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RE : [rue] Aurillac, nous sommes revenus


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  • Subject: RE : [rue] Aurillac, nous sommes revenus
  • Date: Fri, 20 Aug 2021 21:50:28 +0200 (CEST)
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merci Chtou avec tes descriptions je vous vois
avec les verbes je vis vos actes 
avec les mots qui font du bien 
avec des liaisons qui me relie
avec ton je qui fait unité 
j'ai vu le bel horizon qui revient toujours 

Antoine Le Menestrel 
Le : 20 août 2021 à 14:20 (GMT +02:00)
De : "Chtou Gildas puget via rue Mailing List) " < >
À : "Liste Rue" < >, " " < >
Objet : [rue] Aurillac, nous sommes revenus


Quand nous sommes arrivés à l’Espace des Carmes, après avoir emprunté les rues silencieuses du début d’après-midi, la grande salle était presque totalement vide.

Seules, autour d’une table, quelques personnes nous regardaient en souriant. 

Nous les avons rejoints, et le vide autour de nous a pris corps, les murs semblaient lentement s’éloigner, et le peu que nous étions, le si peu, nous est apparu dans toute son immensité. Aurillac 2021, la grande Manifestive, l’incontournable rendez-vous de la liberté et des arts de la rue commençait ici…

Et il commençait mal.


Je vais te raconter un grand moment d’histoire, mon frère, mais avant tout il faut que je m’excuse. Je vais oublier des noms, quantité de noms. Une myriade de personnalités ne seront pas citées parmi ceux que j’ai croisés, dont je me souviens des visages, mais ne connais pas les noms. Il te faudra les imaginer, ces gens, cette foule qui va venir, partout autour des mots, comme dans les nuits du temps d’avant, quand nos heures et nos rues étaient libres et communes.

Et quant à toi, si je t’ai appelé mon frère, ma sœur, j’espère que tu n’en prendras pas ombrage, ce serait dommage, parce qu’évidemment, tu es mon frère, et pour moi tu l’as toujours été, bien entendu. Je t’ai dit ma fraternité depuis si longtemps dans cette écriture que les nouvelles me paraissent laides et étrangères. Si tu m’aimes au point que je t’aime, tu me le pardonneras.

Sache également, mon frère donc, mon frère d’art, qu’il est bien probable que ce que je te raconte soit éloigné de la réalité. Tu sais comme moi, toi qui ériges des cathédrales d’histoires, que les mots traduisent le réel à nos cœurs, et que nos cœurs battent avec le monde. C’est au rythme de ces tambours qu’une fiction comme la nôtre se doit d’être entendue.


La grande salle était vide. Julien était là, venu du petit village de Marcolès, non loin d’Aurillac, où nous avions joué la veille. Le jeune homme impressionné que j’ai connu il y a quelques années a grandi en assurance, et compte parmi notre tribu à présent. Une belle jeune femme à la peau mate nous accueille, elle se nomme Maëva, et ses yeux sont profonds comme un songe. Je découvre, tandis que nous nous présentons, Anaïs et Clémentine de la Fédération. Subitement, j’associe un corps à ces noms dont je n’avais connaissance que par la correspondance. Clémentine, les cheveux blonds et orangés, un pantalon coupé de noir et blanc, porte la pétulance sucrée de son nom, et Anaïs, le regard franc, arbore un sourire capable au-dessus de son t-shirt l’Art est public. Toutes deux sont dynamiques et positives, nouvellement embauchées au sein de notre fédé, leur mission commence à grande vitesse, avec deux assemblées générales, une manifestation improvisée, un contexte politique dévasté et un renouvellement du conseil d’administration dès les premiers temps. J’apprécierai, dans les heures qui suivront, leur efficacité et leur dévouement. 

Nous nous attelons à mettre en place tables et bancs, dans l’espoir qu’ils se remplissent, puisqu’une cinquantaine de personnes est attendue.

Une cinquantaine. Une misère, pour une manifestation.


La grande salle est vitrée, et d’un côté comme de l’autre, nous voyons des policiers défiler sans arrêt. Par petits groupes, fusil d’assaut à la main, ou en voitures lentes et suspicieuses, leur présence est constante.

