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[rue] Jeanne Balibar ce matin sur FI


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  • Subject: [rue] Jeanne Balibar ce matin sur FI
  • Date: Mon, 22 Jun 2020 11:20:09 +0200

Ce matin, Jeanne Balibar était invitée dans l'émission "Boomerang", sur France Inter.

"Les mots sont des mots et les baisers sont des baisers" dit Camille à Perdican dans "On ne badine pas avec l'amour". Cette phrase, on l'entendait souvent dans les cours de théâtre : elle me fascinait.
Espoirs de baisers qui soient des vrais baisers, sans doute, espoirs de mots qui soient la promesse d'un amour vrai, d'un avenir dans l'art, d'une vraie vie...
Aujourd'hui, j'entends Assa Traoré dire, en réaction aux propos du Président de la République : "Ce sont des mots... nous voulons de actes, pas des mots !"
Et je songe à ce gouvernement avec qui, quand les mots sont des mots, cela ne désigne pas une promesse, mais une trahison.
Je songe à ce monsieur cynique dans son fauteuil ministériel qui, après les manifestations, tapote "la violence n'a pas sa place en démocratie et rien ne justifie les débordements survenus ce soir à Paris".
Qui fait comme si la violence était du côté de ceux qui la dénoncent pacifiquement.
Qui semble jouir de vider les mots de leur signification.
Je songe à cette jouissance pratiquée à plusieurs.
Car ce monsieur cynique, c'est aussi celui qui est assis dans son fauteuil ministériel, Rue de Valois, et qui photographie les colonnes de Buren, sous ses fenêtres.
La place est vide, le ciel est bleu, le cliché lui plait... pourquoi se priverait-il du plaisir de le poster sur Instagram, assorti de la légende "Le Palais Royal, son jardin, ses colonnes de Buren... un lieu magique chargé d'histoire, qui reprend vie au cœur de Paris" ?
Ce monsieur cynique-là qualifie de lieu magique son ministère, où aucun travail n'aboutit, aucune vision n'est déployée...
Ce monsieur cynique-là sait bien que, sans un plan d'ensemble chiffré, c'est l'amputation annoncée pour l'art chargé d'histoire dans notre pays.
Il se le laisse assez dire par les tribunes qui se succèdent, et dans lesquelles chaque secteur de la vie culturelle vient, tour à tour, expliciter l'urgence.
Mais, c'est un monsieur cynique... alors, il calcule que c'est précisément la fragmentation qui va lui permettre de laisser les gens parler dans le vide.
Et il prépare son tour de passe-passe : faire croire qu'il a obtenu 1,3 milliard pour la culture, quand il ne s'agit que de 400 millions à saupoudrer ici ou là...
Et comme c'est un monsieur cynique, il se paye le luxe de poster la photo de l'entrée de son ministère entièrement déserte -plus mort, on ne fait pas !- avec la légende "Ça reprend vie !"
Il paraît que c'est excitant de faire de la provocation... pour ce monsieur cynique, sans doute !
La partage-t-il, cette excitation, avec ce monsieur cynique ébouriffé, assis à sa gauche, à la table d'un simulacre de consultation en bras de chemise, qui se conclura par "c'était très émouvant... Catherine, Énora, allons chercher du jambon et du fromage" ?
Ce monsieur cynique-là aussi a bien fait ses calculs : il a calculé qu'on n'y verrait que du feu, qu'en fournissant aux réseaux sociaux une punch line sur un tigre et une autre sur un sandwich, il détournerait l'attention de l'indigence des annonces et de son silence criminel sur le sort des intérimaires.
Ce qu'on y a vu, c'est l'absence de sensibilité, d'un horizon, d'un espoir, d'hypothèse philosophique...
Mais, ce monsieur cynique qui est assis dans son fauteuil présidentiel, s'en moque éperdument.
Depuis 3 ans, c'est ce même procédé dont il paraît tirer jouissance.
Faire semblant d'écouter, faire semblant d'être dans une agora, où il revêtirait, comme dans du mauvais théâtre, des mimiques de scènes de genre : costume de mimiques "spécial Gilets Jaunes", "spécial Équipe de France", "spécial Monde de la Culture" !
Revêtir ces costumes et puis, recourir à une formule en la vidant de son sens concret.
Et puis, ne rien faire, si ce n'est laisser le champ libre à la destruction de tout ce qui est notre bien commun.
Que tous ces messieurs cyniques prennent leur jouissance où ils veulent : ce n'est pas mes oignons !
Mais, dans ma fréquentation des arts, j'ai appris que le cynisme est la mort de toute qualité et que vider une phrase de son sens concret, c'est se condamner à être mauvais.
Si on ne pense pas à un vrai petit chat qui est vraiment mort, quand on dit "le petit chat est mort", ce qu'on fait, ça ne vaut rien !
Si on dit "je ne laisserai personne au bord de la route", et qu'on abandonne 2,2 millions de personnes à l'aide alimentaire, on est juste un cynique qui veut faire carrière.
Si on dit "la santé doit sortir de la loi du marché", et qu'on fait semblant de s'occuper de l'hôpital public, pareil !
Si on dit "la Culture, on y va, on s'engage !", et que l'on ne fait rien, c'est encore pareil !
J'ai aussi appris que le public sait faire la différence.
Oui, que tous ces messieurs cyniques prennent leur jouissance où ils veulent !
Pour être des tartuffes, ils n’en sont pas moins hommes et ils ont leurs démons, c'est bien normal !
Mais, qu'ils ne détruisent pas les êtres humains qui ne sont pas comme eux.
Et qu'ils ne détruisent pas les lieux où l'on peut, comme dit Ariane Mnouchkine, "révéler les dieux et les démons qui se cachent au fond de nos âmes, ensuite transformées, pour que la beauté transfigurant nous aide à connaître et à supporter la condition humaine. Et supporter ne veut pas dire subir, ni se résigner."

Jeanne Balibar
France Inter - lundi 22 juin 2020

https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-22-juin-2020?fbclid=IwAR3D4bjR8DfYmpnO186O6fTsSeEMBENdGgRlp5pjSjYBwOcd_WdhOxazvzM

 

Bravo, merci Jeanne Balibar. Bonne journée,

François

 




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