Tribune. Le comédien Samuel Churin, membre de la Coordination des intermittents et précaires, décrypte les mesures d’économies annoncées par le gouvernement et leurs conséquences « sans équivalent dans l’histoire » pour les Français qui alternent petits boulots et périodes de chômage.

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Mardi 18 juin 2019 a eu lieu un événement qui fera date dans l’histoire des droits sociaux.

Mardi 18 juin 2019, ce n’était pas un appel plein d’espoir, pour organiser la résistance, mais des annonces qui constituent, sans aucune contestation, la plus grave attaque contre les plus précaires. Vous ne trouverez pas d’équivalent dans l’histoire.

Mardi 18 juin 2019, le gouvernement de France par la voix d’Édouard Philippe et Muriel Pénicaud, a osé décrire par le menu et très tranquillement la manière dont ils allaient faire plus de 3 milliards d’euros d’économies en trois ans sur les plus pauvres à travers la réforme de l’assurance chômage.

Il faut dire les choses très clairement : pour tous les salariés à l’emploi discontinu (sauf pour les intermittents), cette réforme est tragique. Vous pensez peut-être que j’exagère, que je surjoue la pièce. Et pourtant !

Je vais essayer d’expliquer assez simplement l’ampleur des dégâts. Le dossier est technique et bon nombre de travailleurs pauvres mesureront l’étendue du massacre uniquement lorsque la réforme sera appliquée en 2020. Je ne retiendrai que trois points parmi beaucoup d’autres :

1) Les critères d’accès

Aujourd’hui, pour accéder à l’assurance chômage dans le régime général (hors annexes 8 et 10), il faut avoir travaillé, au minimum, 4 mois sur les 28 derniers mois. Avec la réforme, la période de travail minimum pour accéder à l’assurance chômage sera donc ramenée à 6 mois sur 24.

Cela peut paraître négligeable ces deux « petits mois » supplémentaires, mais quand vous êtes un salarié avec des pratiques discontinues, c’est beaucoup. Et les intermittents du spectacle en savent quelque chose. Ce changement de critères d’accès empêchera des centaines de milliers de travailleurs de bénéficier de l’assurance chômage.

2) Le massacre du montant de l’indemnité journalière

Ce point est passé presque inaperçu. Et pourtant, c’est de loin le plus terrible :

Les indemnités chômage seront désormais calculées sur le revenu mensuel moyen du travail, et non sur les seuls jours travaillés comme aujourd’hui.

Cette phrase résonne comme une sorte de banalité mais elle aura des conséquences tragiques. Pour bien comprendre, lisez attentivement ce qui suit :

Actuellement, quelqu’un qui travaille 1 jour sur 2 au smic jour voit son indemnité calculée sur la base du smic jour. Donc le jour où il a un mois entièrement chômé, son indemnisation mensuelle sera basée sur le smic. Et il en va de même s’il travaille 1 jour sur 3. Pour calculer l’indemnité journalière (IJ), on se base sur son prix de journée travaillée.

Dorénavant, avec la réforme, ce salarié à travail discontinu aura son indemnité calculée sur la base d’un demi-smic s’il travaille 1 jour sur 2, d’un tiers de smic s’il travaille 1 jour sur 3, etc.

Pour bien comprendre, si ce mode de calcul était mis en place pour les intermittents, l’immense majorité des indemnités journalières ne dépasserait pas 20 euros soit 600 euros par mois en cas de mois entièrement chômé !

3) Le malus pour les employeurs de salariés aux pratiques discontinues

Le bonus-malus fonctionnera de la manière suivante : plus le nombre de salariés qui s’inscrivent à Pôle emploi après avoir travaillé pour une entreprise est important par rapport à son effectif, plus une entreprise paiera de cotisations patronales à l’assurance chômage.

Cette façon de faire est en place aux États-Unis (merci Mathieu Grégoire pour l’info) et a des conséquences bien perverses à commencer par le non-recours aux droits. En clair, un deal est passé entre l’employeur et son salarié afin que ce dernier ne s’inscrive pas à Pôle emploi. Ainsi l’employeur ne paye pas de malus pour le salarié, en échange de quoi il lui promet de lui donner du travail. Si le salarié ne se plie pas à cette demande, il ne l’embauche plus. Le non-recours aux droits sera une « belle » manière, assez radicale, de faire des économies sur le dos des plus fragiles.

Vous l’aurez compris j’espère, cette réforme est la plus importante baisse de droits et de « pouvoir d’achat » jamais appliquée en France. Elle est ciblée principalement contre les plus fragiles des précaires.

Et pourtant : le chômage étant une telle honte, les chômeurs étant considérés comme des parias coupables d’être au chômage, cette attaque ne déclenchera aucune manifestation importante.

Nous, intermittents du spectacle, sommes épargnés. Nous savons, intimement, en quoi l’assurance chômage est essentielle pour nos vies. Nous pouvons, mieux que quiconque, mesurer le désarroi, la détresse, et l’extrême pauvreté dans laquelle nos collègues intermittents de l’emploi seront confrontés.

Nous avons été épargnés pour cette fois, mais nous ne resterons pas éternellement protégés dans notre réserve d’indiens, à l’écart de cette politique néolibérale qui exclut systématiquement les plus pauvres. L’assurance chômage nous concerne tous.

Faisons en sorte, au moins en diffusant l’information, que cette réforme soit dénoncée et que ce gouvernement réponde de ses actes.