On dit que des CRS sont postés non loin de là. Cette débauche de force publique est sans rapport avec notre petit nombre, mais contribue à électriser le sentiment d’exception qui nous tient tous au ventre.

Nous sommes rejoints par d’autres guerriers. Cédric des FFF, tout d’abord, les épaules larges, que j’ai plaisir à voir. Nous nous étions appelés avant tout cela, nous exhortant l’un l’autre à faire savoir notre envie de rébellion tout autour de nous, à convaincre toutes les compagnies croisées à rejoindre la fronde, c’est un homme engagé et clair. Voilà ceux qui font Aurillac, le voilà, le ventre. Voilà ceux qui allument les vivats des foules, dressent les ovations debout, ceux qui érigent le off en plus grand festival de France, ni historiques, ni contemporains, ni subventionnables, ni faiar-compatibles, voilà pourtant ceux qui font la rue aujourd’hui.

Rapidement, avec ses amis, nous mettons en place toute la salle, tandis que nous sommes rejoints peu à peu par de nouveaux camarades.

Parmi nous, des figures historiques apparaissent, qui portent avec elle l’histoire du mouvement, et qui sont les gardiennes de leur esprit premier. Caty Avram, forte et disponible, est de celles-ci. 

Le temps se fige un instant. Je vois à quel point nous faisons nombre, nous sommes égaux, nous sommes puissants.

Je suis frappé par la marque du temps, oui, nos anciens ont bien veilli. Comme nous. 

Mais je les regarde, parmi la jeunesse, ouverts, aidants, agiles, ils n’ont aucune prétention, ils sont populaires, ils sont toujours là, vivaces.

Jeune, j’étais profondément intimidé. À présent que la maturité m’est bien malgré moi imposée, je suis profondément fraternel. 

Nous décidons avec Bélinda de décharger la structure. 


Excité au plus haut point par la tournure des événements, ce sentiment si cher à mon cœur de cohésion du mouvement, je sens monter en moi la joie du chien fou, et je me jette sur le matos.

Dès le premier fly, porté à bout de bras, je ressens une déflagration de douleur dans les lombaires. Glaçante, la réalité me douche subitement.

Oui, nous avons tous bien vieilli. Je viens de me péter le dos.

Dès lors, je devrai faire avec une douleur constante, et le moindre pas me coûtera. Serrant les dents, je ne peux abandonner. 

Julien tente de joindre tous les ostéopathes de Marcolès. L’équipe des FFF se saisi des flycases comme s’ils ne pesaient rien et vident le camion en dix minutes. Les gens me regardent avec stupeur et pitié avancer par pénibles demi-pas. Qu’importe. On doit aller au bout.

L’atelier pancartes commence, et il s’agit de trouver des dizaines de slogans pour en distribuer au maximum de monde, et même au public qu’on espère avec nous demain. J’apprécie la vivacité d’esprit de David Cherpin. Espiègle, il a le mot fin, et sa bonne humeur est communicative. Nous commençons à faire groupe.

« Aurillac, sans toi, on ne sème plus »

« Nous c’est le public, le préfet c’est la raie »

« Prenez soin de votre liberté »

« Aujourd’hui demain s’écrit »

« Pas d’Aurillac, pas de Salers »

On fait de nos rages des éclats de rire.


Vient le temps du repas. Jean Claude Tisserand me donne des nouvelles de sa fille en Bretagne. Pierre Berthelot me confie une clef USB. Sur celle-ci, un son de Jean Gorges Tartare. Demain soir, nous devrons trouver un temps pour lui faire un hommage, au séquoia du Jardin des Carmes, il me confie la mission de trouver le moyen de sonoriser le texte, enregistré en juin, peu de temps avant sa mort. Son dernier texte. 

Pierre est touché, cela se sent. Je suis honoré de sa demande. 

