La ministre du travail Muriel Penicaud (à
gauche) et le premier ministre Édouard Philippe lors de l'annonce de la
nouvelle réforme de l'assurance chômage, le 18 juin 2019. Lucas
Barioulet/AFP
Sur le plateau de BFM TV, face à Jean‑Jacques Bourdin, la
ministre du travail Muriel Pénicaud a déclaré le 19 juin : « Si on ne
fait pas d’économies, dans 10 ans on n’aura plus de quoi indemniser les
chômeurs ». Cette phrase-choc fait suite à plusieurs discours approximatifs qui ont pour objectif
de légitimer un plan de réduction des droits des chômeurs (à hauteur de
3,4 milliards d’euros).
La réforme annoncée touche en effet en premier lieu les allocataires,
alors que plus de la moitié des inscrits à Pôle emploi ne perçoivent déjà aucune indemnisation. Elle rehausse
de 4 à 6 mois de la durée minimale d’activité requise pour être
indemnisé, dans les 24 derniers mois au lieu des 28 derniers mois. Par
exemple, une personne qui a occupé un emploi entre janvier et mai 2017
ne pourra plus prétendre être indemnisée, bien qu’elle ait cotisé à
l’assurance-chômage. La reprise d’un emploi de courte durée durant la
période de chômage ne permettra plus de prolonger la durée
d’indemnisation, sauf si le contrat excède 6 mois.
Autre mesure prévue : les indemnités-chômage seront comptées d’une nouvelle façon. Au lieu de prendre les
salaires journaliers en référence (multipliant les salaires perçus
chaque jour de travail par le nombre de jours du mois, ce qui protège
les personnes avec des contrats courts ou émiettés), le gouvernement
entend prendre le salaire mensuel pour base (la moyenne des salaires par
jour, en comptant les jours sans salaire).
Ainsi, une personne qui a travaillé 10 journées pour 500 euros, soit
50 euros quotidiens, est indemnisée sur la base des 50 euros multipliés
par 30 jours dans le mois. Sa base fictive d’indemnisation est à 1 500
euros, pour une durée bien sûr très réduite. Désormais, elle touchera
une allocation calculée à partir de 500 euros pour le mois entier, quel
que soit le nombre de jours travaillés, c’est-à-dire divisée par
trois.
Ces orientations sont rapportées par la ministre à un impératif
budgétaire. Qu’en est-il vraiment ?
Un rapport de force bouleversé
Avant tout, qu’est-ce que l’assurance-chômage ? Il s’agit d’une
institution qui récolte des fonds auprès d’actifs chaque mois, afin
d’indemniser ceux qui ont perdu un emploi. À sa tête, l’Unédic assure la
gestion quotidienne. L’assurance-chômage repose sur une logique de
risque (chacun participe un peu au cas où il perdrait son emploi), de
mutualisation (les secteurs en expansion aident les secteurs en
difficulté), de contribution (le niveau d’indemnisation dépend des
derniers salaires) et de redistribution (les faibles salaires sont mieux
indemnisés que les hauts salaires).
L’allocation d’aide au retour à l’emploi n’est pas un secours payé
par la collectivité aux chômeurs, mais un droit ouvert aux salariés une
fois qu’ils ont mis une certaine somme au pot commun. En somme, c’est
leur argent qui leur revient. Cependant, l’allocation médiane,
c’est-à-dire que la moitié des chômeurs gagnent plus tandis que la
moitié perçoivent moins, est de 950 euros.
Les versements effectués aux chômeurs dans ce cadre proviennent de
deux sources : la cotisation des employeurs prélevée sur les salaires
(4,05 % du salaire brut) ainsi qu’une partie de la CSG activité (1,47
point). Cette dernière a remplacé au 1er janvier 2019 les
cotisations salariées – à part pour quelques catégories comme les
intermittents du spectacle ou les salariés monégasques. Le régime
d’assurance-chômage est donc composé de flux financiers différents. L’un
regroupe les cotisations patronales, assises sur les salaires. L’autre
est voté chaque année par le parlement, via la loi de financement de la
sécurité sociale.
