L'article de Sandrine Blanchard / Le Monde ce
lundi 27 avril :
Artistes et techniciens se mobilisent pour que
des mesures soient prises afin de ne pas être radiés de Pôle
emploi en raison de la crise due au Covid-19.
De nombreux festivals d’été ont été annulés à
cause de la crise sanitaire due au Covid-19 (ici, la scène du
Théâtre de la mer dans le cadre du festival Jazz à Sète, en
juillet 2018).
Une « année blanche » pour surmonter l’« année
noire » : depuis quelques jours, la mobilisation des
intermittents du spectacle monte en puissance pour réclamer
une solution radicale face à la situation catastrophique dans
laquelle la crise liée au coronavirus a plongé durablement le
secteur culturel.
Afin d’éviter qu’une partie importante des
intermittents du spectacle, du cinéma et de l’audiovisuel se
retrouvent à court terme sans ressource et radiés de Pôle
emploi, deux pétitions qui se sont rejointes (collectifs «
Année noire » et « Culture en danger »), réunissant près de
200 000 signatures à la date du lundi 27 avril, ainsi que
plusieurs syndicats, réclament l’instauration d’une « année
blanche » pour tous. Cela consisterait à prolonger de douze
mois (à compter de la date de réouverture des lieux de
spectacle) les droits à l’assurance-chômage afin de laisser le
temps à tous les projets remis en cause de pouvoir redémarrer.
« C’est la seule solution pour éviter l’hécatombe sociale et
culturelle, pour éviter de mourir », insiste le comédien
Samuel Churin, membre de la Coordination des intermittents et
précaires.
Noire, l’année 2020 l’est et le sera au moins
jusqu’à l’automne : la mise à l’arrêt, depuis dimanche 15
mars, des salles de spectacles, de cinéma, des théâtres, des
répétitions, des tournages et l’annulation en série des
festivals et événements du printemps-été ont stoppé net toute
possibilité pour les artistes et techniciens de travailler et
d’acquérir les 507 heures annuelles nécessaires à l’ouverture
ou au renouvellement de leurs droits au régime spécifique de
l’assurance chômage (annexes VIII et X). A cela
s’ajoute l’absence de visibilité sur la date à laquelle
les lieux pourront de nouveau accueillir des spectateurs.
Dans son dernier avis relatif à la sortie progressive du
confinement, rendu public samedi 25 avril, le conseil
scientifique Covid-19, chargé de conseiller le chef de
l’Etat, indique : « Il est nécessaire de maintenir fermés
ou interdits tous les lieux et événements qui ont pour
objet ou conséquence de rassembler du public en nombre
important, qu’il s’agisse de salles fermées ou de lieux en
plein air. »
Deux mesures d’urgence
Pour l’heure, deux mesures d’urgence ont été
prises : les intermittents dont la date anniversaire (ouvrant
les droits) tombe entre le 1er mars et le 31 mai verront leurs
indemnités prolongées de trois mois. Et la période de
confinement sera « neutralisée » pour le calcul des 507
heures. « Les premières mesures ne règlent le problème que
pour quelques semaines », souligne Denis Gravouil, secrétaire
général de la Fédération nationale CGT des syndicats du
spectacle. « Que fait-on après le 31 mai ? »
« Nos métiers ont des fonctionnements
particuliers faits de caractère saisonnier (les festivals de
printemps et d’été), et de calendriers contraints (la plupart
des salles de spectacle ont leur programmation engagée pour la
saison 2020-2021 depuis le mois de février). Ainsi, la plupart
des spectacles ou des projets reportés ne pourront se réaliser
au mieux qu’un an à un an et demi après la réouverture des
salles de spectacle », explique la lettre ouverte envoyée au
président de la République, à l’initiative du metteur en scène
Jean-Claude Fall. Venue compléter les pétitions, cette lettre
est signée par une flopée d’artistes, d’administrateurs de
festivals et de compagnies.
Jeudi 23 avril, devant la commission des
affaires culturelles de l’Assemblée nationale, Franck Riester
a reconnu que « la culture traverse une crise sans précédent.