Nous sommes bien cinquante, oui. Je ne sais plus le nom de cette jeune femme aux cheveux crépus, qui a été nous acheter du rouge, mais le grand Baloo du festival d’Olt est là, avec sa faconde verte et ses tatouages liserons, les gars de Paris Bénarès, bronzés et la clope au bec ont amené leur Oiseau, elle, elle a des couettes rouges, lui, une chemise colorée, voilà Les Arts Oseurs, et ce pianiste empathique, nous nous retrouvons dehors, Pierre Pélissier est là avec ses bacantes et son accent qui roule, il est 19 h passé et le temps de la réunion est venu.


Comme cela traine je pousse la voix pour qu’on commence, cela me plait cette liberté, on sent que même si la fédé est à la logistique, le mouvement nous appartient à tous, fédérés ou pas. 

Olive-Didier Super est arrivé, cet homme est d’une empathie rare, et la grossièreté populaire de son personnage s’accorde à merveille avec notre tableau : nous formons déjà un groupe hétéroclite de personnalités fortes, de grandes goules, d’artistes en tout genre, les tronches, les gueules, les styles se mélangent et les vannes fusent.

Serge Calvier donne le cadre, c’est lui qui a déposé la manifestation et fait le repérage avec les autorités. 

Comme d’habitude quand il parle c’est trop long, on a envie de le couper et de sortir une blague ou de s’énerver sur un détail, mais les tiroirs s’ouvrent les uns après les autres, et le plus énervant c’est que tout ce qu’il dit est essentiel, il est synthétique en diable, efficace, indispensable, c’est Serge, iconique, chemise rouge et longs cheveux gris, le plus syndical de nos piliers, et on a hâte qu’il finisse d’expliquer. 

Amédée est là avec sa dégaine de sportif, Alex de la cie de l’autre porte toute son humanité dans les yeux, Nadège Prugnard prend la parole.

Elle fait de belles phrases et sa voix de fumeuse impose ses basses, son verbe un peu bourgeois nous fait du bien, il élève le débat, et il souffle une émotion de puissance et de fermeté. Perrine le lui rend bien, sa chevelure en panache, les yeux doux, on la sent poète et comédienne à la fois, les rôles se distribuent et elle pourra lire un texte debout sur un piano mobile. Nos sœurs ont du chien.

Jean Luc est arrivé, il reste discret. Il savoure probablement la passation, et laisse le fil se dérouler à son aise. Fred Rémy aussi passe, mais sans intervenir. J’essaie de recadrer le débat, on sent que beaucoup ont envie de s’exprimer, parfois juste pour exister. L’intelligence collective n’est pas à la hauteur de l’envie de participer, coute que coute, aux aboiements de la joyeuse meute.

David est là pour intervenir habillement. Un gars aura un ampli dans le dos et improvisera en toute liberté de la musique techno, il a la rébellion chevillée au corps. Bertrand a amené 60 casques HF et pourra coordonner autant de personnes pour scander des textes simultanément. Alixem viendrait avec un mur de son. Parmi nous, un type des RG essaie d’être invisible, mais tous nous l’avons repéré. Il faudrait le pass sanitaire au début de la manif, place Michel Crespin ? Tout le monde s’insurge, il y a un énorme consensus anti-pass, dans chaque bouche il est hors de question qu’on s’auto contrôle, des menaces d’insurrection grondent, un débordement à la préfecture est évoqué, tout reste possible.

Il faut du monde pour encadrer la manif. La discussion part dans tous les sens, Dominique Trichet me fait signe que nous devrions conclure. Il est incroyable, voûté, sec comme un olivier, mais le regard étincelant, il est venu avec une cloche de pestiféré pour la faire tinter quand il veut jeter de l’huile sur le feu. On se dit qu’on mettra tout en place demain après-midi, juste avant de partir. Le brassage d’idées prend fin, quantité de gens ont pu s’exprimer, et nous avons formé un groupe, aussi étonnant qu’il puisse paraître. 

Une réalité s’impose : nous sommes extrêmement peu. 

Nous espérons tous être plus nombreux demain, mais qu’importe, à mes yeux, nous avons déjà gagné. Ceux qui sont là représenteront les autres. Et s’il y a des débordements, est-ce que ce n’est pas légitime ?...


