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Re: [rue] Réflexions en 2020 d’un artiste moyen.


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  • Subject: Re: [rue] Réflexions en 2020 d’un artiste moyen.
  • Date: Fri, 1 May 2020 20:43:33 +0200

Bien sûr, 
Le texte est déjà sur FB sur mon mur



Réflexions en 2020 d’un artiste moyen.


Je suis un artiste statistiquement moyen. Je ne suis pas assez vieux pour faire autorité, ni assez jeune pour être émergeant. En terme de revenus, je suis assez éloigné des minimas pour ne pas faire pitié, mais encore loin d’intéresser le trésor public. Même mes oeuvres sont moyennes. Je n’ai pas encore réalisé assez de choses pour vous assommer avec l’ensemble de mon travail. Toutefois, quand je regarde ce que j’ai accompli, j’éprouve certains jours un sentiment de satisfaction.
Médiatiquement - car c’est souvent l’échelle utilisé pour nous jauger - je suis moyen aussi. La presse et la télé régionale savent qui je suis. Sur les réseaux, des inconnus parfois  me disent apprécier mon travail. La presse spécialisée me tutoie, mais ne me porte pas particulièrement aux nues.
En terme de reconnaissance des pairs ou des politiques culturelles, encore une fois : moyen. Je bénéficie au coup par coup d’aides locales, et les « experts » qui auscultent mes compétences portent une attention mesurée sur mes projets culturels.
Artistiquement en prenant un peu de recul,  je me situe sans surprises dans la moyenne. Je ne fais pas partie des génies ou des précurseurs. Même dans la pratique de mes instruments, je ne suis pas virtuose. Mais pas un manche non plus. Par travail, hasard, conviction ou les trois réunis, il m’arrive régulièrement d’être satisfait de mes créations.
Enfin, dans le patrimoine culturel qui nous appartient à tous, je n’ai pas une place aussi importante que Bowie, Trenet, Houellebecq ou Jul, mais j’aime à penser cependant au couple qui s’est rencontré lors d’un de mes concerts, aux compliment reçus lors de mes spectacles de rues, à la présence de quelques unes de mes chansons dans les playlists de gens que je ne connaît pas.

Moyen, moyen, moyen. 
Si mon cas devait se retrouver dans le conseil de classe des artistes, je ferais partie des élèves sur lesquels on ne s’attarde pas. Et si je ne pose pas de problèmes, on ne va pas non plus être dithyrambique sur mes qualités. 
Évidemment, nous sommes nombreux dans ce cas. La classe moyenne artistique en France est imposante. Elle est éditée, publiée, exposée, diffusée dans des audiences pondérées, dans des lieux provinciaux ou petites salles de la capitale.
Nous faisons danser tes parents dans les bals, jouons en première partie pour s’assurer que tout le public soit chaud et présent pour la tête d’affiche. Nous exposons nos toiles dans ton centre socio-culturel, et dans ton club house. Nous jouons dans ta salle des fêtes, ou à même le bitume de ton centre-ville.  Si ton fils veut apprendre la guitare ou le dessin, souvent c’est nous aussi. Quand on a besoin de jouer une chanson pour mémé, d’une fanfare pour la manif du premier mai, d’un coup de main pour enregistrer une vidéo ou re-décorer le préau de l’école : nous, encore.
Une majorité artistique silencieuse qui vient chanter dans la classe de ton gosse, ou qui offrira un spectacle de Noël aux migrants de ta ville.
Nos noms ne te dirons absolument rien sur les pétitions. On mettra en haut les signataires les plus populaires et reconnus de nos congénères. Tu verras Matthieu Chedid, Olivier Py ou Omar Sy. C’est tout à fait normal et médiatiquement intelligent.

Attention, je ne suis pas jaloux du tout ! J’aime ma place.

Je suis très fier d’être dans cette moyenne. En 2019, par exemple, je m’y sentais particulièrement bien. 
Mais 2020 : nous voilà vérolés.
Toutes mes représentations de cette année sont annulées. Si je regarde autour de moi c’est la débandade aussi pour les collègues. On s’accroche comme on peut sur le « chômage partiel », et encore, pour ceux qui ont de la chance d’avoir un employeur qui fait le boulot.
Les gestes barrières demandent à tous les artistes du spectacle vivant de se ré-inventer pour la sortie du confinement. Beaucoup de spectacles ne seront plus adaptés. Ça nous donne l’occasion de créer de nouvelles choses, c’est sûr. Mais dans l’urgence, nous sommes énormément fragilisés.
Les plus faibles d’entre nous vont prendre très cher, et basculer de la précarité à la pauvreté. 
À ce sujet, ne croyez pas le gouvernement dans les médias. Oui, bien sûr il existe quelques aides. Mais dans le domaine de la culture, pour les plus petits, elles sont encore insignifiantes.
Cependant, l’état ou les régions dans de nombreux cas maintiennent les subventions aux structures culturelles chargés de la diffusion, pour ne pas les fragiliser économiquement.
Et là, ces structures, ne savent pas quoi faire. Impossible de remplir une salle, c’est interdit. L’artiste prévu ne peut prendre l’avion ou passer la frontière, les hôtels sont fermés etc.
Tout se reporte à plus tard.
Devant cet imbroglio, les structures culturelles sont dans une léthargie fort compréhensible.
Et pendant ce temps là, tout le monde s’emmerde dans son appartement, s’inquiète pour son avenir, fait un douzième barbecue dans son pavillon en attendant la fin du confinement.
Et moi, je crève d’envie de faire ce que je sais faire, mon métier d’artiste, pour les gens près de chez moi. 
Alors, j’ai envie de dire aux diffuseurs : « Faites nous confiance ! »
Nous les artistes locaux, aux ambitions simples et au talent honorable.
N’attendez pas ! Faites nous jouer pour les balcons, conter au bout d’une ligne de téléphone.
Exposez-nos oeuvres à l’hôpital, incluez nous dans des actions culturelles informatisées.
Embauchez-nous en crieur public, en danseurs de rues, en street-artist. Nous autres, artistes du coin sommes les seuls à pouvoir apporter un peu d’art tout de suite autour de nous !
Quel subventionneur osera critiquer vos interventions artistiques d’urgence ?
Et surtout : embauchez-nous ! Beaucoup d’entre-nous ont déjà commencé bénévolement à le faire, mais on ne tiendra pas longtemps.
Des initiatives existent ici ou là déjà. Bordeaux embauche quelques crieurs public par exemple.
Aujourd’hui, si je sors dehors avec ma guitare, je risque 250 euros d’amende. 
Avec le même budget, si vous m’embauchez, moi ou un de mes collègues, on peut jouer la journée en respectant la loi du travail.
Je sais que vous êtes en train de vous concerter, de réfléchir entre vous, on souhaite vous aider nous aussi.
Il y a tant à inventer dès maintenant ! Et cet été aussi ! Faites-nous confiance, je le répète. Permettez-nous d’essayer de nouvelles choses, de nouvelles formes. 
Après tout, la relocalisation culturelle, c’est possible aussi. 
Plus tard, le virus éradiqué, vous pourrez revenir à un certain élitisme dans vos choix. Si je suis artiste, même moyen, c’est aussi parce que vous m’avez permis de voir des génies dans leur domaine.
Les temps sont durs, mais vous pouvez compter sur nos petits bras.


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