont fait descendre les gens dans la rue et qui sont très diverses (les injustices fiscales, sociales, l'urgence environnementale, l'incurie de nos hommes politiques, l'incroyable richesse d'un petit nombre contre l'incroyable pauvreté du plus grand nombre), des violences policières et de l'immense indifférence qu'elles suscitent. Beaucoup de gens autour de moi pensent que les gilets jaunes sont des beaufs, sans intérêt. Les textes que nous avons recueillis démontrent exactement le contraire. Et quand bien même ... quand bien même c'est gens qui ont eu le courage de se dresser, de relever la tête ne seraient que des "beaufs" comme ils disent, n'ont-ils jamais droit à la parole ; et je dirais même plus : n'ont-ils pas le droit qu'on les écoute ? N'ont-ils finalement droit qu'à notre mépris ? Parce qu'ils seraient des "beaufs", leur souffrance ne seraient pas légitime, pas même entendable ??? Il y a là, dans notre société, un mépris qui devient insupportable. Il y aurait finalement dans notre société des "sous-hommes" qui n'auraient droit qu'à la fermer car certains, une minorité, ont décidé qu'ils ne valaient rien. Il y a par ailleurs un malentendu au sujet de ce mouvement : les gens pensent que les gilets jaunes sont une sorte de parti politique. Or, c'est avant tout un moyen pour de simples citoyens d'exprimer leur refus ; le refus d'un monde qui les méprise, les exploite, les épuise. Hélas, même si une grande partie de l'opinion semblait soutenir le mouvement, dans les faits j'ai bien peur que rien ne change fondamentalement. L'indifférence reste malgré tout colossale, comme nous l'a montré la suite de notre expérience de crieur de rue. Après un petit succès place de la Bourse (mais avec un public évidemment acquis), nous avions décidé d'aller nous confronter à ceux qui ne défilent pas. Nous faisons une première intervention (en dehors de la manif) rue de la Merci, juste avant la place Saint Projet. Rue passante mais où précisément les gens ne s'arrêtent pas. Nous allons donc place Saint projet au moment où la manif passe rue Sainte Catherine et donc longe la place. Les gens s'arrêtent avec quelques gilets jaunes. Succès et attention sont plus significatifs. Puis nous remontons vers le Grand Théâtre. Nous nous installons tout d'abord au pied de la première horloge en venant de la rue Sainte Catherine, non loin des cars de CRS qui barrent l'entrée du Cour de l'Intendance. Bide total. Personne ne s'arrête. Les gens sont là pour faire leurs courses du samedi et rien d'autre ne les arrêtera. Même les CRS sont totalement indifférents. Nous décidons de nous positionner alors face au Grand Théâtre où un certains nombre de gens prennent le soleil sur les marches. Indifférence totale. Comme si nous n'existions pas. Grandeur et servitude du crieur de rue. Seule une personne handicapée viendra nous témoigner son soutien. Et nous avons eu droit quand même à un grand moment après que Lore ait crié sa "lettre à Macron" : un homme d'une quarantaine d'années est venu lui dire qu'elle ne disait que des conneries, que Macron travaillait 80 heures par semaine ... Quand Lore a tenté de lui expliqué qu'elle relatait les difficultés de beaucoup de gens, il a simplement répondu cette phrase magique : "C'EST LA VIE". A ce moment là, la personne handicapée a voulu intervenir et il a fui en ricanant. J'ai senti qu'il était hors de question pour lui de discuter avec ce "type" de personne ... Pourtant, il eût été éminemment intéressant d'échanger nos points de vue entre gens différents, handicapés ou non. J'aurais été extrêmement intéressé de savoir qu'elle était sa vie, à lui. Dommage... Après un moment de flottement dû, ne nous le cachons pas, à un certain découragement, la manif est revenue vers nous place de la Comédie. Nous sommes alors montés sur les marches du Grand Théâtre et après le show de la Batucada (toujours un grand moment), Lore a repris sa "Lettre à Macron". Enorme succès. De quoi faire vaciller le pouvoir en place. Plusieurs personnes sont venues nous témoigner leur reconnaissance. Puis la manif est repartie vers Pey Berland. Il était temps pour nous de plier les gaules. Cette expérience fût extrêmement enrichissante, pleine d'émotions mais aussi compliquée et parfois physiquement épuisante. Nous avons pu toucher du doigt (ou de la voix) l'immense indifférence de ce pays, essentiellement préoccupé à consommer et passer du bon temps ... pour ceux qui le peuvent. Je serai crieur de rue samedi prochain.

Hervé Despujols



  • [rue]  JE SUIS CRIEUR DE RUE (à Bordeaux), francoismary, 17/02/2019

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