Je pars me coucher, pas à pas, et dans mes yeux restent les images de cette famille professionnelle qui n’a pas d’égale… François Mary, mal rasé… Paco Bialek sourire aux lèvres… Bruno de Beaufort souple et élégant… Laetitia, son fils sur les épaules… Plusieurs anciens stagiaires… Le directeur du cnar de Villeurbanne dont je ne connais pas le nom… Deux spectateurs qui viennent tous les ans revoir mes spectacles, et qui ont fait 300 bornes pour nous soutenir… Des jeunes, beaucoup de jeunes. Beaux, motivés, bigarrés… Rue des carmes, bras dessus bras dessous avec Bélinda qui me soutient, nous sourions en échangeant quelques mots complices. Elle a décidé de partir en collage sauvage cette nuit, avec des textes, des affiches, des engagements qui nous concernent… Est-ce que ce n’est pas légitime ?


Le matin révèle un soleil éclatant et un ciel parfaitement dégagé, dans un air frais et agréable. Nous rejoignons la grande salle pour l’AG.

À mon heureuse surprise, nous sommes nombreux, très nombreux, bien plus nombreux que je l’espérai. Sur le parvis, on se croirait à l’espace pro, à Jules Ferry, le mercredi soir. Le maire est là, nous nous saluons, je le sais apprécier mes spectacles, la dernière fois que je l’ai vu, il m’a payé un demi, c’était l’année dernière quand nous étions venus jouer malgré l’interdiction. J’apprends que le fameux préfet du Cantal est venu à Marcolès il y a deux jours. Il n’avait jamais vu de spectacle de rue. Il avait réservé pour les Barges et pour moi, l’après-midi.

Je me souviens alors de mon speech de fin. Aux remerciements, je me suis mis à moquer tous les préfets de France, et leurs décisions aléatoires, je me foutais bien de leur gueule, en les chargeant et la foule était morte de rire.

Le préfet, lui, était assis quelque part parmi eux…

Je ne suis pas sûr d’avoir fait du bien à la cause ! À la fois au moins, le voilà dans le vrai bain.

L’adjoint à la culture est là, il vient me parler, nous nous sommes vus hier, des Aurillacois aussi, venus soutenir la cause, je ne sais plus où donner de la tête, je connais tout le monde, j’aurais envie de parler avec tout le monde, j’essaye d’avoir un temps avec chacun, mais il faut papillonner sinon je vais en rater trop, François Baraize est là, et Fatma est venue, il y a Jackie bien sûr, figure emblématique d’Aurillac, le régisseur du off depuis les débuts, cet homme est un vrai philosophe, un humaniste à la pensée qui vous prend par la main et vous serre sur son cœur.


Pour rentrer, c’est super long, les filles distribuent les procus à tour de bras, on trouve une place avec Bélinda en haut des gradins, bondés.

Jean Luc lance l’AG de sa grosse voix, on sent qu’il est heureux d’arriver enfin au bout de son mandat, il en profite même pour tacler, pour se défouler joyeusement, et envoyer chier ceux qu’il mésestime, comme Artscénaze. Il est libre. Laetita, comme d’habitude, est précise, intelligente, et sa parole est claire et animée. Les bilans moral et financier sont votés hyper massivement. Court moment où on lit la joie et la fierté dans les yeux de ceux qui ont tenu la fédé, sous les applaudissements. Trop court à mes yeux, quel beau travail accompli dans ces temps délétères, bénévolement, au service du bien commun... 

Mais vous savez, je l’espère, auquel point nous vous sommes reconnaissants, comme des frères le sont, sans trouver les mots et le moment pour le dire, profondément.


Et vient le temps du débat. Face aux gradins, le Maire, son adjoint à la culture, un autre type qui restera silencieux derrière son masque, et Fred Rémy.

