moi je me sens tout noir, jusqu’aux os !!
Bleu, un sourire conciliant aux lèvres, regardait tour à tour ses deux interlocuteurs, attendant calmement que l’un d’eux prenne la parole. Il siégeait si dignement sur sa partie de la petite table ronde, que tout semblait montrer qu’il présidait à la réunion. Il poussa un discret soupir, acceptant qu’il lui revînt d’entamer la conversation, et posa soigneusement ses mains sur la table. — Il vous faut comprendre que dans ces moments difficiles, nous devons préserver nos alliés. Une équipe travaille là-bas à l’année pour tenter de sauver le festival malgré des réticences de plus en plus affichées. Tout est dans la tension entre Éclat et les élus, et croyez bien que les mieux placés pour gagner cette bataille, ce ne sont pas les compagnies en ordre dispersé, mais bien l’équipe, et plus particulièrement la direction du festival. L’idée d’une invasion, plus encore que de l’ingérence, relèverait de l’empêchement. Considérez ceux qui sont à convaincre, et les moyens les plus adaptés de le faire. Face à un préfet qui se soucie de la santé publique et de la sécurité, tout rassemblement corroborerait l’idée qu’il se fait de la dangerosité de l’événement. Vous ne changerez rien par un rapport frontal. C’est en diplomates qu’il faut gérer ce conflit, à force de discussion, d’argumentaire, en donnant des gages de sérieux. À ce titre, je pense que les mieux placés pour infléchir la situation en notre faveur sont l’association des Cnarep et la Fédération nationale, appuyés par la Faiar, Artcena, notre représentante à la Sacd, et tout ce que la profession peut compter d’institutionnel et de politique, en appui de la direction. La situation est exceptionnelle. Nous changeons d’époque. Il est pourtant encore possible de recouvrer les valeurs qui ont porté notre mouvement l’an prochain. En revanche, appeler à une convergence débridée, c’est faire la démonstration de notre incapacité collective à « organiser le chaos », comme le disait si bien Jean Marie Songy. Nous avons besoin d’une organisation pour canaliser la fronde, qui, légitimement, fera peser de son poids la balance en notre faveur. C’est un combat d’ordre politique contre un adversaire plus puissant que nous. Et c’est par la diplomatie que nous allons le gagner. Avachi sur la table il s’était comme endormi, la tête sur les bras. Il secoua ses cheveux, et ses yeux d’un gris perçant semblèrent fouiller à travers Bleu. — C’est des putain de conneries tout ça, grogna -t-il. Sa voix rocailleuse prit de l’ampleur. Déjà la menace du : « le festival va mourir si vous faites ça », c’est n’importe quoi, il est comment là le festival ? Ça ferait pas deux ans de suite, là, qu’il est annulé ? S’il est pas déjà mort il est quoi, en PLS ? Moi je peux te le dire : pour les compagnies qui y trouvaient leurs dates, depuis deux ans, il est tout à fait mort, le festival, ça ouais ! Et ils pèsent comment de leur poids politique les gentils bleubleu, depuis deux ans ? Hein ? C’est la fédé, avec ses petits bras qui va le sauver ? Elle arrive même pas à faire une AG, tu crois quoi ? Les Cnarep ils peuvent rien faire, tu peux pas mordre la main qui te nourrit. Et les autres parasites, sacd, artscéna mes couilles, ils n’ont aucun pouvoir, à par celui de toucher des jetons de présence grâce à leurs copineries de Parisiens ! C’est vrai ou c’est faux ? Mais faut se réveiller putain ! Se réveiller ! Si on doit crever crevons la tête haute, que ce soit nous qui le tuions le festival, ça vaudra toujours mieux que si c’est eux, comme depuis deux ans, dans le silence général ! Debout la rue ! Debout les rebelles ! Debout les artistes, les saltimbanques, les rêveurs, les inventeurs, les alternatifs, debout la puissance créatrice ! On va pas se laisser marcher sur la gueule éternellement par ces connards de préfets, on est le peuple, on est libres, cette démocratie représentative de merde est malade à en crever, on le sait bien, le monarque décide, les petits soldats courent après, et nous, notre taf, notre vie, notre responsabilité, elle appartient à qui ? Elle nous appartient, bordel ! Moi j’en ai plein le cul de ce monde fascisant, je ne me laisserai pas QR-coder sans rébellion, j’aime trop la liberté ! Rien ne marche, tout est absurde, c’est le bal du grand n’importe quoi ! Ils penseront quoi de nous, nos gamins, quand ils verront qu’on a accepté tout ça tout docilement comme des clebs, et qu’ils vivront dans un néofascisme sanitaire