Cependant, le remplacement des cotisations salariées par la CSG a
bouleversé le rapport de force : désormais, seuls les employeurs (qui
acquittent les cotisations) et l’État (qui gère la CSG) ont leur mot à
dire. Les représentants des salariés ont été placés en marge du processus. Le statut des chômeurs
se joue donc désormais essentiellement entre les organisations
patronales et le gouvernement. Cette réforme de l’assurance-chômage est
d’ailleurs la première depuis 1982 à être intégralement décidée par l’État
seul.
Manœuvres financières
L’Unédic est-elle donc en crise ? Pas du tout ! Sa situation
financière est même plus qu’équilibrée, si l’on retient uniquement la
tâche d’assurance. En effet, pour 2019, les bilans comptables prévoient
2 milliards d’euros de manque dans les caisses de l’Unédic. Mais
précisons que cette dernière est contrainte de verser 10 % des
cotisations recueillies à Pôle emploi pour des frais de fonctionnement. Cela représente plus de 3
milliards d’euros annuels, transférés de l’assurance-chômage à Pôle
emploi (55 % des frais de fonctionnement de ce dernier – les salariés
financent deux fois plus Pôle emploi que l’État).
Cela correspond aussi exactement au montant que le gouvernement
entend faire supporter aux chômeurs. En conséquence, sans cette ponction
discutable et indépendante des chômeurs, le budget est excédentaire d’1
milliard. Au bout du compte, l’ensemble des contributions d’actifs
suffit à couvrir l’ensemble des indemnités versées aux chômeurs. Le
régime contributif fonctionne et se finance seul. En cessant d’imputer
le financement de Pôle emploi à l’assurance-chômage, il y aurait même
assez de ressources pour verser une prime exceptionnelle de 150 euros à
chacun des 6 millions d’inscrits.
L’amélioration du solde de
l’Assurance chômage confirme que l’équilibre de moyen terme est
assuré. Unédic
Cette situation structurelle s’ajoute à des manœuvres financières
plus discrètes, comme la substitution décalée de la CSG et des
cotisations-chômage. Ainsi, en 2018, la hausse de la CSG sur tous les
revenus a été décrétée au mois de janvier, alors que les cotisations
chômage n’ont été baissées d’un montant comparable qu’en octobre. Ces
neuf mois d’intervalle ont permis de lever près de 6 milliards d’euros…
qui ont été soustraits à l’Unédic pour financer le budget étatique. Cela
représente près du double de la somme annuelle que veut récupérer le
gouvernement avec sa réforme !
Dans l’état actuel de ses prérogatives, l’Unédic connaît un déficit
depuis 2008. La grande récession économique, suscitée par la crise
bancaire privée, a durablement bloqué le niveau des emplois et les
salaires, amputant des ressources. L’assurance-chômage est en effet
cyclique : lorsque la situation de l’emploi est favorable, elle
provisionne des excédents, tandis qu’elle subit des pertes lorsque la
situation de l’emploi est défavorable. Contrairement à une idée reçue,
elle n’est pas spécialement généreuse par rapport autres pays
européens. En Belgique, en Italie, au Portugal, au Luxembourg, en Suisse
ou en Allemagne (avec enfant), le montant d’indemnisation-chômage à
l’inscription est plus élevé qu’en France.
« Politique des caisses vides »
L’invitation à couper dans l’indemnité des chômeurs est toutefois
contradictoire. D’un côté, le gouvernement annonce la diminution à 8 %
du taux de chômage (au sens du BIT). Comment peut-il simultanément
agiter le spectre d’une dégradation des comptes de l’assurance-chômage,
malgré un surcroît d’emplois et, donc, de financement ? Ce paradoxe est
renchéri par les prévisionnistes de l’Unédic, qui jugent probable un
retour à l’excédent pour 2021. Où est l’urgence à rogner les droits des
allocataires ? S’agirait-il plutôt de profiter du déficit maintenant
pour comprimer les revenus des chômeurs, avant tout retour à l’équilibre
?
D’autant que plusieurs mesures politiques récentes ont accru les
difficultés de financement de l’assurance-chômage. D’abord, une «
politique des caisses vides » a largement réduit les cotisations
disponibles, en jouant sur deux leviers. D’une part, la suppression des emplois aidés et l’explosion du nombre
de travailleurs français en situation de détachement a réduit le nombre de
cotisants, tandis que le recul de l’âge de la retraite a accru le nombre
de chômeurs allocataires.