La tension monte. Les interventions fusent, Marie Do vibre d’émotion quand elle dit notre colère, notre désespoir, des témoignages de festivals, d’artistes, la foule se rue sur les mots et les bouscule, le micro a peine à suivre les mains qui se lèvent pour intervenir, on sent dans le gradin la colère des arts de la rue. En face, le Maire, parfois attaqué nommément et violemment, assure le souhait de la municipalité de soutenir le festival, depuis toujours, cette année encore, l’année suivante aussi, il est avec nous, je l’aime bien ce maire, il s’en sort bien et pourtant on lui rentre dedans sévère. Fred parle doucement, il essaye d’expliquer qu’ils ont été jusqu’au bout, qu’ils sont aussi dépités que nous, mais Nadège lui réfute d’être dans ce nous, ce nous de ceux qui ont perdu leur salaire, ce nous qui meurt, de la salle les menaces s’élèvent de foutre le bordel, de mettre le feu à la ville, Fred nous exhorte à sauver le festival en 2022, mais la foule s’insurge, qui peut espérer quoi que ce soit en 2022, qui peut se projeter, la colère a lieu maintenant, tout de suite, nous n’en pouvons plus, non au pass, on veut une direction collégiale du festival, et soudain Josy rentre dans la salle et nous engueule tous ! Tous là, sans masque, dans une salle, alors qu’il y a autant de monde dehors et même pas d’enceinte pour entendre, tout cela est absurde, au niveau sanitaire on est des inconscients, Pascal s’y met aussi, la salle déborde de monde, j’arrive à attraper le micro et je dis ma joie de nous retrouver, tous ensemble, dans la férocité !

Une belle AG, qui nous a ressemblé. Dans l’émotion, tout le monde commence à se barrer, il est super tard et on crève de faim. On vote vite fait le groupe des nouveaux administrateurs nationaux, tout d’un bloc. Je me suis mis dedans. Je vous aime trop.


Cette fois au repas nous sommes un sacré paquet. 

Ça brasse dans tous les sens, je n’ai plus le temps de dire bonjour.

Comme je suis toujours handicapé, on a besoin de monde pour monter la structure en vitesse. Un appel et on se retrouve avec 7 jeunes types qui se jettent dessus. L’un d’entre eux a juste un veston en poils noirs sur le torse nu, l’autre est en bleu de travail, les Paris Bénarès sont là, des clefs de 19 au bout des doigts, j’hallucine de la rapidité, de la compétence, la structure est montée en quinze minutes. Il faut déjà qu’on file, Julien m’a dégoté un Ostéo, j’ai une séance qui fini une demi-heure avant le grand départ de la procession, on nous prête une bagnole, et si on se speed, on aura juste le temps de brancher la sono, de mettre les costumes, et d'être à temps pour le départ.


Nous nous retrouvons avec Bélinda soudain hors du vrombissement de la ruche.

Aurillac, sous préfecture du cantal, par un été lascif, dans les quartiers lointains, calmes et déserts… 

L’Ostéo sourit en me voyant rentrer. Il me reconnait immédiatement. Il a fait l’araignée, du temps des Champions du bien, il était « tentacules ». Il a vu 3 fois la beauté du monde, et sa sœur est rentrée au conservatoire en présentant mes textes.

Aurillac.


Retour dans la ruche. Bélinda me run à toute vitesse vers le centre, déjà fliqué et barré de partout. Bélinda, je n’ai pas de mot pour toi. J’ai tout mon cœur qui bat.

Nous réglons les derniers détails de la structure, j’enfile un costume argenté, et nous lançons les moteurs pour rejoindre la place Michel Crespin.

Au détour de l’horrible cinéma le Cristal, découvrant la place, j’hallucine. Il y a un monde fou. Le mur de son d’Alixem est monté, et de la grosse, grosse tek envoie de la basse à un volume ahurissant. Il y a des discours, cela chante, c’est le bordel, perché sur ma plateforme, je peux embrasser toute la foule du regard.

C'est incroyable, c'est inespéré.

Les Aurillacois sont venus.


Quand nous nous élançons dans les rues, nous ne sommes pas des centaines, nous facilement deux milliers.

Devant, le piano des arts oseurs, puis une foule, derrière, l’oiseau de Paris Bénarès, puis une foule, Pascal et Josy qui tiennent une grande affiche d’eux à poil, ça nous aurait manqué, puis une foule, nous avec la structure, une foule, les tambours de Transe express, une foule, et la Marianne au fond.

C’est magnifique, c’est puissant, c’est historique.

