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[rue] La covid-19 et la culture : une affaire politique (1)


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  • Subject: [rue] La covid-19 et la culture : une affaire politique (1)
  • Date: Sun, 21 Feb 2021 11:22:43 +0100
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La covid-19 et la culture : une affaire politique

 

Trois forces en interaction : l’effort de garantir la santé publique, l’effort de satisfaire les exigences privées des capitalistes, l’effort d’accroître la puissance de l’État. La santé de tous, le profit de quelques-uns, le pouvoir oligarchique, convergent certes vers une disparition de la démocratie mais pas seulement[1]. Toutes les bizarreries, les contradictions, les absurdités apparentes, se laissent expliquer par une combinaison de ces trois éléments.

La culture (au sens artistique large) est située dans ce champ de forces, comme une cible privilégiée en ce qu’elle conteste radicalement le fait de la société emprisonnée dans un immense camp de travail où les seuls loisirs prescrits sont l’achat de marchandise et le culte religieux. La vraie culture est la liberté à l’état créatif, et non la consommation d’images produites pas le spectacle de la marchandise. La culture a pour contraire non pas la nature ni l’ignorance mais la domination.

 

De l’intérêt politique et économique de semer la panique

L’Institut National des Études Démographiques publie chaque semaine des statistiques des décès liés à la covid-19[2]. Au 4 février 2021, 81.6 % des morts de la covid ont plus de 70 ans. 59.2 des morts de la covid ont plus de 80 ans. 6.5 % des morts de la covid ont de 20 ans à 59 ans (dont 4.6 % pour les 50-59 ans). Chez celles et ceux qui ont moins de 20 ans : zéro mort. Si la notion de pandémie signifie une maladie qui touche toutes les catégories de populations, alors la covid n’est rien d’autre qu’une épidémie, certes grave, mais ce n’est pas une pandémie[3].

Cette épidémie donc est amplifiée en une terrifiante pandémie. Politiquement, la différence entre épidémie et pandémie tient au seuil d’acceptation. La pandémie implique un seuil très élevé d’acceptabilité à l’égard des mesures restrictives de liberté ; tandis que l’épidémie est corrélée à un seuil très bas, si bien que les restriction ne sont pas tolérées.

Cette exagération première engendre une multitude d’exagérations. Par exemple, le 29 octobre 2020, le président de la République déclare que l’absence de confinement peut provoquer 400000 morts. D’où sort-il ce chiffre visiblement extravagant ? Chacun a conscience de la dramatisation entretenue par le gouvernement et les médias, tout comme si nous avions affaire à une nouvelle peste[4] (la peste médiévale a pu tuer une personne sur deux ; on en est très très loin). Chacun voit bien la tentative de retourner la responsabilité : les hôpitaux sont débordés par la faute des malades, et pas par la destruction des services publics hospitaliers continuée par le président de la République.

D’où l’importance de tout ce qui contribue à une sidération suffisante : il faut semer la panique afin d’éviter que ne s’accroisse le nombre de ceux qui ont compris la supercherie. Une énormité devient, répétée cent mille fois, une vérité indiscutable. Une police de la pensée s’efforce de disqualifier l’analyse critique traitée de complotiste, d’irréaliste ou d’égoïste.

Il y a une autre source à cet emballement d’exagérations : poser le premier mensonge (affirmation de la pandémie) oblige à l’étayer en permanence, par d’autres mensonges, selon une logique de l’engrenage. Le reconnaître coûterait trop cher en crédibilité politique.

À quoi servent toutes ces exagérations ? À dissimuler la responsabilité du gouvernement dans l’affaiblissement des hôpitaux publics. À fournir un terrain psychologique d’anxiété, d’angoisse, voire de panique, très favorable à l’acceptation d’une dictature politique (appuyée sur l’abus de pouvoir de la bureaucratie étatique et sur l’impunité publiquement affirmée de la police).

L’action du président de la République a une finalité principale : servir le secteur privé, accroitre les profits des capitalistes, détruire les services publics, promouvoir la guerre de tous contre tous, favoriser les plus riches, privatiser les bénéfices et publiciser les pertes. Ces buts impliquent d’écraser la contestation par la répression policière : mutilation, matraquage, interdiction de fait des manifestations, rend dérisoire la vie politique à coup de culpabilisation, de paternalisme et d’infantilisation.

C’est dans ce contexte de guerre de l’État contre les pauvres – et contre une certaine société – que l’épidémie de covid-19 apparaît comme une aubaine, une opportunité formidable pour faire avancer les intérêts des grands groupes privés. L’épidémie est la continuation de la politique par d’autres moyens[5]. La suspension de la démocratie est un élément de la stratégie du désastre[6]. L’amplification de la peur accroît l’acceptation des mesures les plus violentes ou les plus arbitraires. La violence policière est chargée de maintenir dans un état de stress toute une population assaillie par ce simulacre de peste[7] ; d’où la fonction stratégique du discours de la « pandémie » et des autres exagérations. D’où aussi le sentiment d’être cerné.

Garantir la santé publique des travailleurs demeure une finalité subordonnée à celle d’entretenir le système de l’exploitation capitaliste. L’hygiénisme a toujours été motivé par le souci d’accroître la force de travail, aucunement par philanthropie[8]. Dans ce dispositif, l’accroissement du pouvoir de l’État est un but important mais en partie subordonné aux exigences des grandes entreprises.

Grâce à l’état d’urgence sanitaire, le président de la République peut transformer la société de fond en comble – l’exigence de privatisation, aussi idéologique et désastreuse soit-elle, est rabâchée par les conseillers du président[9]. Mais les rapports entre l’État (c’est-à-dire ici le désir d’être réélu) et le capital ne sont pas exempts de point de conflit.

JJDelfour

[1] Cf. « Le grand confinement du capitalisme : le triomphe de l’État sur l’économie ? » dans De virus illustribus. Crise du coronavirus et épuisement structurel du capitalisme, A. Jappe et alii, éd. Crise et critique, août 2020, p. 69-71.

[2] https://dc-covid.site.ined.fr/fr/donnees/france. Sur le site officiel, https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus, ces statistiques-là n’apparaissent pas (consulté le 14 février 2021).

[3] Barbara Stiegler, dans De la démocratie en pandémie. Santé, recherche, éducation, Paris, Gallimard, 2021, p. 3-5, cite l’analyse de Richard Horton, rédacteur en chef de The Lancet, qui déclare : « Covid-19 is not a pandemic » (volume 396, 2020, p. 874).

[4] On retrouve ici un schéma mental actif dès 1350 : le virus actuel, comme la peste, vient de l’Asie. 

[5] Cf. Clausewitz : « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » (De la guerre, 1832).

[6] Cf. Naomi Klein, La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2008. « Seule une crise – réelle ou supposée – peut produire des changements » écrit Milton Friedman (page 14).

[7] « À la différence de ce que suggère dans nos imaginaires le terme de pandémie, un mal qui frapperait tout le monde partout et n’importe quand (…), ce virus ne peut avoir de conséquences graves, dans l’immense majorité des cas, que sur des organismes déjà affaiblis, soit par le grand âge, soit par des facteurs de comorbidité » B. Stiegler, Op. cit., p. 6.

[8] Cf. Gérard Jorlan, Une société à soigner, Paris, Gallimard, 2010.

[9] Cf. François Krug, McKinsey, un cabinet dans les pas d’Emmanuel Macron, dans Le Monde, 5 février 2021.




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