D’autre part, le gel des salaires dans la fonction publique (point
d’indice) et le secteur privé (smic) ont bloqué le volume de
cotisations. La facilitation du recours aux contrats hors CDI, via les
ordonnances Pénicaud, est aussi venue renforcer les déséquilibres
financiers de l’assurance-chômage. En 2015, les cotisations tirées
d’emplois en CDI rapportaient 29 milliards d’euros, tandis que les chômeurs ayant
perdu un CDI recevaient 19 milliards d’euros d’indemnisation. Le ratio
s’inverse totalement pour les détenteurs de CDD ou d’intérim, qui
reçoivent bien plus d’allocations qu’ils n’ont le temps d’en verser
durant leurs emplois temporaires.
Dans ces conditions, la résilience de l’Unédic est plutôt flatteuse…
et les mesures gouvernementales qui figurent dans la réforme pour tenter
de juguler les contrats courts apparaissent non seulement
contradictoires, mais légères. L’ajout d’une taxe de 10 euros sur les CDD d’usage ne représente
jamais qu’une heure de smic brut en plus sur un contrat de plusieurs
semaines… surtout avec l’exonération prévue de deux gros secteurs
pourvoyeurs, le bâtiment et la santé.
Les profits du déficit
De plus, les 3,4 milliards d’économies sur les chômeurs feront sans
doute l’objet de vases communicants. Une partie des individus exclus de
l’assurance-chômage s’adresseront aux départements ou au régime
d’assistance pour faire valoir leur éligibilité à des prestations de
survie. Alors que le nombre de chômeurs représente plus de 20 fois le
nombre d’emplois disponibles, l’inéligibilité aux indemnités-chômage va
les conduire soit à la paupérisation, soit à l’assistance publique, soit
aux deux.
Mais le débat achoppe aussi sur la notion de déficit. Un déficit
désigne une situation où les dépenses d’argent excèdent les recettes.
Or, les discours publics actuels focalisent uniquement sur le volet «
dépenses » (trop élevées), en oubliant le volet « recettes ». Pourtant,
les cotisations patronales n’ont presque pas évolué depuis 2003, fixées
alors à 4 % du salaire brut. Elles pourraient même baisser encore
bientôt, puisque la contribution patronale exceptionnelle de 0,05 %
instaurée en octobre 2017, est censée expirer avant le 30 septembre
2020. Les chômeurs paient-ils aujourd’hui un futur cadeau fiscal offert
à certains employeurs ?
Les déficits de l’Unédic sont-ils un problème pour tout le monde ?
Non, bien sûr. Au lieu de passer par la dette publique, l’Unédic a émis
ses propres titres financiers afin de lever les fonds nécessaires dans
les années de pénurie. Un montant de 35 milliards d’euros s’est ainsi
accumulé, au terme de plusieurs années de crise de l’emploi. Forte de ce
fonds, l’Unédic est entrée sur les marchés financiers. Dans ce
système opaque, le directeur de l’Unédic lui-même explique ignorer « qui sont les vendeurs et les acheteurs » des
produits financiers.
Au bilan, certains ménages ou sociétés ont acheté de la dette Unédic
et se sont enrichis par l’argent des cotisations sociales ou de la CSG,
à hauteur de 400 millions d’euros annuels d’intérêts. C’est le cas de Sicav-Fis, fonds luxembourgeois qui détient environ 8
millions d’euros en titres de l’Unédic… et pratique l’optimisation
fiscale dans son pays d’origine. L’assurance-chômage est donc aussi
devenue un terrain d’investissement lucratif. Ce que les employeurs ne
versent pas en cotisation est donc payé, au prix fort, sous forme de
taux d’intérêt.
Auteur
- Hadrien
Clouet
Chercheur postdoctorant,
CENTRE DE SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS, associé au LABORATOIRE
INTERDISCIPLINAIRE POUR LA SOCIOLOGIE ECONOMIQUE, Sciences Po – USPC
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