J’improvise, la sono marche du feu de dieu, je fais marrer les centaines de manifestants qui me suivent, je commente, je replace les souvenirs dans l’écrin de la ville, évoquant les compagnies, les moments, les histoires, j’exhorte à la liberté, à la défense de l’art dans l’espace public, je scande, je profane, je défends, je revendique nos valeurs de poésie et de fraternité, et derrière moi la foule rugit et siffle, elle applaudit de contentement, elle exulte, nous sommes ensemble, nous sommes réunis à nouveau !

Le groupe Tonne fait exploser des chapelets de pétards, il ya des fumigènes partout, des fumées rouges, des fumées noires, les sons de toute la procession se mélangent, c’est un incroyable bordel libératoire. Nous avançons dans la ville.


C'est passé si vite.

Je me rappelle des lectures du groupe tonne, debout sur un mur de la rue des Carmes, « ça me regarde » déclinaient-ils, également les mots scandés par les encasqués de Bernard, sinuant dans la foule en criant « non ! Non ! », la Marianne portant sa main aux balcons les plus hauts pour saluer les Aurillacois médusés, la comédienne au sourire de printemps qui a croqué la foule en un texte improvisé, en face du square, et le puissant, l’envoutant, le magnifique texte dit par Perrinne, sur le rond-point de Monthyon, face à la Marianne, et les applaudissements à tout rompre qui ont suivi.

Un succès incroyable, des retrouvailles si belles avec les Aurillacois venus par centaines, un triomphe de la rue dans sa ville mère.

Nous avons tourné autour du rond-point, sous les hourras, nous les rebelles, nous les poètes, nous les gens de peu, nous les amis des arts et de la liberté, et notre public était avec nous. 

Sur le chemin du retour, j’admirai les visages épanouis, j’apostrophai les commerçants, les habitants, et partout les gens riaient et nous applaudissaient.

De retour à la place Crespin, juché tout en haut de la tour d’enceintes, Didier Super, en équilibre, guitare à la main, nous attendait.

Alors devant un public hilare il a tout sali, tout foutu par terre, le covid, les gens de gauche, les féministes (qui ont grimpé pour l’attaquer, pure impro), les convenances, et nous ne cessions de rire et de rire encore à ce bel, ce tonique affront à tout ce qui peut entraver la liberté d’_expression_.

Alors le son est venu, énorme, tonitruant, gras, et les jeunes se sont mis à danser sur un rythme primaire et puissant.


Nous sommes partis démonter, à nouveau aidés par des jeunes, des amis et des inconnus, et même un directeur de cnar. 

Je doute que nulle par ailleurs ce genre d’horizontalité existe.

La nuit est tombée.


Alors est venu le temps de l’hommage à Jean Gorges.

Nous sommes allés au séquoia.

Pierre avait amené des cubis et des bières. Il s’agissait de boire un coup en l’honneur de notre griot disparu, symbole s’il en est de ce festival.

Jean Marie Songy, des spectateurs, des artistes inconnus, Jean Luc, Gilles Rodhe, nous étions tous là, réunis dans un cercle silencieux et ému.

Nous avons écouté l’incroyable texte, ce dernier et magnifique texte de Jean Gorges, dans un silence profond.

Puis nous avons jeté un peu de notre vin au sol, et nous avons bu à son honneur.


Mes amis, c’était, je peux vous le dire, touchant, noble, et digne.


Oui nous étions là, tous, réunis par une histoire dont nous nous revendiquons tous, une histoire commune, l’histoire des arts de la rue, et nous rendions hommage à celui qui nous avait quittés. 

Quelle meilleure preuve d’humanité, de communauté que celle-ci ? 

Comme je suis fier de nous appartenir, nous qui savons procéder ainsi à des rituels communs pour honorer nos disparus, nous qui sommes assez beaux pour inventer et célébrer des moments comme celui-ci.

Ainsi s'est achevée pour moi la grande Manifestive.

J'ai entendu dire que la veillée près de la souche a durée jusqu'au point du jour.


Aurillac, nous sommes revenus.

Et désormais, tu le sais.


Nous reviendrons toujours.

 




Chtou
Capitaine de l'espace artistique de Qualité Street




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  • RE : [rue] Aurillac, nous sommes revenus, lemenestrel, 20/08/2021

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