ultra sécurisé pour les vieux riches de connards qui font du blé avec leur blé ? Putain ce monde nous fait gerber alors faisons le savoir ! Que toutes les compagnies, tous les artistes, tous ceux qui sont libres, fiers, bravaches, insoumis, déferlent à Aurillac, et le voilà le putain de poids politique, le poids politique c’est de débouler là-bas et de jouer ! Partout ! Tous, en même temps, de jouer bordel ! D’envahir la ville et de montrer à ce connard que tout autour de l’ENA, il y a la RUE ! C’est notre place, c’est notre vie, et personne ne nous en empêchera, nous en deux secondes on arrive et on débarque avec le gros son, on s’installe tous le long de la Jordanne, les flics aiment moins charger quand on installe une teuf le long d’un fleuve, tu vois ce que je veux dire ? L’apéro Facebook, ça les fait déjà flipper, mais là c’est pire ce qu’on va leur foutre, c’est la Zone Artistique à Défendre, on va leur mettre un putain de feu de joie, cette année Aurillac, c’est Notre-Dame-des-Cendres ! Assise sur le buffet, elle les regardait se faire face, Bleu, d’une droiture impeccable, et Noir, voûté dans une flamboyante rébellion. L’impasse. Elle bondit sur ses pieds et ils la regardèrent subitement, comme tombée du ciel. — Le bordel généralisé sera aussi stérile que les atermoiements politiciens, posa-t-elle calmement. Elle vint poser ses poings sur la table. Les rassemblements sont interdits et ne mèneront franchement, au vu des forces en présence, qu’à l’affrontement avec les CRS, nous décrédibilisant. Le seul rassemblement massif, propre à faire une presse positive en faveur de nos idées, unifiant les artistes et les spectateurs citoyens, et ceci sans passe sanitaire, ce seul rassemblement que nous puissions obtenir légalement, c’est une manifestation. Il est temps que nous nous rappelions de ceux qui ont fait nos conquis sociaux, à commencer par l’intermittence elle-même. Et jusqu’à la prolongation de l’année blanche ! Il est temps de se rappeler que ceux qui font le lien entre vos deux positions inconciliables, dans la loi, ce sont les seuls qui peuvent monter à la table des négociations : les syndicats. Appuyons nous sur la CGT spectacle. Bien sûr tout le monde va, encore, au nom d’une détestation bien pensante, les conspuer. Mais merde, vous le savez bien, qu’au fond on leur doit tout. Envahissons-les, changeons-les, mutons-les ! Servons-nous de ce qu’ils ont de meilleur, la capacité organisationnelle, la confiance des institutions, et lançons des manifs artistiques encore plus déjantées que les manifs de droite, inventons, débordons, soyons subversifs ! Occupons ! Défilons ! Réunissons-nous sur place, au dernier moment, n’organisons rien à l’avance ! On n’a pas besoin de berger, je crois en l’intelligence collective, et quand bien même le collectif est parfois con, il est le seul à être légitime. Tous ceux qui vous diront de les suivre vous manipulent. On se retrouve sur place. On est un mouvement social. On ne parle qu’au nom du bien commun. De la liberté dans l’espace public. De la liberté de vivre, de s’exprimer, de nos droits culturels ! Avignon, Cannes maintenus, feux d'artifices maintenus sans pass sanitaire, Aurillac annulé? Le rendez-vous ultime, c’est l’ouverture du festival, mercredi 18 août. Le week-end tout le monde aura des dates. Donc le grand rencard, c’est le mardi 17 à Aurillac, on occupe le Parapluie. On s’organise mardi, et on défile le mercredi. Un truc fou, légal, subversif, monstrueux, légitime, et on fait retentir nos voix comme jamais, sans violence, malins, agiles ! Là on est efficaces ! Là on a le peuple, le bon sens, et la presse avec nous ! Derrière la porte, Blanche porta la main à sa bouche et se mordilla les phalanges. Elle n’en perdait pas une miette, mais elle ne parvenait pas à trancher. Tous les arguments lui tournaient en tête sans qu’aucun lui semble l’emporter. Le mieux était sans doute d’attendre, de ne pas trop s’engager, c’était dangereux pour la compagnie, puis, de voir vers où le vent allait tourner. Elle était prête à suivre. — Il y a ceux qui ne veulent pas faire d’histoire. Et ceux qui sont prêts à la faire.
Chtou Capitaine de l'espace artistique de Qualité Street
-- Pour gérer votre abonnement, c'est par ici : http://www.cliclarue.info/#tabs-6Pour consulter les archives, c'est par là : http://listes.infini.fr/cliclarue.info/arc/rueEt pour râler, c'est ici :
" class="">
Compagnie Albedo 2bis, boulevard de la Perruque 34000 Montpellier
|