Je ne sais pas si les mots peuvent être suffisants pour
décrire la situation dans laquelle nous sommes, étant donné la
paralysie du secteur. C’est terrible en termes économique,
social, sociétal, car la culture est essentielle ». Lors
de son audition, le ministre de la culture a promis de «
faire évoluer les dispositifs d’urgence, y compris après le
31 mai, pour maintenir l’accompagnement et n’oublier
personne ». Interrogé par plusieurs députées sur l’idée
d’une « année blanche », il a esquivé la question et n’a pas
pris position.
« Cette “année blanche” paraît nécessaire et
légitime, considère Michèle Victory, députée socialiste de
l’Ardèche, sinon on se dirige vers une grande exclusion et
beaucoup de personnes au RSA dans moins d’un an ». Pour elle,
cette proposition d’« année blanche » est « simple » : « On
repart, pour douze mois, sur la même base des indemnités
versées l’année précédente. » Au sein de La République en
marche (LRM), on reconnaît que le calcul des 507 heures est «
un sujet ». « On ne sait pas quand et comment le
secteur culturel pourra reprendre. Il y a un besoin de
clarification sur l’effet de la neutralisation de la
période de confinement. L’idée est quand même de protéger
les intermittents », reconnaît la députée LRM de la
Seine-Saint-Denis, Sylvie Charrière.
« Une remise des compteurs à zéro »
Pour les pétitionnaires, le mécanisme d’« année
blanche » « est en quelque sorte une remise des compteurs à
zéro ». Cela revient à faire comme si l’année 2020 n’avait pas
existé. L’Unédic serait alors appelée à prendre comme
référence l’exercice 2019 pour permettre à chacun de reprendre
son souffle. « Cette solution a le mérite d’être simple,
claire et relativement peu onéreuse, la plupart des
intermittents auraient, en effet, dans des circonstances
normales, reconstitué leurs droits comme ils le font
habituellement », indique la lettre ouverte. Si rien n’est
fait, « cela reviendrait à ce que l’assurance-chômage fasse
des économies sur le dos des intermittents », affirme Denis
Gravouil.
Samuel Churin, comédien : « Tous les spectacles
reportés du fait du confinement vont boucher l’entrée aux
nouvelles créations pendant près d’une saison »
A Franck Riester, qui ne cesse de répéter qu’«
il n’y aura pas de trous dans la raquette », les
pétitionnaires font valoir que la recommandation d’une « année
blanche » lui permettrait « de réduire les coûts financiers en
gestion humaine et financière, de ne pas empiler les calculs
compliqués et de ne pas multiplier les solutions imprécises ».
Se souvenant avoir « vendu 78 dates de
représentations » lors de son dernier Festival d’Avignon,
Samuel Churin redoute une « déflagration » dans le domaine
du spectacle vivant. « Tous les spectacles reportés du fait
du confinement vont boucher l’entrée aux nouvelles créations
pendant près d’une saison », prévient-il. Devant la
commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale,
le ministre s’est dit « conscient du drame vécu », tout en
reconnaissant qu’en attente de la doctrine nationale en
matière de règles sanitaires, il n’avait pas « les réponses à
toutes les questions ».
Un fonds exceptionnel de solidarité
« Le plus dur va être de convaincre Bercy et la
ministre du travail, Muriel Pénicaud », redoute Denis
Gravouil. « Sur ce coup-là, Franck Riester a une carte
politique à jouer. Il sera celui qui sauve le système… ou qui
l’enterre », résume Samuel Churin. Le comédien rappelle
qu’en 2004, Renaud Donnedieu de Vabres, l’un de ses
prédécesseurs rue de Valois, avait sauvé le système de
l’intermittence sans attendre l’arbitrage de Bercy. « Il
devrait l’appeler », sourit-il.
Dans un courrier adressé mercredi 22 avril à
Franck Riester, les députés socialistes et apparentés de la
commission des affaires culturelles demandent un fonds
exceptionnel de solidarité de 300 millions d’euros pour les
artistes et techniciens. « En 2004, dans une période déjà
explosive pour les intermittents du spectacle, un fonds
similaire avait été mis en place pour douze mois et avait
ainsi permis de sauver de la déroute la majorité des
artistes », soulignent-ils.
Pour l’heure, le fonds d’urgence est de 22
millions d’euros. « On est loin du compte et je ne suis pas
très optimiste, glisse Michèle Victory. Pourtant, on ne peut
pas à la fois dire que la culture est essentielle et ne pas
mettre les moyens pour la sauvegarder. »
Sandrine Blanchard