Ces lieux collectifs de vie et de culture, pionniers des nouvelles politiques de démocratisation culturelle, sont paradoxalement ceux qui se trouvent actuellement menacés. • Crédits : Thomas SAMSON – AFP Un jour certaines expressions-mantras entrent dans le vocabulaire des politiques culturelles. Après "l’élargissement des publics", "l’irrigation des territoires" et la sacro-sainte "démocratisation culturelle", aujourd’hui ce sont les "tiers lieux" qui ont la cote. Ces "nouveaux lieux du lien social, de l’émancipation et de l’initiative collective" sont à la pointe des ambitions nationales en matière de culture. Ils avaient d’ailleurs été choisis pour représenter la France à la dernière biennale d’architecture de Venise en 2018, à l’époque où Françoise Nyssen était en poste au ministère de la Culture. Paradoxalement, ce sont des lieux pionniers de cette nouvelle politique culturelle, qui se trouvent actuellement menacés. À titre d’exemple, le centre culturel Mains d’œuvres à Saint-Ouen, incarne, au fond, un avenir qu’on aurait tort d’insulter. C’est ma théorie. Sous une pluie battante, mardi dernier, on envoyait les forces de l’ordre pour expulser les résidents du site artistique Mains d’œuvres (Seine Saint-Denis) et le mettre sous scellé. Or, Mains d’œuvres, constitue précisément un prototype de "tiers lieux" depuis une vingtaine d’années. On y expérimente une programmation artistique émergente en association avec des résidences d’artistes peu coûteuses et des activités pluridisciplinaires encrées dans le fameux « territoire ». Bref le laboratoire de Mains d’œuvre a toute une science de la friche culturelle et du "tiers lieu" à transmettre. C’est d’ailleurs à ce titre que Juliette Bompoint, directrice du site est censée intervenir aujourd’hui même dans le cadre du forum "Entreprendre dans la culture" organisé par le ministère de la Culture et la ville d’Arcueil. "Les tiers lieux : quels modèles et rôles dans le Grand Paris ?" voilà l’intitulé de cette table ronde. Au moment où il est reconnu comme modèle et source d’inspiration, le site de Mains d’œuvres est donc expulsé, ce n’est pas le moindre des paradoxes… Pour rappel : l’association qui gère Mains d’œuvres a refusé de quitter les lieux après le non renouvellement du bail par la ville - qui veut en faire un Conservatoire. Depuis la situation s’est crispée, au point donc de déclencher une expulsion et une mise sous scellés avant même la décision de justice en appel prévue en décembre prochain. L’action du maire de Saint-Ouen, William Delannoy, adossé à celle de la Préfecture, revient à railler purement et simplement cette expérience culturelle de la carte, sans trouver d’alternative. Posant au passage la question d'un" patrimoine expérimental" source de modélisations. Communiqué du ministre de la Culture, mobilisations devant la mairie de Saint Ouen ce samedi, tribunes et pétitions en cascade : l’affaire ne cesse de prendre de l’ampleur. Elle dépasse le cadre local puisque Franck Riester, le ministre de la Culture, qui "regrette qu'une solution amiable n'ait pu être trouvée", propose une médiation du ministère pour mettre un terme au conflit. Des personnalités comme l’ex ministre de la Culture Jack Lang, des artistes, mais aussi d’autres lieux culturels "jumeaux", en France, se sont engagés dans la bataille de Mains d’œuvres : Le 6b à Saint-Denis, La Halle Papin à Pantin, Le Chabada d’Angers, Le Fil à Saint-Etienne, Le Jardin Moderne à Rennes, l’association du Festival Marsatac à Marseille, ou encore le cinéma indépendant La Clef dans la 5e arrondissement de Paris. Un cinéma précisément menacé lui aussi. Divers collectifs ont donc décidé de l’occuper et continuent de le faire vivre. Refusant de quitter les lieux avant d’avoir "la confirmation écrite et orale, et devant témoins journalistiques et juridiques, que ce cinéma restera un cinéma indépendant, et un cinéma associatif avant toute chose ". Tandis qu’une inquiétante "fracture culturelle" traverse le pays, l’enjeu serait donc de favoriser demain des lieux pivots. Incarnation sur le terrain non pas de la vieille "démocratisation culturelle" mais d’une nouvelle participation démocratique à la culture. Ce serait insulter l’avenir que de se passer des lieux qui ont justement ouvert cette voie. Je trouve cependant dommage que le ministre de la culture propose une médiation une fois le lieu sous scellés alors que le conflit avec le maire de Saint-Ouen dure depuis plusieurs années et que la menace de fermeture avait déjà émergé il y a deux ans, en octobre 2017. "Les friches culturelles sont des utopies concrètes" > Les amateurs de musique, de fanzines et d’art contemporain connaissent l’histoire du Confort Moderne à Poitiers. “Ça existe depuis 40 ans !”, Fazette Bordage, créatrice de la première friche culturelle française > Bonne journée d’automne, François |
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